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— On aurait plus chaud à Sing Sing, c’est évident, dis-je. Allez, marchez, gamine, et faites bonne figure, c’est préférable. Ne me faites pas souvenir que vous me tiriez dessus il y a moins d’une heure…

Cette fois, elle n’insiste pas et se met à marcher à mes côtés, la tête basse.

* * *

Il faut croire que la cloche est en nette régression car il n’y a presque personne sur les bords du fleuve.

Un type, çà et là, est blotti contre un pilier…

Je prends Carolina par la taille et l’enlace. On dirait qu’on vient d’introduire une vipère dans sa culotte. Elle fait un saut de chevreau pour se dégager. Elle n’est pas tellement sociable, la donzelle.

— Vous excitez pas, poulette, je susurre. C’est pas pour vos beaux yeux que je fais ça. Seulement, il est inutile de nous signaler à l’attention des quelques mecs qui essaient d’oublier leur garce de vie dans le patelin. Il vaut mieux qu’ils nous prennent pour un couple d’amoureux à la recherche d’un coin tranquille.

Elle ne répond rien et se laisse enlacer. Moi, pour tout vous dire, de sentir sa hanche ondulante contre la mienne, ça me flanque dans un état indescriptible, parole !

Nous arquons un bout de chemin. Soudain, j’avise un énorme tuyau de canalisation, un tronçon de tuyau plus exactement. Il fait près d’un mètre de diamètre.

— Voilà une piaule toute trouvée, murmurai-je.

Elle regarde le tuyau sans comprendre.

— Aidez-moi à ramasser de grosses pierres et des morceaux de bois et de carton, on va calfeutrer une des extrémités…

Il me faut cinq minutes pour obstruer le tuyau.

— Au dodo ! fais-je…

Je me glisse à quatre pattes dans le conduit. Carolina me suit, après une inévitable hésitation. Nous nous allongeons l’un contre l’autre.

— C’est plus dur qu’un matelas de plumes, dis-je, mais on n’aura pas trop froid.

Elle ne répond rien. Quelques minutes passent, puis je sens que son dos a des soubresauts.

Elle pleure…

— Alors, on est en perte de vitesse, Carolina ?

Elle hoquette :

— Qu’allons-nous devenir ?

— Je vous dirai ça demain…

Elle fait un demi-tour sur elle-même, dans ce putain de tuyau, et je sens son souffle sur mon visage.

C’est doux et parfumé.

J’allonge mon bras par-dessus ses épaules et elle se serre tout contre moi. Une statue de marbre n’y résisterait pas. Or, je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais je ne suis pas une statue de marbre.

Chapitre VII

Un bougnoule[14] nous réveille le lendemain matin… Ce tordu passe sa tronche par l’ouverture du tuyau et admire les semelles de nos pompes. En soulevant la tête au maximum, je l’aperçois…

En quatre reptations je m’évacue du conduit de fer.

— Et alors, cauchemar, je lui dis, qu’est-ce qu’il y a pour ton service ?

Il se fend le parapluie et, tout en rigolant, gratouille dans son calbart où doit s’agiter une vraie population.

— Ti bien dormi ? il me fait gentiment…

— Qu’est-ce que ça peut te branler ?

Mais ma mauvaise humeur ne paraît pas l’affecter le moins du monde.

— Ti pas froid avec ti dame ?

— Non.

— Ti pas savoir où coucher ?

— Quand on vient flanquer sa couenne dans un bout de tuyau, c’est qu’on n’a pas un bungalow à sa disposition ! Tu ne veux pas connaître l’adresse de mon pédicure, pendant qu’on y est ?

J’ai jamais vu un négro aussi effronté, aussi loquace… Comme je le regarde sévèrement, il rit de plus belle. J’ai beau mettre dans mes châsses tout ce dont je dispose en fait de hargne, pas moyen d’attaquer son optimisme délirant.

Carolina nous rejoint en se massant le dos.

— Qu’est-ce que c’est ? fait-elle.

Le nègre dit, bien cordialement :

— Ti y est l’Ange Noir, dur gangster, bon !

Je sors mon vaporisateur.

Le nègre ne s’arrête pas de rire pour autant.

— Ni mi tire pas dessus, tu serais perdu… Li flics courent partout, partout…

Il ajoute :

— Il y a photo di toi dans li journal, et de la dame. Bon ! Bon !

— Si tu ne stoppes pas illico ton rire de crétin, je te démolis le clavier ! fais-je.

— Ti y es traqué par li police… Pas ?

Et alors il devient grave :

— Ji peux ti cacher, ti dis oui ?

Drôle de proposition, et drôle de bonhomme…

— Tu peux me cacher ?

— Oui, oui… bonne cachette…

— Et pourquoi tu me cacherais ? Tu joues les Saint Vincent de Paul tous les matins, avant de prendre ton breakfast ?

— Ji lu li journal…

— Tu me l’as déjà dit, et alors ?

— Ti, épargné bons nègres…

Je vois où il veut en venir : au cours de l’hécatombe d’hier, mon seul bon mouvement a été en faveur du couple d’épiciers nègres que je me suis contenté d’enfermer dans le frigo.

— Bon ça, épargné nègres, reprend notre interlocuteur…

Il jubile, il frémit, il rit…

— Et où tu me planquerais, négus ?

— Viens…

Il m’entraîne le long du fleuve… Nous marchons prudemment dans le petit jour cafouilleux. En aval de notre tuyau-chambre-à-coucher, une barque est amarrée.

— Montez ! ordonne le nègre.

Je saute dans l’embarcation et je tends la paluche à la souris.

Elle vient s’asseoir à mes côtés, au fond du barlu.

Elle claque du bec, la poulette, c’est maintenant que la réaction se fait. Le nègre s’installe entre les rames.

— Où nous emmènes-tu ? demandai-je.

— Ti vas voir, plus loin, vieille maison, personne dedans, moi gardien.

Une chose me tracasse : pourquoi ce nègre est-il animé de si bonnes intentions à mon égard ? Comment a-t-il fait pour me repérer dans ce tube de fer ? Pourquoi est-il venu en bateau ?

Je me mets la cervelle en ébullition sans parvenir à me faire une opinion valable. Je me tiens sur mes gardes, simplement.

Carolina est blottie contre moi. Je caresse son dos, son cou, tiède et duveteux.

— Tiens, fais-je ! tu as perdu ton collier, Carol.

Elle porte la main à sa gorge.

— Oui, murmure-t-elle, c’est vrai.

Elle se tourne vers moi :

— Vous l’aviez donc remarqué ?

— Je remarque toujours tout, surtout lorsqu’il s’agit de la plus belle gerce des U.S.A. Ton collier était en pierres d’Italie, de toutes les couleurs ; et ça t’allait si bien que n’importe qui aurait cru que tu étais née avec ça autour du cou.

Elle a un beau sourire, comme je les aime.

Nous sommes maintenant au milieu de la flotte. Le nègre rame toujours. Il est sérieux, maintenant, presque attentif, exactement comme un gars qui est en train de jouer une partie coton et qui va risquer le pognozoff de son patron sur un coup de banco.

Moi, je deviens presque aussi méditatif que lui…

Je ne lâche pas ma petite môme. En voilà une qui devient drôlement championne lorsqu’on lui met la main au réchaud.

Quelque chose me meurtrit la cuisse. Je vérifie : c’est un corps dur qui se trouve dans la poche de sa robe. En loucedé, je palpe du dos de la main. Cela fait comme un sac de gobilles… Comme dans ma prime jeunesse j’ai été le champion de tirette de mon quartier, je glisse deux doigts négligents dans sa fouille. Ce ne sont pas des billes, mais les pierres d’Italie de son collier.

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14

Un nègre.