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— Pourquoi n’a-t-il pas averti directement les matuches ?

— Sans doute parce qu’il sait qu’on peut repérer le poste d’appel ; il ne tenait pas à avoir des ennuis. Par le truchement d’une secrétaire, il ne risquait rien. Ce qu’il voulait, c’était vous faire prendre avant que — vous sachant berné — vous ne vous lanciez à ses trousses.

Je pense un peu à tout ça. Je mets mes idées en place, soigneusement, comme on empile des chemises dans une malle.

Tout ce que la môme Carolina vient de me bonnir est, décidément, très instructif. Mon petit doigt me dit que je viens de pousser une bonne porte. Doit y avoir du fric à glaner pour un gnace débrouille.

Et croyez-moi, dans le genre débrouillard, on ne fait pas mieux que bibi.

Chapitre VIII

Je demande à Carolina :

— À qui est cette turne ?

— C’est la maison de mes parents… Ils sont morts à peu près ruinés. Cette demeure est la seule chose qui nous reste, à mon frère et à moi. En ce moment, il voyage en Europe. Lorsqu’il sera de retour, il est vraisemblable que nous la vendrons, à moins que d’ici là…

— À moins que tu n’aies dégauchi un filon, pas vrai, ma jolie ?

— C’est un peu ça, oui.

— Et le négro ?

— Rémus ?

— Je ne savais pas qu’il s’appelait ainsi. Qu’est-ce qu’il branle dans l’histoire ?

— C’est un ancien domestique, il continue d’habiter la maison. Je lui sers une petite mensualité. Il nous est très attaché, il est né ici… Nous avons été élevés ensemble.

— Touchant, fais-je, si tu continues, tu vas me faire chialer. Appelle-le, veux-tu, et dis-lui qu’il aille ratisser les allées, je n’ai pas besoin de ton frère de lait pour boulonner. Tu comprends ça avec ton joli cerveau en forme de papillon ?

Elle crie à la cantonade :

— Rémus !

Le bougnoule ne devait pas être loin, car il surgit avant qu’elle ait prononcé la seconde syllabe de son nom.

— Rémus, lui dis-je, je vais te montrer un truc. Si tu le réussis, tu trouveras de l’embauche dans n’importe quel cirque. Tu vois, je range mon flingue là où il doit faire dodo : sous mon bras gauche. Bon. Maintenant, tu vas porter la main à ta poche, aussi vite que tu le peux…

Il obéit sans comprendre. Sa main n’est pas entrée à l’intérieur de sa fouille que j’ai déjà ma pétoire dans la mienne. Tous deux sont sidérés par ma promptitude.

— Simple avertissement, dis-je. Ce petit truc, non pour vous épater — je ne suis pas un flambeur — mais pour vous montrer que le mec qui veut me faire faire le grand plongeon doit se graisser les jointures au préalable… Ceci étant précisé, Rémus va aller effectuer différents achats.

Je vais me planter devant un magnifique miroir, genre vénitien, et je m’examine…

— Enregistre la commande, Boule de neige. Tu vas acheter de l’eau oxygénée, de l’ambre solaire, un complet clair, avec des carreaux, quelque chose de très mauvais goût, enfin, fais comme pour toi, je ne peux pas mieux te dire… Tu me prendras avec ça une chemise jaune canari, et une cravate peinte. Si tu en trouvais une, qui représente une bataille d’Indiens, ou les Jeux Olympiques, n’hésite pas à l’acquérir, même à prix d’or. Et pour finir, il me faut des lunettes à verres teintés, avec une monture carrée. Tu vois ce que je veux dire ?

Je me tourne vers Carolina.

— Tu penses qu’il s’en sortira, oui ?

— Faites confiance à Rémus, murmure-t-elle, il vous a prouvé ce matin qu’il sait être à la hauteur des circonstances…

— Tu as de l’auber, pour ces menus achats ? Ce sera à valoir sur nos prochaines rentrées…

— Ji di sous, affirme le nègre.

— Alors va, et si tu trouves un poulet en gelée sur ta route, ramène-le avec une bouteille de vin. J’ai la dent !

* * *

Une heure plus tard, Rémus est de retour. Nous cassons une sérieuse graine, tous les trois. Ensuite, j’opère mon numéro de transformation habituel.

Je commence par me décolorer complètement les tifs jusqu’à ce qu’ils soient d’un blond-blanc, puis je me bronze le teint au moyen de l’ambre solaire. Une fois que j’ai revêtu les fringues excentriques et chaussé mon pif des lunettes de soleil, vous ne pourriez jamais admettre que je ne suis pas un zigoto fraîchement débarqué d’Honolulu.

— Tu n’as pas un appareil photographique ? je demande à Carolina.

— Si…

Elle dit au nègre d’aller le chercher. Je passe la bride de la sacoche sur mon épaule ; cette fois, l’illusion est complète.

— Qu’allez-vous faire ? demande Carolina…

Je lui caresse un peu l’avant-scène, et je souris tendrement.

— Voilà. Je vais attaquer, et j’attaquerai comme ça me chante, sans rendre de comptes à personne, tu comprends ? Toi, tu vas rester ici avec ton négro. Donne-moi le numéro de téléphone de la cambuse, si j’ai besoin d’un coup de main, je préviendrai. En attendant, ne quitte cette maison sous aucun prétexte. Il suffirait que tu te fasses harponner pour que toute notre combinaison s’effondre, tu piges ?

— Qui me dit que tu reviendras ?

— Moi.

— Qui me prouve que tu es sincère ?

Je ris.

— Je vois que, décidément, tu me connais mal, Carolina. Si je comptais te doubler, je ne prendrais pas de risques inutiles en vous laissant sur vos deux pattes, toi et ton cauchemar…

Son regard croise le mien ; il est calme et inexpressif.

— Que veux-tu, lui dis-je, j’ai du sentiment pour toi, ma jolie… Faut croire que ça ne me réussit pas, de passer la nuit dans un tuyau…

Je les regarde une dernière fois avant de vider les lieux.

— Pas d’imprudences, mes amours, pas d’imprudences, ou alors…

Je me taille, le cœur léger.

* * *

La petite standardiste à qui je m’adresse n’est pas jolie comme un cœur (car, au fait, je trouve qu’un cœur n’a rien de séduisant), mais c’est un adorable petit lot. Pas beaucoup de personnalité, mais des rondeurs et du sourire à tous les étages.

Elle me regarde avec un petit air ironique. Cet air que les gens de la ville croient spirituel d’adopter lorsqu’ils ont devant eux un mec qui ressemble à un étranger ou à un péquenot.

— Vous désirez ? demande-t-elle.

— Si je vous le disais, vous me flanqueriez sûrement une baffe, dis-je, avec mon assurance coutumière.

Elle cille, car elle découvre avec surprise que, pour la question du baratin, ce gars d’Honolulu rendrait des pions à un placier en aspirateurs…

Elle prend le parti de me sourire.

— Vraiment ? fait-elle.

— Parole ! S’il y avait dans mon bled une fille qui soit la moitié aussi chouïa que vous, je n’aurais jamais fait le voyage… Dites à M. Marrow que je désire lui parler.

Son visage se crispe. Je lui demanderais de monter à cheval sur une torpille téléguidée qu’elle n’aurait pas l’air plus épouvanté.

— À M. Marrow ! s’exclame-t-elle.

— Oui, je lui dis, à lui-même, en personne.

— Mais il ne…

Elle a envie de dire : « il ne reçoit pas n’importe qui » mais, plus poliment, elle explique :

— M. Marrow est un homme terriblement occupé. Il ne reçoit que sur rendez-vous, et encore seulement lorsqu’il sait de quoi il retourne…

Elle s’empare d’un feuillet imprimé, où sont ménagées des réserves en blanc. C’est la formule classique : « Nom du visiteur, objet de la visite, etc… » Je repousse la feuille.