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C’est un prétexte à la flan ! Je ne le sortirais pas à une endive comme Trompe-la-Mort, parce que ça n’est pas un gnace influençable, et parce qu’il se rendrait compte, lui, que la porte étant l’unique ouverture de la pièce, il ne saurait être question de courant d’air, d’autant plus que cette porte est fermée.

Mais l’autre est un jeune blanc-bec qui n’a jamais fait travailler ses réflexes. Il se retourne.

En moins d’une seconde j’ai saisi ma godasse et la lui balance à travers le gicleur. J’y suis allé de si bon cœur qu’il pousse un grognement et pique du nez. Il l’a prise en pleine tempe. Le choc l’a mis groggy.

Je bondis, rafle le pétard, ratifie la mission de mon soulier en cloquant un coup de crosse sur la nuque du petit mec, et je réintègre ma savate-torpille. Ce changement de décor me rend joyeux.

Je me rassieds.

Lorsque le grand affreux rentre, il me trouve en train de siffloter. Son premier regard est pour son petit pote allongé sur le parquet.

Son second, pour le feu que j’ai récupéré.

— Acte deux, je lui fais, c’est à toi de lever les pognes.

Il les lève.

Il ne répond pas. Je me dresse et, d’un coup sec, j’élève mon pied gauche jusqu’à sa mâchoire. Ça craque un bon coup.

Le grand serin se frotte la margoulette. Sa pogne est vite rouge.

— Laisse, tu compteras tes croquantes tout à l’heure. Je veux savoir ce qu’a dit Marrow.

— Il vient.

Je ricane.

— Tout de même !

Chapitre IX

— Maintenant, j’aimerais que tu m’affranchisses sur votre petit rodéo. Tu es au service de Marrow en qualité de détective ?

— Ouais.

— En fait de détective, tu me fais un beau pied-nickelé. Tu es plutôt le garde du corps, ou quelque chose de ce genre, non ? Son homme à tout faire, son ange gardien. C’est toi qui couches sur son paillasson, en travers de sa porte, et qui lui débouches son évier ? Je connais ce genre de turf. Tout à l’heure, il t’a commandé de m’emballer.

— Ouais. J’étais dans un petit bureau, à côté, il m’a dit qu’un type essayait de faire le malin avec lui et qu’il ne voulait pas le recevoir. Il m’a ordonné de vous amener ici et d’avoir une conversation devant le microphone.

— Où sommes-nous ?

— Dans un des ateliers désaffectés de l’entreprise. Ça, c’était l’ancien bureau du chef d’atelier.

— Et vous vous en servez pour des petits travaux à façon. Il sera là dans combien de temps, Marrow ?

— Il ne va pas tarder.

— Il rentre seul, ou bien l’un de vous deux va-t-il le récupérer ?

— Jim va l’attendre.

Comme si de prononcer son nom lui faisait l’effet d’un flacon de sels, le Jim pousse un soupir tellement important qu’il effeuillerait un chêne du Liban.

— Hello, gamin, je lui fais, ça va mieux.

Il se met lentement sur ses genoux, secoue la tête comme un clébard qui vient de faire trempette et me regarde avec des yeux qui lui pendent jusque sur la poitrine.

Histoire de le remettre dans l’ambiance, j’appuie le canon du flingue sur la calbombe de « Trompe-la-Mort », et je presse la détente. La cervelle du grand lugubre va se plaquer contre le mur. Quant à lui, il est tellement attristé de cette séparation, qu’il prend le parti de se répandre sur le parquet.

— Mords la came, dis-je au petit tordu en blouse. Tu parles d’une java, lorsque j’ai mes nerfs.

Le Jim, si vous le voyiez, vous le feriez passer au papier de verre pour essayer de lui enlever sa vilaine couleur vert olive.

— Marrow va se pointer, dis-je. Tu l’attendras à la porte de l’usine comme si de rien n’était, et tu l’amèneras ici. Ne lui dis pas un mot de travers, tâche de paraître naturel. Si ça ne tourne pas rond, je te plombe la pensarde comme je viens de le faire à ton collègue, compris ?

Il approuve d’un signe de tête.

— Allez, go !

Je le suis, et m’embusque derrière le portail. Je suis prêt à tout : des fois que le Marrow, qui m’a l’air d’un petit futé, s’annoncerait avec du renfort.

* * *

Marrow est un petit futé, mais c’est aussi un gars qui prise la discrétion à pleines narines ; il arrive seulard au volant d’un cabriolet qui n’entrerait pas au Stadium.

Je le surveille à travers le portail. Je le vois descendre de son contre-torpilleur. C’est un homme assez corpulent, d’une cinquantaine d’années. Il a le visage plat, un front bas sur lequel tombent des mèches noires, frisées. Il est vêtu d’un pardessus taillé dans une étoffe plus épaisse qu’un tapis de haute laine, porte un chapeau à bord roulé et, malgré son léger embonpoint, il paraît agile comme un chevreuil.

— Tout va bien ? demande-t-il à Jim.

— Oui, M’sieur, fait ce dernier.

Sa voix est aussi assurée que le pied du type qui traverse les chutes du Niagara sur une corde raide. Mais l’autre est trop préoccupé pour s’en rendre compte.

Il marche d’un pas décidé, en roulant légèrement les épaules.

Il s’engage dans l’usine. Alors, je traverse l’espace à découvert en quatre bonds et je pénètre à l’intérieur des locaux.

— Hello, Marrow !

Il sursaute comme si on lui prenait sa température avec une aiguille à tricoter.

Il me regarde et je remarque qu’il a des petits yeux canailles, enfouis derrière des paupières bouffies.

Il ne bronche pas. Le self-control de ce bonhomme, c’est une page d’anthologie, parole !

— C’est vous qui désirez me parler ? demande-t-il.

— Oui. Et c’est vous qui ne désirez pas m’entendre. Ce que vous pouvez être secret ! J’ai bien cru qu’il faudrait aller dans les montagnes Rocheuses, pour pouvoir bavarder avec vous.

— Qui êtes-vous ?

— Lui ou un autre.

Il pince les lèvres.

— Et peut-on savoir ce que vous faites dans l’existence, Monsieur l’inconnu ?

— Bien sûr… Je fais des tas de choses.

J’ouvre la porte du petit bureau.

— Des morts, entre autres, poursuis-je. La plupart des hommes fabriquent des vivants, moi je fabrique des morts. Ça va plus vite, et ça impressionne davantage !

Il jette un rapide regard à « Trompe-la-Mort ».

— Je le croyais plus malin que ça, dit-il simplement.

C’est, vous en conviendrez, tout ce qu’il y a de sommaire en fait d’oraison funèbre.

— On se fait des illusions, comme ça, sur les gens. Surtout sur les gens qu’on paie, M. Marrow. On s’imagine que, parce qu’on les paie, ils valent quelque chose. Ça n’est pas toujours vrai. Asseyez-vous.

Il s’assied.

— Vous avez encore besoin de Jim ?

— Non, dit-il, pourquoi ?

— Moi non plus.

Je me tourne vers le petit locdu.

— En ce cas, bonsoir, mon gros.

Je lui mets deux pruneaux dans la poitrine. Tout ça est assez superflu, j’en conviens, mais dès qu’on se met à jouer au bonhomme impassible, avec moi, faut que je monte un spectacle de music-hall.

— C’est pour vous faire la main, ou pour m’impressionner ? demande Marrow.

Il est paisible comme un lac de montagne. Les détonations ne lui ont même pas fait battre des cils.

— Ni l’un ni l’autre, Marrow. C’est pour pouvoir parler sans témoin. Pour ce que nous avons à traiter, quatre oreilles suffisent : les vôtres et les miennes.