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Le chauffeur y pénètre le premier. Je l’entends parler à quelqu’un, puis il fait signe à son pote de m’amener.

Nous entrons dans la cambuse qui est bien l’une des plus élégantes qu’il m’ait été donné de voir. Il y a du marbre, des meubles sensationnels.

Nous passons devant des pièces aux portes ouvertes et je peux en apprécier le luxe. On ne voit personne. Je voudrais pourtant bien arnoucher le mec avec qui vient de jacter le chaufaillon.

Mes gardes du corps m’entraînent tout à fait au fond de la maison, et ils ouvrent une porte. La seule qui soit fermée, ce qui ne manque pas plus de sel qu’une tranche de morue. Tout de suite, je me crois dans un cabinet de toilette. La pièce est exiguë, peinte en blanc, et comporte des ustensiles chromés. Mais je m’aperçois vite que ça n’est pas un cabinet de toilette. Au beau milieu de ce mince local, il y a un tabouret. Les types m’y font asseoir. Ce tabouret de métal est rivé au sol. Les pieds de devant sont ornés de grosses boucles ouvertes. Dès que je suis assis, le chauffeur referme les boucles sur mes chevilles, ce qui m’immobilise totalement les flûtes. Puis il décroche une paire de menottes et me les assujettit aux poignets, après m’avoir fait mettre les mains derrière mon dos. Cette fois, les gars, l’Ange Noir est à peu près aussi dangereux qu’une limace. In petto, je me passe un savon monstre, car il faut être le dernier des tordus pour m’être laissé entortiller à ce tabouret sans réagir. Où qu’ils sont passés mes fameux réflexes, je vous le demande ? J’ai des nouilles de mauvaise qualité à la place du système nerveux, ou quoi ? Il aurait cent fois mieux valu que je risque le paquet, quitte à bloquer une pastille dans le battant, plutôt que de me laisser entraver.

Je cesse brusquement de m’invectiver, car un mec vient de faire son apparition, et ce mec, je vais vous le dire, n’est autre que ce bon vieux O’Massett.

Je regarde sa grosse tête cabossée, son nez de travers, ses arcades proéminentes.

— Tiens, fais-je, voilà le champion du F.B.I. ! Tout s’enchaîne harmonieusement.

Il ne réagit pas. Ses petits yeux ont une lueur d’ironie.

— Toujours la plus belle gueule de chaudron cabossé que j’aie rencontrée, fais-je. Et toujours aussi fumelard, je parie, n’est-ce pas, O’Massett ?

Le faux infirmier pousse un gémissement comme un chien qui a envie de pisser. Lui a simplement envie de tuer.

— J’y mets un taquet dans le portrait, chef ? demande-t-il.

O’Massett hausse les épaules.

Il me regarde et me dit, de son ton calme et assez cordial :

— C’est un Italien, ces gens-là sont des nerveux.

Puis il ajoute :

— Je vous fais tous mes compliments pour la façon dont vous avez expédié le sénateur. Je vois que j’ai eu raison de vous faire confiance, vous avez été à la hauteur des circonstances.

— Je ne peux pas en dire autant de vous. Vous m’avez possédé comme un collégien, O’Massett.

— Pas complètement, dit-il. J’ai péché par excès de prudence. J’aurais dû envoyer un de mes hommes au bar pour vous abattre, mais cet assassinat du sénateur a fait un tel bruit que j’ai eu peur qu’il commette une imprudence et se fasse prendre. Alors j’ai téléphoné à la secrétaire de Pall. J’étais loin de me douter que cette fille tenterait de vous occire elle-même, au lieu de prévenir la police.

« Bien entendu, c’est vous qui l’avez roulée, j’ai appris qu’elle est une ancienne collaboratrice de Marrow, et je suppose que c’est par elle que vous avez obtenu certains renseignements concernant un petit homme dont les carottes sont cuites ?

Je la boucle.

— Je vais vous faire une proposition, l’Ange.

— Ah ! non, je m’exclame, passez la paluche, mon vieux, vous m’en avez déjà fait une, et ça ne m’a pas tellement réussi.

— Ne vous excitez pas, l’Ange, écoutez-moi, ça vaudra mieux. Après ce qui vient de se passer, il n’est pas question de vous promettre la vie. Vous connaissez trop la question pour comprendre que ce n’est pas possible.

Je bats des paupières pour admettre la logique de son raisonnement.

— Dites-moi où je peux trouver la fille, et je vous loge aussitôt une balle dans la nuque.

— Sinon ?

— Sinon, il faudra que vous le disiez tout de même, et alors les moyens que je mettrai en œuvre pour cela vous paraîtront certainement… mettons, excessifs !

— Vous voulez la fille pour la scraper ?

— Parbleu. N’en feriez-vous pas autant à ma place ?

— Évidemment.

— Alors, nous allons nous entendre parfaitement.

— Pas sûr, dis-je.

— Comment ?

— Écoutez-moi, O’Massett, je suis un coriace. La douleur m’est aussi familière qu’une amie d’enfance. Vous pouvez mettre en chantier tous les supplices que votre imagination enfantera, je ne parlerai pas. Et je me tairai, non pas pour sauver cette môme (je ne suis pas un sentimental) mais simplement parce que ça vous emmerde et que ma suprême consolation aura été de vous emmerder. Dans la position où je me trouve, ça n’est pas mal, pas mal du tout, n’est-ce pas ?

Il me regarde pensivement. Il doit se dire qu’il a mal présenté les choses et il le regrette.

Je viens de marquer un point, c’est un tout petit, petit, un minuscule succès d’orgueil, mais qui me galvanise.

J’exploite mon avantage moral.

— La fille en question est une petite dégourdie, soyez-en sûr, elle l’a du reste prouvé. En ne me voyant pas revenir, en apprenant l’accident de tout à l’heure — car il sera forcément mentionné dans la presse, puisque les bourdilles se pointaient et qu’il y a eu mort d’homme —, en apprenant que M. Marrow a été télescopé et que son copain le Négus est clamsé, elle fera le seul truc qu’une môme futée peut faire : elle ira trouver les flics et leur crachera le morceau. Elle dira qu’elle était la maîtresse de Pall, qu’elle a voulu le venger, que, prévenue par téléphone, elle a essayé de m’abattre, etc… Elle ajoutera que je l’ai kidnappée, que je l’ai questionnée sur Pall. Vous me suivez bien, O’Massett ? Les flics, qui donneraient la moitié de leur solde annuelle pour m’avoir la questionneront. Ils sauront qu’en réalité je n’ai été qu’un instrument de Marrow. Et ce sera très, très embêtant pour vous tous.

Je me tais. Il y a un silence épais comme du miel.

Les gardiens n’ont pas l’air tranquilles et regardent O’Massett avec des yeux d’épagneuls.

Moi aussi, je regarde O’Massett. C’est lui qui tient les brèmes et chacun se demande comment il va les jouer.

Il se frotte le nez et commence à brouter une cigarette. Puis, sans un mot, il s’en va.

Son absence dure cinq bonnes minutes.

— Qu’a dit Marrow ? je lui demande.

Il me jette un regard qui signifie quelque chose dans le genre de : « Toi, mon vieux, je te tire mon galure ! »

Visiblement, il ne partage pas le mépris que me témoigne Marrow. Il me dit d’un ton dépourvu de passion :

— Il veut que vous parliez. Il n’y a pas d’autre issue. Vous parlerez, l’Ange, on fera ce qu’il faudra pour ça…

Je soupire.

— Très bien, à vous de jouer…

Le rital a un nouveau hennissement rentré.

— La cigarette, chef ?

O’Massett fait un signe d’approbation. Alors le tordu allume une sèche et, lorsque le bout en est bien incandescent, il me l’applique sur la joue. Vous me croirez si vous voulez, mais je suis plus écœuré par l’odeur de cochon grillé qui se dégage que par la douleur elle-même.