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La souffrance est abominable, mais je tiens bon. C’est pas la première fois qu’une bande d’enfoirés s’est mis en tête de me faire cracher une arête. Je serre très fort les mâchoires.

— Change de joue, Toto, si ça ne te fait rien. Moi, ça me réchauffe.

Il en est baba, le chourineur.

Son copain, le chauffeur, un blond fadasse, dit :

— Laisse-le-moi une minute.

— Qu’est-ce qu’il a inventé, ce résidu de cauchemar ?

Je ne tarde pas à comprendre.

Il se saisit d’une boîte d’allumettes et il se met à en tailler quelques-unes, dans le sens opposé au phosphore.

Ensuite, il m’ôte mes menottes et ordonne à son collègue de me maintenir solidement le bras. À eux deux, ils m’entravent… Ce salingue enfonce les allumettes sous mes ongles.

C’est intolérable ! Jamais on n’a eu l’idée de me faire ça, et jamais je n’ai autant souffert. Je serre si fort les dents qu’il me semble que jamais plus je ne pourrai ouvrir la bouche.

O’Massett me regarde, toujours impassible.

— C’est douloureux, n’est-ce pas ? fait-il.

Si je me risquais à ouvrir la bouche, la beuglante que je pousserais s’entendrait jusqu’en Californie. Et je ne veux pas leur accorder cette satisfaction. Il ne sera pas dit qu’un trio de vachards aura tiré une onomatopée de l’Ange Noir.

La sueur ruisselle de mon front. Je le regrette, mais c’est un signe extérieur de faiblesse qu’il m’est impossible de dissimuler…

— À quoi bon prolonger cette séance, me dit O’Massett. Parlez et vos souffrances seront finies.

Du sang coule entre mes ongles et la chair de mes doigts. J’ai l’impression que ma main gauche est broyée dans un étau.

— Ça n’est pas fini, dit le blondasse.

Je l’aurais jamais estimé si fumelard, ce manche !

Il reprend sa boîte d’allumettes, en frotte une et s’en sert pour enflammer les cinq autres…

Je vois les cinq petites flammes courir sur les brindilles, à la rencontre de mes doigts. Le contact s’effectue, ça grésille à nouveau. La douleur est si forte que, durant un certain temps, je suis comme insensibilisé.

— Parlez, fait O’Massett, d’une voix hargneuse.

J’essaie de claper, et à ma profonde surprise, j’y parviens.

— Va te faire cuire un œuf, O’Massett, dis-je avec effort.

Je m’aperçois que de l’invectiver, cela me soulage un peu. Je ne m’en fais pas faute…

— Tu es le tordu le plus tocard que j’aie jamais vu, O’Massett, si je te tenais tu verrais un peu ce que c’est que du vrai turbin. Si tes pieds-nickelés croient me faire dire où est la souris, c’est qu’ils croient au père Noël, à leur âge, c’est triste…

Il hausse les épaules. Il prend un petit réchaud… Ce réchaud est posé à ma droite, sur une étagère. À côté se trouve une bouteille, et cette bouteille contient de l’essence ou de l’alcool à brûler, puisqu’il verse un peu de son contenu dans le réchaud…

Il met le feu à la mèche, va au fond de la petite pièce et s’empare d’un tisonnier à manche de bois. Il dépose celui-ci sur la flamme. Puis il dit à ses ouistitis :

— C’est bon, je vais m’occuper personnellement de lui. Vous autres, allez vous débarrasser du cadavre du nègre et remisez l’ambulance. La police va peut-être se demander où elle est passée.

Ils me lâchent à contrecœur. Je n’ai pas la force de retenir ma main meurtrie. Elle tombe et cela me produit dans le corps tout entier un tel déchirement que je ne puis résister davantage. Un brouillard rouge m’envahit…

Chapitre XII

Ce vertige est passager. Je ne dois guère rester plus d’une minute dans la vapeur, pourtant, lorsque je recouvre mon entendement, je suis seul dans la pièce.

La porte en est demeurée ouverte et j’entends toute proche la voix d’O’Massett donnant des instructions à ses zouaves.

Le tisonnier à manche de bois rougeoie toujours sur le réchaud.

J’ai mal… Une espèce de rumeur triste emplit mon crâne. Mais, par-delà ma souffrance atroce, une idée germe. Un projet plutôt. Il me semble que c’est un autre qui échafaude la combinaison extravagante qui s’organise sous mon dôme. Si je vous en faisais part, vous diriez que je suis complètement déplafonné… Mais je m’en tamponne que les idées me viennent de la fièvre ou d’autre chose. Avec des gestes de somnambule, j’attrape la bouteille d’essence posée sur l’étagère, je la porte à mes lèvres et j’introduis dans ma bouche la valeur d’un verre du liquide qu’elle contient, en prenant bien soin de ne pas l’avaler. Après quoi, je m’empare du briquet qu’O’Massett a laissé près du réchaud et je le fais jouer. Contrairement à la plupart des briquets, celui-ci s’enflamme au premier titillement. Je l’étreins et je le cache dans ma main. J’attends, j’espère qu’O’ Massett ne tardera pas car il est rudement difficile de rester longtemps avec la bouche pleine d’essence !

Mais mes craintes ne sont pas justifiées. Mon ennemi radine.

Il repousse la porte.

— Vous êtes revenu du cirage ? demande-t-il.

Je conserve la tête inclinée pour qu’il ne s’aperçoive pas que ma bouche est pleine.

— À nous deux, l’Ange. Je vous ai laissé aux mains d’apprentis, car il faut toujours servir les hors-d’œuvre avant le rôti. Mais je vais vous arracher votre petit secret, mon cher. Mettez-vous bien dans l’idée que chaque souffrance que vous supportez me cause, à moi, plutôt de la satisfaction… Notez que je ne suis pas un sadique, du moins je ne le pense pas…

« Je suis simplement, un homme, avec des pauvretés très humaines… Il est grisant d’avoir sous sa coupe un caïd comme vous et de jouer au tortionnaire avec lui.

« Ce petit discours, l’Ange, pour vous dire que vous allez parler… Vous taire jusqu’au bout serait une preuve de sadisme de votre part. Pour vous, tout est liquidé. La mort doit vous faire envie, comme un lit de repos…

« Vous n’en pouvez plus, l’Ange… Vous avez votre compte et il ferait bon mourir… Que vous importe la vie de cette fille ? Que vous importe d’embêter des types comme Marrow ou moi en l’épargnant ?

Je lui tire moralement mon chapeau. Il a le chic pour saper les énergies, ce mec-là.

Est-ce qu’il ne va pas bientôt cesser ses discours évangélistes ? Est-ce qu’il ne va pas s’approcher ?

Si. Il la boucle et saisit le tisonnier. Il vient tout près de moi. Le rougeoiement de la tige de fer incandescente met des traînées flamboyantes sur son visage. Il ressemble à une espèce de démon formidable.

Il s’approche encore, il s’approche à me toucher. Alors je bats le briquet, je mets sa flamme vacillante devant ma bouche et, de toutes mes forces, je crache mon essence à la figure d’O’Massett.

Il est tellement paralysé par ce lance-flammes d’un nouveau genre qu’il ne fait pas un geste pour parer le jet de feu, et qu’il a le visage atrocement brûlé. Il se courbe en avant brusquement et étouffe le feu qui a pris à ses cheveux, dans les pans de sa veste. Moi je me dresse et, de toutes mes forces, je lui assène mon poing sur sa nuque. Cet effort m’a complètement ébranlé. Je tombe assis, haletant, réprimant des petits cris de douleur. Quant à O’Massett, il n’est là pour personne. Il gît en travers de la pièce, la tête posée sur mes godasses. Le feu s’est éteint. Mais il n’a plus qu’une plaie rosâtre à la place des cheveux. Et ça fouette le cochon grillé à plein tarin.