Lorsque j’ai repris quelques forces, je me penche, retourne mon ex-tortionnaire et le fouille tant bien que mal. Je récupère sur lui un superbe pétard à crosse de nacre.
Les dragées dont il est garni doivent faire éclater la calbombe d’un rhinocéros !
Je palpe encore ses fouilles en espérant dégauchir la clé des bracelets qui m’emprisonnent les pinceaux, mais il ne l’a pas. Décidément, ça déguille moins bien que je ne le croyais. J’ai eu raison de cette grosse vache d’O’Massett, il est à ma merci, mais moi je reste à la merci des pieds-nickelés.
Un grésillement et une odeur d’étoffe brûlée me fouettent les sens. C’est le tisonnier qui consume la veste d’O’Massett. Je le saisis… Il commence à pâlir. Alors je l’approche du visage de mon ennemi. La chaleur le tire de sa léthargie.
Il porte lentement les mains à son visage brûlé.
— Hello, O’Massett, je lui fais… Que dites-vous de cette petite séance ? Vous voyez : tant qu’il y a de la vie…
Il a un œil fermé, mais l’autre me regarde intensément, et ce qu’il exprime n’est pas tendre pour moi.
Je rigole.
— C’est à moi de jouer, mon petit père.
À moi tout seul… En ce moment vous êtes une vieille savate et tout à l’heure vous serez un tas de viande en route pour faire de l’engrais.
Je pique le tisonnier sur son œil ouvert. Il pousse un hurlement atroce et a un soubresaut. Alors, j’appuie de toutes mes forces… Le tisonnier s’enfonce dans la tête d’O’Massett, en dégageant une fumée écœurante. Il se tord à mes pieds, comme un reptile embroché par une fourche. Je le regarde crever et il me semble que ma souffrance disparaît comme par enchantement.
Des instants pareils, c’est une drôle de jouvence, moi je vous le dis. Maintenant, en mettant les choses au pire, je peux y aller de ma croisière de l’au-delà… Je ferai mes valoches de bon cœur. O’Massett dessoudé, je me sens libre et presque pur. Je ne pouvais pas tirer ma révérence en laissant une ordure pareille sur ses deux pattes.
J’attends. Ma main gauche me fait toujours très mal, c’est même intolérable lorsque je bouge les doigts ! Je la colle dans l’échancrure de ma chemise et, le soufflant bien arrimé dans ma pogne valide, j’attends.
Un petit quart d’heure s’écoule. Un bruit de pas retentit. Ce sont les deux zigotos qui radinent. Pour que le silence ne leur semble pas insolite, je me mets à gueuler :
— Assez ! Assez, O’Massett, d’accord, je vais parler…
La voix de l’Italien s’élève :
— Pas la peine de vous cailler le sang, patron, regardez qui on amène…
Il entre. Il fait deux pas, s’arrête et ouvre de grands yeux en voyant le spectacle.
Derrière lui, il y a Carolina, et derrière Carolina, l’autre archer, le blondasse.
Je me dis qu’il faut agir, et agir vite. Dès qu’ils découvriront que je suis toujours entravé, ils se jetteront en arrière et ce sera macache pour les cueillir. Ils n’auront plus qu’à enfumer la pièce pour m’avoir sans risque… Je vise le blondasse et je presse la détente. Le feu fait un badaboum terrible qui me rend sourdingue pour plusieurs secondes.
J’ai tiré le blond parce qu’il est en travers de la porte et que c’est lui qui aurait pu le premier m’échapper. Par ailleurs, il entrave l’issue.
Carolina pousse un cri et se fige. Le rital fait volte-face.
— Halte ! je gueule.
Il s’immobilise.
— Si tu fais un pas de plus vers la porte, je te brûle. Tu as la clé de ces bracelets ?
Il fait un signe affirmatif.
— O.K. Lève les mains.
Il obéit.
— Carolina, fouille les poches de ce tordu. Mais pour éviter toute surprise, fouille-les en te plaçant derrière lui.
Elle comprend et glisse ses jolies mains dans les vagues du rital. Elle en extirpe une petite clé entre autres objets.
Je la reconnais.
— Très bien, écarte-toi !
Elle s’écarte.
— Adieu, salopard, dis-je alors à l’infirmier. Tiens, ça, c’est pour le coup de la cigarette.
Je lui flanque une balle au bas du ventre.
Il hurle de douleur et se plie en deux.
— Et voilà pour t’apprendre le savoir-vivre.
Le second pruneau l’atteint au milieu du front.
— Ça barde, hein ? dis-je à Carolina. Viens vite me libérer.
Elle se précipite.
— Comment se fait-il que tu sois ici ? je questionne.
Ses doigts tremblent tellement qu’elle ne parvient pas à introduire la clé dans les serrures des entraves.
— J’ai suivi Rémus… Je…
— Tu avais peur que je te double, hein ?
Elle ne répond pas.
— J’ai assisté à l’accident, ensuite j’ai suivi l’ambulance. Ma voiture est garée à quelques mètres d’ici. Je me suis approchée pour essayer de voir ce qui se passait dans cette maison, et alors les deux hommes m’ont découverte. L’un d’eux, celui qui avait la clé, s’est écrié : Je parie que c’est elle !
À mon tour, je lui fais le récit des chapitres précédents. Quand elle apprend que j’ai subi ces affreux sévices parce que je refusais de la donner, elle se plaque contre moi et, au milieu des trois cadavres, nous échangeons un baiser comme vous n’en goûterez jamais.
Un baiser possédant un goût de mort et d’horreur !
Chapitre XIII
Je fais quelques pas dans la minuscule chambre des tortures. Ma nervosité revient, ma souplesse, mon cran, tout mon attirail de bagarreur, quoi !
Nous enjambons les cadavres et gagnons un coquet living-room pimpant comme une comédie musicale en technicolor.
— Si tu trouves une bouteille de rye dans cette baraque, pense à moi, dis-je à Carolina.
Elle se manie la rondelle pour me découvrir l’objet de mes aspirations.
— En voici une ! fait-elle au bout d’un instant.
— Débouche-la !
Je prends le flacon, je me carre dans un fauteuil moelleux comme un tonneau de mélasse, et je m’introduis le goulot sous le renifleur.
Souvenez-vous que le mironton qui a découvert le principe des vases communicants n’était pas la moitié d’un trognon de chou !
Je m’inocule deux bons décilitres de bourbon dans l’œsophage.
C’est le truc qui remplace le beurre !
Je me sens mieux.
Carolina, qui a découvert la salle de bains — la vraie ! — ramène une bande de gaze et un flacon d’huile pour les brûlures.
En un tournemain, elle m’a confectionné un pansement tout ce qu’il y a de meûh-meûh. C’est à croire qu’elle a passé toute sa vie dans un hosto.
— Ouf ! je fais.
Elle tient dans le creux de sa main un gros cachet.
— Avalez ça ! C’est à base de quinine.
J’avale.
Et comme je m’enfonce le cacheton dans l’intérieur à grands mouvements de glotte, voilà la sonnerie du téléphone qui se déclenche.
Nous nous regardons.
— Il faut répondre, dis-je.
J’avance la main vers l’appareil.
Aussitôt, je reconnais la voix sèche de Marrow :
— O’Massett ? demande-t-il.
— Ouais.
— Alors ?
— Il a parlé, mes hommes sont allés cueillir la fille.
— O.K., voilà du bon travail. Débarrassez-vous immédiatement, je ne veux pas courir de risques supplémentaires.
— Entendu.
— Ensuite, vous irez où vous savez.