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— Je vous dis que je suis…

Elle a un geste d’agacement.

— Inutile de mentir. Je sais que vous ne venez point de la part de Marrow.

— Sans blague.

— Oui.

— C’est votre petit doigt qui vous rancarde aussi mal ?

— Non, simplement le fait que vous m’ayez demandé comment s’appelait Adlaï.

— Pourquoi ?

Elle enchaîne :

— Plus le fait que vous me demandiez pourquoi.

Je comprends que c’est scié. J’ai fait une connerie et, maintenant, notre petit cinéma est dans les gogues.

Le parti le plus sage est de la boucler jusqu’à ce que nous puissions avoir une conversation soignée, à l’abri de tout esclandre et des oreilles indiscrètes.

— Où me conduisez-vous ? demande-t-elle.

— Bouclez-la, cocotte. On parlera de ça dans un instant.

Elle s’adosse à la banquette et regarde défiler le paysage d’un air absent.

* * *

Cette réaction ne me paraît pas catholique. C’est la première fois que je trouve sur ma route une femme et son chiard mêlés à une vieille combine ! Carolina ne bronche pas. J’arrive à la propriété près de la River. Ce coin est rêvé pour faire raconter sa vie à quelqu’un qui a envie de la boucler. Je fais entrer tout mon monde au salon désaffecté.

— Carolina, dis-je, peut-être ce chérubin aimerait-il manger un morceau de chocolat ?

Je lui fais signe d’évacuer le lardon. Ce dernier est docile comme un caniche. Il accepte la main qu’elle lui tend et ils nous laissent en tête à tête, la dame en noir et moi.

— Écoutez, dis-je à celle-ci, mieux vaut ne pas perdre son temps. Avez-vous entendu parler de l’Ange Noir ?

— N’est-ce pas ce gangster fameux qui a mystifié si souvent la police ? N’est-ce pas lui qui, tout récemment, a abattu le sénateur Pall ?

— Exact. Il a fait bien d’autres choses depuis. Il a mis le nez dans les affaires de Marrow, et lui a lessivé cinq hommes, y compris O’Massett. Et O’Massett n’était pas un branque, vous pouvez m’en croire…

— Je sais, fait-elle.

— Il y a une chose que vous ne savez pas…

— Je vous écoute…

— L’Ange vient d’enlever le petit homme…

Elle hausse un sourcil, comme Marlène lorsque le gars qu’elle ne peut pas piffer vient lui vendre des salades flétries.

— Tiens, dit-elle, ainsi c’est vous ?

Elle me regarde.

— On se fait des idées fausses sur les gens ; je m’imaginais qu’un gangster comme l’Ange Noir devait être un garçon séduisant, quelque chose comme un loup ardent, vous saisissez ?

Décidément, mon déguisement nuit à mon esthétique car c’est la seconde fois dans la journée qu’on me balance en pleine poire une réflexion de ce genre.

— Nous ne sommes pas venus ici pour discuter les canons de la beauté chez les durs…

— Nous sommes venus ici pour quoi au juste ?

J’y vais à la loyale :

— Pour que vous m’affranchissiez sur l’histoire du petit homme…

Elle a un mouvement de recul…

— Vous ne savez donc pas ?

— Non. Je ne connais que le mot de passe, c’est maigre. J’ouvre des portes, mais je ne sais plus où je me trouve… Alors, vous allez être gentille et me rancarder…

— Jamais, dit-elle.

Elle n’a pas crié… Elle n’est pas théâtrale, elle a parlé tranquillement, fermement, et son ton a sonné désagréablement à mes esgourdes.

— Il vaut mieux ne pas provoquer le matelot, poupée… Depuis ce matin on joue à qui fera jacter son prochain, et jusqu’ici c’est moi qui ai gagné. À votre place, j’irais carrément…

— À votre place, je n’insisterais pas, dit-elle…

— Il existe des moyens de faire parler une jolie fille… Il en existe surtout pour les mères de famille. Que diriez-vous si je ficelais Adlaï entre deux planches, et que je le scie en deux ?

— Vous feriez ça ?

Elle me questionne, non pas d’une voix épouvantée, mais d’une voix curieuse.

— Vous voulez une démonstration ?

Ses yeux plongent dans les miens comme des dards.

— Inutile, dit-elle, je sais que vous êtes capable d’une chose pareille, cela se lit dans votre regard aussi clairement que dans un livre…

— Alors ?

Elle porte la main à la petite poche de son tailleur et en extrait une minuscule ampoule.

Avant que j’aie eu le temps de réaliser ce qui se passe, elle se fourre l’ampoule dans le bec et y donne un coup de dents.

Aussitôt son visage prend une teinte violette, ses yeux s’agrandissent, elle essaie de lever un bras, puis elle bascule sur le plancher.

Carolina entre.

— Que lui avez-vous fait ? s’enquiert-elle.

— Je lui ai posé une question…

Elle se baisse et pose sa paume sur la poitrine de la femme blonde.

— Et c’est avec une simple question que vous l’avez tuée ?

Je réfléchis. C’est possible…

— Elle a croqué une ampoule de strychnine, si tu ne me crois pas, ouvre-lui la bouche…

— Qu’est-ce que ça veut dire ? questionne Carolina.

— Rien de bon… Ce procédé n’est employé que dans certains services d’espionnage : la mort plutôt que la trahison, air connu… Je croyais que c’était un truc pour les romanciers, mais tu vois que non…

Je demande :

— Où est le gamin ?

— À la cuisine. Il boit du lait…

— Allons le rejoindre…

Adlaï est paisible. C’est un gosse au regard triste.

— Alors, lui dis-je, ça marche l’appétit, garnement ?

Il me jette un regard peureux et prononce un « oui » étranglé.

— Comment s’appelle ta maman ? je lui demande…

Il secoue la tête.

— J’ai pas de maman…

— Alors qui est la dame qui t’accompagne ?

— Ferna…

— C’est ta tante, ta grande sœur, ou quoi ?

— C’est Ferna.

— Tu habites avec elle ?

— Oui…

— Depuis longtemps ?

— Oui…

— Tu as quel âge ?

— Six ans.

— Où est ton père ?

— Je n’ai pas de père…

Carolina et moi, nous nous regardons. L’arrivée de ce gosse dans cette aventure est pour le moins déconcertante.

— Où habites-tu ?

— À East Los Angeles…

— Seul avec Ferna ?

— Oui…

— Qui vient vous voir, dans votre appartement ?

— Oncle Sikha…

— Souvent ?

— Je ne sais pas…

— Tu viens fréquemment à New York ?

— Des fois…

— Tu connais quelqu’un, ici ?

Il semble ne pas comprendre la question.

— O’Massett, lui dis-je, tu sais qui c’est ?

Son visage s’éclaire.

— Oh oui, il m’a acheté une petite auto qui ne tombe pas de la table…

— Et M. Marrow, tu connais ?

Là encore, il paraît ne pas très bien comprendre.

— Quand vous venez à New York, Ferna et toi, où couchez-vous ?…

— Dans la maison de M. O’Massett…

Je crois qu’il n’y a rien de plus à tirer de ce petit.

Je retourne dans le salon et je me mets à fouiller les fringues de Ferna.