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Je colle mon buvard devant la glace du lavabo ; ainsi procèdent tous les héros de romans policiers, et je déchiffre l’adresse que le voyageur a écrite sur son paxon ; Mattiew, Greenwich Street, III…

Je balance le buvard dans la corbeille. Je me loque et je descends à la réception.

— Pardon, fais-je au préposé, pouvez-vous me dire le nom du voyageur qui vient de quitter le 1416 ?

J’ajoute :

— Je l’ai aperçu et il me semble que c’est une de mes anciennes relations.

Du moment que j’aligne un biffeton sur le registre, le gars n’a rien à me cacher.

— C’est un certain M. Mattiew, me dit-il…

Je ne laisse rien voir de ma surprise.

— Je vois, n’habite-t-il point Greenwich Street, au III ?

Il potasse le livre des entrées.

— Exactement, Monsieur…

— O.K., ça va…

Et je m’en vais, en me demandant ce que n’importe qui se demanderait en pareil cas, y compris vous, qui êtes de solides mous de la tronche : quel est ce type qui s’envoie à lui-même une liasse de billets de mille, grosse comme un matelas pneumatique, et qui vient loger au Continental alors qu’il crèche à trois cents mètres d’ici ?

Tout en grimpant, j’ajoute : « Et qui demeure à un étage d’où dégringolent des bonshommes… »

Maintenant, si vous vous demandez ce que moi, je fiche dans cette turne, c’est que vous n’avez absolument rien compris à ma psychologie, auquel cas vous feriez mieux d’aller vous faire cuire un œuf.

On dit que les fleurs se tournent vers la lumière… Moi, quand je suis fleur, c’est vers le fric que j’ai plutôt tendance à m’orienter…

* * *

Tout en remuant ce petit cinéma sous mon chapiteau, j’ai gravi les six étages.

La porte de l’ascenseur est grande ouverte. J’examine le sol, mais je ne vois absolument rien d’insolite.

Alors je vais appuyer sur l’unique bouton de sonnette qui accompagne l’unique porte de l’étage.

Un court silence, puis, brusquement, la lourde s’entrouvre et j’ai devant moi une gentille déesse, construite comme si elle devait être exposée au musée.

Elle est brune, roulée comme une cigarette de luxe, et elle a le moins possible l’air anglais. Entendez par là que sa mâchoire inférieure ne précède pas l’autre de cinquante centimètres.

Ses yeux sont bleus. Ses lèvres appétissantes et des petits cheveux fous voilent ses oreilles. Bref, c’est mon genre.

— M. Mattiew, dis-je aimablement.

Elle me fait un sourire qui attendrirait un bandage herniaire. Mais je ne suis pas un bandage herniaire.

— Il n’est pas ici, me dit-elle.

Nouveau sourire qui me laisse extérieurement impassible.

— Quand rentrera-t-il ?

— D’ici une huitaine de jours, il est en voyage…

À ce moment-là, j’aperçois un imperméable d’homme accroché au portemanteau. Cet imperméable est mouillé et, voyez comme c’est marrant, il flottait il y a un quart d’heure.

— Je peux vous entretenir ?

— C’est à quel sujet ?

— C’est privé…

Et j’entre de force. Comme elle n’est pas de taille à s’opposer à mon intrusion, elle s’efface.

Je repousse la porte derrière moi.

— En voilà des façons ! s’exclame-t-elle.

Je la regarde bien posément et je m’aperçois qu’elle est plutôt pâle… Est-ce la colère ou bien autre chose : la peur, par exemple ?…

Je désigne l’imperméable humide.

— Je ne vous dérange pas, au moins ? Je vois que vous avez du monde…

— Mais je…

— Oui ?

— Il n’y a personne, je suis seule…

Je la regarde encore, bien droit dans ses châsses, et je comprends qu’elle ne ment pas. Comme je suis en forme, côté cérébral, je comprends aussi que cet imperméable appartient — ou plutôt appartenait — au brave homme qui gît tout au fond de la fosse de l’ascenseur.

Ce qu’elle peut être à ma main, la déesse.

Elle porte un peignoir de soie pourpre.

— Le rouge vous va bien, dis-je en souriant à mon tour. Vous êtes Mrs Mattiew ?

Elle réagit.

— Et vous, qui êtes-vous ?

— Oh moi, fais-je, ça n’a pas d’importance…

— Allez-vous finir cette plaisanterie !

Elle prend des couleurs, la donzelle.

— Ce que j’en disais, c’était pour savoir… Mais je saurai votre nom, demain… par les journaux.

Là, elle accuse terriblement le choc.

— Vous dites ?

— Que le premier journal venu parlera de vous demain et publiera votre photographie…

— Vraiment ?

— Oui…

— Et pourquoi ?

Je lui mets la main sur l’épaule et elle n’a pas l’idée de se dégager.

Elle est dans le cirage. Mon entrée l’a déconcertée. Elle s’attendait à tout, sauf à la visite d’un personnage pareil. Du reste, son « pourquoi » manque de vérité, voire plus simplement, d’effort. Il est vide, sans intonation, il n’espère même pas donner le change.

— « Pourquoi », je murmure…, pourquoi, ma beauté… Mais parce qu’une vieille coutume de la presse veut qu’on publie en première page la photo et le nom des assassins…

— Ça n’est pas vrai…

— Qu’est-ce qui n’est pas vrai ?

Elle baisse la tête, ce mouvement lui fait découvrir ma main, qui pend sur sa poitrine, elle esquisse un saut de carpe, son regard se voile comme celui de Lakmé.

— Qui êtes-vous ? crie-t-elle.

— Un homme, dis-je. Un homme qui se penche sur votre cas… et sur les cages d’ascenseur.

On a raison de dire qu’il ne faut pas parler de corde dans la maison d’un pendu. Le mot « ascenseur » la fait sursauter comme si elle s’était assise sur un chat crevé.

— Vous êtes américain ? demande-t-elle au bout d’un petit temps mort (c’est le cas de le dire).

— Ça s’entend ?

— Oui…

— D’accord, je suis américain… On peut s’asseoir et boire un coup ?

— Venez…

Elle me fait entrer dans un petit living-room gentiment arrangé.

Je me laisse choir dans un fauteuil. Elle m’imite, sans me quitter des yeux. Elle me fait penser à ces chiens maltraités qui ne perdent pas leur tourmenteur de vue dans la peur de recevoir un coup.

— Vous êtes la femme de Mattiew ?

— Oui.

— Il est parti pour longtemps ?

— Je vous l’ai dit : huit jours…

— Et l’autre, qui est-ce ?

Elle baisse les yeux.

— Ça n’est pas de ma faute, balbutie-t-elle.

— Ce n’est pas un nom, ou alors il est trop long et trop composé. Mrs Mattiew, je vous demande le nom de l’homme que vous venez d’expédier en bas…

— C’est Bobo Stone…

— L’acteur de cinéma ?

— Oui.

Je siffle.

— Mazette, vous travaillez dans les produits de luxe, mon chou. C’est une histoire dont on n’a pas fini de parler.

Je me lève et vais rafler une bouteille de Black & White.

Je la débouche, m’en jette un coup dans le portrait, suivant la méthode dite « à la régalade », et la pose sur la carpette à portée de ma main.

— Si vous me racontiez un peu comme ça s’est passé ?

— Bobo est un ami de mon mari… Voilà longtemps qu’il me fait la cour. Aujourd’hui, sachant mon mari parti, il est venu me trouver… Il était plus pressant que d’habitude. Au point que je lui ai demandé de partir… Il a gagné la sortie. Je l’ai suivi jusqu’à l’ascenseur. La porte n’en était pas fermée, mais il ne s’en est pas rendu compte.