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— Et alors il a mis le pied dans le vide, le pauvre cher homme…

— Oui…

Je me lève, m’approche du fauteuil de mon interlocutrice et lui flanque une beigne sur la bouche.

Elle est étourdie, puis la voilà qui se met à pleurer.

— Cet avertissement pour te faire comprendre que j’ai horreur des gnières qui veulent me refaire le coup du Petit Chaperon rouge. C’est juste le genre d’histoire qu’on raconte aux chiards, mais pas aux loups. Moi, je vais te donner une autre version, poulette. Une bien meilleure, bien plus plausible que la tienne.

« Tu avais décidé de liquider ce mec. Tu savais qu’il viendrait à une heure précise, et tu savais qu’il ne se ferait pas voir, car il avait sûrement l’habitude de venir faire des galipettes pendant l’absence de ton singe. Il se planquait surtout pour éviter les commérages de la presse, toujours à l’affût d’une coucherie d’artiste. Bon, avant qu’il se pointe, tu es allée ouvrir la porte de l’ascenseur afin d’immobiliser celui-ci. Puis tu as attendu.

« Le Bobo a sonné, tu lui as ouvert. Il devait souffler comme un bœuf, six étages à pinces, ça vous bouscule l’aorte. Il a ôté son imperméable. Puis il a levé la tête en même temps que les bras, en raccrochant. Tu lui as mis un coup de quelque chose de dur à la base du crâne, ça l’a étourdi. Alors tu l’as traîné jusqu’à l’ascenseur et tu l’as balancé dans le cirage, au moment où il récupérait. Il a retrouvé l’usage de la parole à cet instant-là et tu n’es pas près d’oublier le beuglement qu’il a poussé.

Elle se mord le tranchant de la main.

— Comment savez-vous ça ? questionne-t-elle.

— Je connais la vie… Dans ton hall, il y avait des traces de godasses mouillées jusqu’au portemanteau, pas plus loin. Donc, le type n’a pas eu le temps de s’installer ici. Tu l’as poivré d’entrée. Et si tu l’as poivré d’entrée, c’est que tu étais prête à le faire.

Elle paraît songeuse.

Alors, il lui vient aux lèvres la question qu’elle aurait dû me poser depuis longtemps :

— Que voulez-vous ?

— Peu de chose… Mattiew s’est envoyé un paquet… Je me suis renseigné à la poste, la distribution aura lieu d’ici une demi-heure environ. Alors je vais l’attendre ici, gentiment, tout en bavardant avec toi. Et puis, lorsqu’il sera arrivé, je le mettrai dans ma poche et nous nous quitterons…

J’étudie son comportement. Le mot paquet ne l’a pas fait tressaillir.

— Un paquet ? demande-t-elle…

Son étonnement n’est pas imité. Est-ce même seulement de l’étonnement ? Non, plutôt un intérêt distrait. Elle est trop préoccupée par son histoire à elle.

— Qu’est-ce qu’il fait, Mattiew ? je questionne.

— Comment ?

— Dans la vie, par exemple : il est marchand de nougats, ou quoi ?

— Il fait des affaires…

— Quel genre ?

— Il achète et vend des bijoux…

Drôle de ménage. Le type s’envoie de l’osier dans du papier d’emballage, il crèche au Continental alors qu’il possède tout à côté un petit appartement chouïa. La bonne femme tue ses visiteurs…

Je bois une nouvelle rasade de whisky et je vais m’asseoir sur l’accoudoir de son fauteuil.

— Il a bon goût, Mattiew, fais-je.

Et je lui chope négligemment un sein. Elle m’écarte la main.

— À propos, dis-je, il paraît que l’Angleterre est un foutu pays : on met une cravate à tous les meurtriers ?

Elle comprend et décide de rester passive. Mon tempérament paillard reprend le dessus. Je n’ai jamais pu demeurer plus d’une paire de minutes, en tête à tête avec une souris fumable, sans avoir envie de jouer à des jeux comme on n’en enseigne pas dans les écoles maternelles. Ses lèvres sont tellement appétissantes que je ne peux me retenir d’y goûter. Au début, elle a tendance à se débattre, mais cette fille doit avoir de la braise dans les veines car elle répond bientôt à mes caresses par des caresses comme on n’en a jamais prodigué, même dans la tôle de mamie Rosenthal à Frisco, pourtant réputée pour le brio de ses pensionnaires.

Bref, je passe un moment délicieux en compagnie de la grognasse. Soudain, juste comme elle remet un peu d’ordre dans sa toilette, un coup de sonnette.

— C’est le courrier, chuchote la fille.

— O.K.

Je vais ouvrir au portier gourmé. Il me tend le fameux paquet.

Alors des cris retentissent, venant de l’intérieur de l’appartement, Et ces cris, c’est la môme Mattiew qui les pousse : « Au secours ! À l’assassin ! À moi ! »

Elle apparaît, les cheveux en désordre, les vêtements en lambeaux.

— Arrêtez-le ! hurle-t-elle en me montrant du doigt… Ne me laissez pas seule avec lui… Il vient de jeter quelqu’un dans la cage de l’ascenseur ! Il veut me violer !

Chapitre II. Du mouvement

Je ne sais pas s’il vous est arrivé, en étant lardon, de voir un de vos potes balancer une pierre dans un carreau et affirmer ensuite que c’est vous qui avez fait le coup. Moi, je reste un moment sans comprendre… Ou plutôt, je mets un moment à comprendre ce que la môme Feu-au-derche est en train de maquiller.

Les gonzesses sont pleines d’imprévu. En voilà une qui était terrorisée par moi, au point de loquer sa vertu pour m’amadouer, et, tout en poussant des cris d’amour, elle mijotait son petit cinéma.

L’espace d’un éclair, je comprends que, si les matuches se pointent, je vais avoir un patacaisse du tonnerre de Zeus sur le râble. On découvrira ma véritable identité ; et comme la souris doit avoir un casier judiciaire aussi blanc que le plastron du duc de Windsor, entre ma parole et la sienne, les condés n’hésiteront pas.

Le portier est là, bras ballants, le cou tellement étiré qu’on dirait qu’il a été pendu deux ou trois fois…

— Mon Dieu, balbutie-t-il, est-ce possible ?

La môme, maintenant, gueule à plein chapeau. On doit l’entendre jusqu’à Picadilly. M’est avis que si je ne prends pas l’initiative des opérations, va y avoir du remue-ménage dans les environs…

Il faut barrer, et barrer vite. Au fond, j’ai le paquet et c’est l’essentiel.

Je tire un ramponneau au bonhomme. Mais, pas un au chiqué, un vrai de vrai, de ceux qui vous font glavioter vos molaires. Son occiput se propage sur le mur. Il s’effondre.

Ensuite, je tire mon feu de sous mon bras et pénètre dans l’appartement.

Je dois avoir ma gueule des mauvais jours car la gosseline commence à jouer des castagnettes.

— Non, dit-elle, non ! Non !

— Écoute, mignonnette, tu as essayé de me bluffer une première fois, et je t’ai calottée. Cette fois tu as dépassé la mesure.

Je la chope à bras-le-corps et je la coltine, hurlante, sur le palier.

Elle a pigé illico mon intention.

— Je ne veux pas ! trépigne-t-elle. Je ne veux pas… !

Mais moi, je veux, je veux très fort, et lorsque je veux très fort quelque chose, une locomotive ne m’arrêterait pas.

Je la cloque au bord extrême du gouffre de l’ascenseur. Puis je me recule, et je la confie au diable, d’un coup de tatane dans le prose.

C’est marrant tout plein, ce cri de cinéma…

— Ah… ahôô ô…

Maintenant, au tour du portier.