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Il ajoute, presque aussitôt :

— Sale histoire, hé ?

— C’est pour me dire ça que tu viens ?

Il repousse mes tiges sur la couchette et s’assied.

— Nom de Dieu ! éclate-t-il… Tu es tombé sur la tête pour te laisser fabriquer comme un môme !

Je soupire :

— Ferme-ça, Centanaro, voilà vingt-quatre heures que je regrette d’être au monde. Je vais te résumer la situation….

— Pas la peine, dit-il, je suis au courant.

— Mais tu ne sais pas tout !

— Avec ça… Dès que j’ai appris qu’on t’avait enchristé, j’ai mené ma petite enquête… J’ai vu Sissy….

— Et alors ?

— J’ai su l’histoire du petit tordu qui te suivait. Je suppose qu’il t’a dit que Little Joly l’avait payé pour ça ?

— Comment sais-tu ? Je n’ai rien dit à Sissy…

— Pas marle : tu devais aller chez ton tailleur, mais brusquement, à la suite de l’entretien avec le pisteur, tu annules ton programme pour bondir chez l’antiquaire. Faudrait avoir un kilo de pois chiches à la place du cerveau pour ne pas faire le rapprochement.

Il allume un atroce cigare qui pue le four crématoire.

— Je suis allé faire un tour chez le vieux. J’ai jeté un coup d’œil un peu partout et j’ai découvert des traces de chaussures boueuses sous son bureau.

— Un mec s’y était planqué ?

— Ouais. Et ce mec, je vais te le dire, c’est Dark-Eyes…

— Le tueur à Bessman ?

— Soi-même…

— Comment diantre ?…

— Dark-Eyes a un pied plus court que l’autre. Sous le bureau il y a l’empreinte d’un soulier droit et d’un soulier gauche, mais ce n’est pas la même pointure…

Je siffle entre mes dents.

— Pas mal raisonné. Dis, Centa, tu as tout du Sherlock…

— Et ce n’est pas tout : j’ai une autre preuve de sa culpabilité…

— Sans charre ?

— La boue ! Il a flotté cette nuit-là, entre minuit et une heure. C’est à ce moment, justement, que se situe le décès du vieux.

J’éclate de rire.

— Eh ben alors, on va me relâcher, non ?

Centanaro secoue sa tête de brave vieux goret.

— Tu es dans la vapeur, non ? Les flics, relâcher l’Ange Noir quand ça fait deux ans qu’ils lui cavalent au panier ! Y a pas un poulet dans tout Chicago qui n’ait rêvé, au moins une nuit, qu’il te foutait la main au colback…

— Quel chef d’accusation, alors, si je tire mon nez de l’affaire Little Joly ?

— Tu débloques, petit ! Primo, toute la police de la ville témoignera contre toi si besoin est, pour dire que tu es allé droit au cadavre de Joly ; deuxio, ils ont tellement de meurtres à te mettre sur le dos qu’il faudrait te pendre tous les matins pendant cent ans pour te les faire expier… Et puis, tout ça est un coup monté. Les flics savent bien au fond que c’est pas toi, pour le brocanteur. À mon avis, c’est un bath piège qu’on t’a tendu. Bessman a échafaudé tout ça et les condés lui ont donné carte blanche. Y a longtemps qu’il t’en veut, l’Autrichien… Et puis ta peau est mise à prix cinquante mille dollars. Je sais pas si tu te rends compte, mais cinquante laxatifs, c’est agréable au toucher. Il a fait un doublé. Faut reconnaître que l’histoire est montée comme un ballet russe. Il savait bien que tu repérerais illico ton suiveur ; que tu t’arrangerais pour avoir un petit entretien avec lui. Et il savait aussi que le garçon viderait son sac sans hésiter. Connaissant ton tempérament emporté, il n’était pas duraille de conclure que tu allais radiner chez la vieille lope…

Je serre les poings.

— Bessman… En voilà un à qui je ferai regretter d’être né, je te jure…

Centanaro hausse les épaules.

— Avant, faudrait te sortir d’ici… C’est moins facile que de souhaiter la bonne année à sa vieille tante à héritage.

Il crachote un bout de son cigare.

— Tu me connais, petit ? Tu sais que je pose un peu là comme défenseur. J’ai sorti du trou des types qui étaient dix fois bons pour la cravate… Mais je sais toujours où je vais et comment j’y vais… En ce qui te concerne, c’est pas ma jactance qui t’évitera le plongeon. J’aime mieux être loyal. Je ne connais pas, sur cette putain de planète, un seul mec capable de te sauver la mise. Les flics en ont tellement leur classe de ta gueule qu’ils te farciraient à l’arsenic si jamais un jury t’acquittait, parole !

Je le regarde droit entre les deux yeux.

— Bon, et alors ?

— Alors, il n’y a pas d’autres solutions que la belle…

— Je pensais bien comme ça aussi.

— Parfait…

Il jette son mégot à terre, l’écrase du talon et en allume un autre, car il a dû décider de m’asphyxier.

— Seulement, continue-t-il, je ne voudrais pas que tu te fasses d’illusions à mon sujet. Tu sais que je suis franco avec les bourres. Si je ne l’étais pas, il y a belle lurette que je serais radié du barreau. Tout ce que je pourrai faire pour toi, c’est poster des lettres. Sorti de là, je ne puis t’être plus utile que ne le sont des bottes d’égoutier à un serpent…

Je le connais, Centanaro. C’est un type réglo. Il fait son boulot à la perfection, mais il ne s’écarte jamais du droit chemin, comme disent les mecs qui ont le temps d’être honnêtes.

Je lui en serre cinq.

— Te casse pas le bol, Centa, je m’en tirerai. Si t’as pas le torticolis, cette nuit, renouche la Voie lactée et tu y verras ma bonne étoile. Tu peux pas te gourer ; c’est la plus brillante ! Mon ange gardien la passe tous les matins à la peau de chamois…

Il a un faible sourire.

— Toi, au moins, t’es gonflé…

Il me pose sa patte d’éléphant sur l’épaule.

— Où est-ce que tu te crois, ici, petit ? Dans une cabine de bain ?… Tu t’imagines peut-être qu’il n’y a qu’à demander le cordon pour qu’on vous ouvre la lourde…

— On a droit à des visites ?

— Ouais, mais t’imagine pas que ta souris ou quelqu’un d’autre pourra t’apporter une panoplie complète d’évadé, avec le prospectus pour s’en servir. Tu le sais p’t’être pas, que les visiteurs passent devant une cellule photo-électrique ? S’ils ont un malheureux cure-dents métallique, ça déclenche un raffut du diable… Ta môme, rien que le fer de ses jarretelles alerterait les matuches.

— Et les paxons ? On y a bien droit aussi, non ?

— Je te vois venir : la lime dans le brignole, hein ? Comme dans les romans à dix ronds… Pauvre ! les paxons que tu recevras, ils vont être tellement tripotés, éventrés, fouillés, émiettés que lorsqu’ils te parviendront, ils feront dégueuler un rat.

Je mets mes bras croisés derrière ma tête.

— Écoute, Centa, tu me fatigues. Tu es plus pessimiste que le Jap qui faisait la torpille humaine. Laisse-moi réfléchir à tout ça…

— Pas de messages à faire parvenir ? Je te le dis ; c’est tout ce que je peux pour ta peau.

— Rien pour aujourd’hui, facteur…

Il se lève en ronchonnant.

— O.K., je me taille.

Et il les met, après avoir poussé un soupir qui ferait fondre en larmes un congrès d’huissiers.

Il a raison, Centanaro. La situation est plutôt moche. Je me trouve dans un merdier vaste comme le Sahara. Si jamais je m’en tire, c’est que le père Bon Dieu voudra prouver à l’humanité souffrante que les miracles sont toujours à la mode.