— Rien de grave, j’ai grillé un feu rouge…
Elle n’a pas l’air satisfaite de cette plaisanterie.
Elle paraît intelligente cette souris. C’est rare pour une grognasse de cabaret ; pourtant, il paraît qu’en Angleterre, les girls ne sont pas fatalement des traînées.
Je lui montre mon revolver, afin de la faire réfléchir…
— Croyez bien que je n’aime pas ces façons de discuter avec une belle fille, seulement je dois planquer mes os. Si les flics veulent m’arrêter je tire dans le tas, et ce serait navrant que vous écopiez…
J’avise sa table à maquillage. Un rideau en cretonne l’entoure. Je le soulève. En me faisant petit, je peux tenir là-dessous.
Je prends la fille par son revers.
— Je me glisse là-dessous. Vous, vous ne quittez cette pièce sous aucun prétexte. Si on vous questionne, vous m’avez vu entrer dans les toilettes, compris ?
Elle hoche affirmativement la tête.
— D’accord, poulette… Et n’oubliez surtout pas ce jouet ! Il n’existe pas dans cette ville deux hommes sachant aussi bien que moi s’en servir…
Je m’accagnarde entre les montants de la table à maquillage ; avec l’ongle je pratique une petite fente dans le rideau et j’attends.
Il n’y a pas trois minutes que je suis là que la porte s’ouvre, sans que l’arrivant ait cru bon de frapper…
C’est Seruti et les matuches.
Mac Gwer salue la fille d’un mouvement désinvolte.
— Excusez-nous, mademoiselle. Nous cherchons un homme… Il n’y a personne ici ?
Il regarde rapidement dans la pièce.
— Un homme comment ? questionne la fille.
— Jeune, grand, assez beau garçon…
Il est gentil, le Chief-Inspector.
— Il porte un complet gris foncé, continue-t-il.
— Et une cravate verte ? complète la girl.
— C’est ça, vous l’avez vu ?
— Oui, il poussait la porte des toilettes lorsque je suis arrivée. Nous nous sommes croisés, il m’a souri… C’est un beau gosse, dites donc ; il a fait quelque chose ?
Mais les flics ne se donnent pas la peine de répondre…
— Il peut s’enfuir par les toilettes ? demande Mac Gwer.
— Oui, dit Seruti, car il peut fort bien gagner la salle et, de là, la sortie…
— Nous aurions dû laisser quelqu’un en faction devant la porte, murmure le Chief-Inspector…
Ils sortent. Je vois que la fille pousse la targette… Alors je quitte mon abri.
— Bien joué, dis-je… Je ne sais pas si votre numéro est bon, mais dans le privé vous vous défendez de première…
Elle ne répond rien. Elle cueille un cintre à habits après le paravent et y dépose son imperméable. Puis elle déboutonne sa robe, sans la moindre gêne. La voilà en combinaison rose chair… Elle pose la combinaison… La voilà en petite culotte et soutiens-truc ! Et moi, les gars, me voilà aussi frémissant qu’un étalon qui vient de brouter de la cantari de pendant trois jours… Si je ne me retenais pas, je marcherais au plafond.
— Qu’est-ce que c’est que ce numéro de strip-tease ?
— Je passe en scène dans un quart d’heure…
— Ça ne vous tracasse pas que je vous regarde ?
— Non, pourquoi ? fait-elle, surprise… Dans quelques minutes un tas de types vont baver dans leurs verres en louchant sur mes bas noirs, je ne vois pas pourquoi j’irais jouer les jeunes vierges outragées parce qu’un homme me regarde.
Je souris.
— Vous alors, vous n’êtes pas comme les autres…
Elle hausse les épaules et ajuste sur ses seins des espèces de coquilles scintillantes.
— C’est ce que disent tous les hommes à toutes les femmes, et au fond ils disent vrai, toutes les femmes sont pareilles mais aucune ne ressemble à une autre.
— Hé, philosophe ? murmurai-je, un peu déconcerté.
— Oh non, fait-elle, je suis bien trop optimiste pour être philosophe. Une philosophe vous aurait dénoncé… Il me suffisait, pour cela, de me plaquer contre le mur, de votre côté, et vous n’auriez pas pu me tirer dessus…
— Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?
— Parce que j’ai assez de me débattre avec mon destin pour vouloir intervenir dans celui des autres. Vous êtes recherché pour meurtre ?
— Plus ou moins…
Elle a un sourire méprisant.
— Et bien entendu, il s’agit d’une erreur judiciaire ?
— Sait-on jamais…
Je lui passe la main sur les hanches. Elle ne bronche pas. Et pourtant je m’attendais à une beigne.
— C’est vrai que vous me trouvez beau gosse ?
— Qu’est-ce qui vous prend ? Vous faites un complexe de modestie.
— Ben… C’est vous-même qui l’avez dit aux flics…
Elle hausse les épaules.
— Il fallait bien leur dire quelque chose…
Elle me regarde attentivement, tandis qu’elle agrafe un curieux tutu en plumes.
— Mais si ça peut vous faire plaisir, c’est vrai ; vous êtes très beau gosse… Un peu… Oui, un peu bestial pour mon goût personnel, mais je comprends que peu de femmes vous échappent.
Elle ôte ses bottes et les troque contre des escarpins.
— Voilà, dit-elle. Eh bien, je vais aller faire mon numéro si vous le permettez ?
Elle s’assied devant sa table et se passe un fond de teint. Je me dis que ma sécurité est entre ses mains. Seulement, je ne puis faire autrement que de lui accorder ma confiance. Si je la retiens prisonnière ici on viendra voir ce qui se passe…
Je découvre son regard dans la glace.
— Oh, n’ayez pas peur, murmure-t-elle. Je ne dirai rien. En sortant de ma loge je vous aurai oublié…
Je ne réponds rien.
Elle essuie ses mains enduites de fards après une serviette-éponge.
Une sonnerie discrète retentit dans le couloir.
Une ampoule rouge s’allume dans la loge de la fille.
— C’est à moi, dit-elle.
Je lui ouvre la porte.
— On se reverra peut-être un jour, je murmure.
Elle sort sans me répondre.
Une môme au poil, cette petite artiste…
Je vois son sac à main, jeté sur une chaise. Je l’ouvre et j’y glisse un billet de cent livres. Avant de le refermer, j’aperçois une carte d’identité. Elle comprend la photo de ma starlette. J’apprends ainsi son nom et son adresse : Lilion Palmer, 7, Chamberlain Street…
Je suppose que les flics ont achevé leur visite au Red Dog. Je pourrais peut-être aller demander deux mots d’explication à cette pourriture de Seruti, hein ? Qu’est-ce que vous en pensez ?
Avant de frapper, je prête l’oreille. Ce serait vexant de se trouver nez à nez avec Mac Gwer. J’ai idée, en effet, que ce moineau-là ne me porte pas dans son cœur et donnerait les joyaux de la couronne d’Angleterre pour avoir le plaisir des me passer les poucettes.
Mais je ne perçois pas d’autre bruit que celui d’une plume griffant du papier.
Toc, toc !
— Entrez, répond Seruti.
Je fais comme il l’ordonne.
Je pensais que ce vachard allait sauter sur son feu ou bien se planquer contre le mur en tremblant comme un sismographe japonais, mais il n’en est rien.
— Tiens, fait-il, d’où sortez-vous ?
Il a un aplomb monstre, le rital.
Comme je tarde à lui répondre, il ajoute :
— Vous savez que la police vous cherche ?