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— Je sais…

— Ah bon… Le Chief-Inspector que vous avez dérouillé a laissé un homme dans la salle, je vous conseille d’être prudent.

— Merci du conseil…

Je vais au bureau où il est en train d’écrire. D’un coup de manche, je balaie toutes les bricoles qui l’encombrent. Puis je m’assieds devant lui, mon pétard dans les mains.

— Qu’est-ce qui vous prend, Martin ?

— Il me prend que j’ai horreur des bourriques. Chaque fois que j’en rencontre une, j’ai tendance à la mettre à l’horizontale.

— Hum, je vois, murmure-t-il.

Je ne puis m’empêcher d’admirer son calme. On dirait que nous sommes en train de discuter de l’achat d’un frigidaire. Il met la main à la poche de son gilet, en extrait une boîte de cachous et la secoue au-dessus de sa main en creuset. D’une petite chiquenaude, il se les expédie dans la bouche.

— Je n’ai pas alerté les flics, contrairement à ce que vous avez l’air de penser. C’est eux qui sont venus ici. Vous avez été assez truffe pour prendre un taxi… Votre signalement a été diffusé par la police et le chauffeur vous a reconnu. Il a fait sa déposition.

Je vais pour lui dire que je ne me suis pas fait conduire jusqu’ici mais il me stoppe d’un geste autoritaire.

— Je sais, vous vous êtes fait arrêter avant ma boîte… (À ce détail, je comprends qu’il ne bluffe pas.) Mais vous avez eu la chance contre vous, mon vieux… Le chauffeur, après vous avoir débarqué, a maraudé un moment dans le quartier, et tout à fait par hasard, il vous a vu entrer ici.

« Si bien que, lorsque Mac Gwer est arrivé, il savait que vous étiez là… J’ai essayé de le chambrer au début, mais il a tiré la dernière édition spéciale de l’Evening Press ; à qui sait lire entre les lignes, il est dit que vous avez buté Bobo Stone, l’idole des foules, Eleonor Mattiew et un portier. Ici, nous ne sommes pas en Amérique, c’est beaucoup pour un seul homme, trois meurtres… Un portier, je m’en moque, un acteur de cinéma ne m’intéresse pas, mais pour la femme d’un champion de la drogue, je ne pouvais couvrir son meurtrier.

Ma curiosité est la plus forte.

— Mattiew est un gars de la drogue ?

— Vous voulez dire qu’il ne se vend pas dans toute l’île un gramme d’opium qui ne lui soit passé par les mains…

Je pige maintenant pourquoi il s’expédie des fortunes en imprimés… Je choisis bien mes victimes, lorsque je viens travailler en Angleterre. Voilà que je ratiboise le gros paxon d’un caïd et que je lui surine sa souris…

Il y a une autre chose que je pige aussi, c’est l’attitude de Seruti. Dans un cas pareil, il ne pouvait agir autrement qu’il a agi. Son comportement me plaît. La façon calme dont il m’a accueilli maintenant me fait comprendre que Pedovna ne s’est pas gouré.

— Écoutez, Seruti, fais-je en rengainant mon arme, il est bien rare que je laisse sur ses pieds un type après ce qui s’est passé, mais je vous trouve plutôt sympa…

Il prend mille livres dans son portefeuille et les jette sur le bureau.

— Merci de votre appréciation, Martin, voici vos mille livres. Vous pouvez filer… Dans les circonstances présentes il ne m’est pas possible de m’intéresser à votre cas.

La moutarde me monte au nez.

— Ça suffit, Seruti… Je crois que la conversation prend une tournure aigre-douce, et ce serait dommage pour tout le monde. (Je m’allume une sèche.) Voyez-vous, Seruti, quelque chose me dit que si vous me connaissiez mieux, vous changeriez d’opinion.

— C’est possible, dit-il.

Il est grave. Il ressemble à un jeune professeur de mathématiques.

— Vous connaissez un peu les U.S.A. ?

— J’y ai vécu quatre ans, avant cette guerre…

— Vous avez entendu parler de l’Ange Noir ?

Du coup il perd son flegme. Il ouvre la bouche, les yeux, les mains…

— L’Ange Noir !

Je tire une bouffée de fumée. Je l’expire par le nez.

— Je crois que ça vous dit quelque chose ?

— Vous seriez l’Ange Noir ?

— Laissez choir le conditionnel. Oui, je suis l’Ange Noir.

— Ça alors…

Il me regarde avec des yeux nouveaux. Pour dissiper ses doutes — au cas où il lui en resterait —, je lui demande :

— Puisque vous connaissez la réputation de l’Ange Noir, pouvez-vous me dire quelle est sa particularité ?

— C’est le plus fort tireur qu’on ait jamais vu, dit Seruti d’une voix où perce une sourde ferveur.

— Oui, c’est l’as du pétard.

Je vais fermer la double porte.

— Je vais vous faire une petite démonstration, Seruti. C’est un petit numéro qui m’a toujours valu le plus grand succès. Je défie quiconque de le réussir.

Sur sa cheminée, il y a des chandeliers de bronze. Ils sont munis de bougies. J’en allume une.

— Maintenant, mon vieux, vous allez tenir ce journal plié en deux devant la flamme. Je vous prie de constater que l’on distingue à peine un vague halo lumineux à travers le journal. Impossible donc de viser la mèche de la bougie, sinon au jugé…

Il en convient.

Je recule au fond de la pièce. Je sors mon feu. Je vise… Le coup part… La bougie s’éteint. Il faudrait être le dernier des peigne-culs, des manchots et des tordus pour ne pas éteindre cette camoufle, la combine du journal, c’est mon chef-d’œuvre, la grande trouvaille justifiant l’existence d’un individu, car la balle n’a rien à voir dans l’histoire, du moins directement, c’est le déplacement d’air produit par les feuilles du journal agité par le choc de la balle qui éteint la petite flamme.

Seruti, comme tous les types auxquels j’ai fait ce coup, n’en revient pas. Il aurait devant les yeux un canard sachant parler allemand et jouer de la trompette bouchée qu’il ne serait pas plus commotionné.

— Formidable, apprécie-t-il.

Il me tend la main.

— Pourquoi ne vous êtes-vous pas fait connaître tout de suite, l’Ange ?

Je hausse les épaules.

— Vous en avez d’excellentes, Seruti. J’ai plaqué momentanément les U.S.A. pour me faire oublier. Et vous voudriez que je me balade dans les rues de Londres, avec mon blaze accroché autour du cou ?

— Évidemment, murmure-t-il.

Et il ajoute, comme se parlant à lui-même :

— Ça change tout…

Il hésite, puis lâche le morceau qui lui titillait la langue.

— Dites, qu’est-ce que c’est que cette histoire avec Bobo Stone et la femme de Mattiew ?

C’est à mon tour d’hésiter… Est-ce que j’invente un conte de fées express ou bien est-ce que je me mets à table ?

Je décide de faire confiance à Seruti.

— Bon, ouvrez grandes vos étiquettes, Seruti, vous allez en avoir pour votre mornifle.

Et je lui raconte tout, très succinctement, en commençant par mon histoire du Continental et en continuant par ma visite à la môme Eleonor.

Lorsque j’ai terminé, il se gratte le crâne.

— On boit un coup ? demande-t-il.

— Je n’ai jamais répondu par non à une question pareille, affirmé-je.

Il s’attelle à sa cave à roulettes et commence à préparer un Cinzano-gin de première grandeur.

— Voyez-vous, fait-il brusquement, je pense que votre situation est, pour le moins, délicate…

— Les grands esprits se rencontrent, fais-je, je pensais aussi un truc de ce genre.

Il continue.

— Les types du Yard sont têtus comme des mulets. Ils sont tenaces, ils sont rusés… Avec eux, vous allez avoir affaire à forte partie…