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Je demande en fin de compte :

— Les pièces ?

— Disparues, je vous le répète… Plus question. La fille les aura planquées et elle est clamsée en emportant son secret…

J’allume une nouvelle cigarette. Il m’a vachement accroché, Seruti, avec ses bonnes histoires… Son idée, je commence à l’apercevoir. Elle montre le bout de l’oreille. Il veut mettre la main sur la collection, le brave rital. Seulement ça me paraît plus duraille à réaliser que d’éteindre une bougie placée derrière un journal.

— Maintenant, votre idée, petit vieux ?

— À mon avis, dit-il, il ne reste plus qu’un lien entre les pièces d’or et… et nous.

— Oui, dis-je : le cinglé.

— C’est ça.

— Vous ne croyez pas qu’on a dû le psychanalyser dans les moindres recoins ? Il ne doit plus avoir grand-chose à bonnir, l’Antony !

— D’accord, fait Seruti. Seulement, sans être le moins du monde piqué de psychiatrie, j’ai ma petite idée. Qu’est-ce qui lui a déboulonné complètement le citron, à ce garçon ? Un choc mental… Ce choc, c’était son meurtre. Si on pouvait le replonger dans une atmosphère semblable, recréer ce choc déterminant, il est vraisemblable, enfin, on peut espérer qu’il retrouverait, sinon la raison, du moins une certaine lucidité. C’est la base même de la médecine mentale…

— En somme, vous voudriez, pour le remettre sur ses rails, lui faire commettre un nouveau meurtre ?

— Oui…

— Bigre, vous voyez large !

Il admet d’un signe le bien-fondé de mon exclamation.

— Une expérience pareille, fait-il, ce ne sont évidemment pas des toubibs qui peuvent la tenter…

— Évidemment.

— D’autre part, nous avons sur les médecins, les parents, etc., d’Antony Roméo un avantage primordial…

— Lequel ?

— Vous ne voyez pas ?

Il y a de la provocation dans cette question. Seruti semble vouloir me dire : « J’ai besoin d’un gars à la hauteur. Pour moi, un gars à la hauteur n’est pas seulement celui qui sait épater les badauds avec un revolver, mais c’est surtout celui qui a autre chose qu’un cervelas truffé à la place du cerveau. »

Je réfléchis.

— Oui, je vois… Nous sommes les seuls à être au courant de l’histoire de l’institutrice chleu… Les Roméo n’ont pas attaché d’importance à cette toquade du jobré pour la môme. Ils ont pris ça pour un caprice de fondu… Ils ont eu tort. Un fondu, sa loufoquerie mise à part, est un type comme n’importe quel type.

— Nous disposons donc de cet argument de poids pour agir sur Antony… Pour lui tisonner le subconscient. Si le choc dont je parlais, réussissait, même partiellement, nous pourrions arracher à Roméo des bribes de tuyau, provoquer peut-être un délire quelconque, grâce auquel certains détails ignorés réapparaîtraient. Nous sommes suffisamment intelligents, vous et moi, pour être capables d’interpréter les incohérences d’un fou. Ça n’est pas votre avis ?

— Si…

— Autre chose, qui plaide en notre faveur ; Roméo ne sait pas que Martha est morte. Nous aurons beau jeu pour lui en fabriquer une, ne serait-ce qu’au téléphone. Ma grande idée est très démultipliée, vous savez…

— Je m’en doute.

— Elle vous sourit ?

— Jusqu’aux oreilles…

Je me gratte le nez.

— Si vous mettiez la patte sur la collection…

— Eh bien ?

Il sent une réticence chez moi et cela l’indispose. Il aime bien que tout marche comme il l’entend, Seruti.

— Vous avez une combine pour l’écouler ?

Alors il a cette superbe réponse :

— Si je n’avais pas le débouché, croyez-vous que je me serais intéressé un seul instant à cette affaire ?

— Bon… Et il est costaud, ce débouché ? Il ne risque pas de vous claquer dans les doigts au dernier moment ?

— Il est en fonte renforcée. S’il risquait de me claquer dans les doigts nous ne serions pas en train de parler de ça !

Il a parlé sèchement. Comme pour le quart d’heure je suis à sa merci, je capitule. Inutile de le foutre en renaud. Il n’aurait qu’à lever le petit doigt pour qu’une nuée de flics s’abatte sur ma petite personne. Et alors, s’ils savaient qui je suis, les copains de Scotland Yard, ils pavoiseraient pendant cent ans pour célébrer ma capture. Ça ne m’emballe pas, mais alors, pas du tout du tout, la perspective de plonger, les pieds en flèche et la corde au cou dans un carré d’ombre noire. Et je déclare, en hâte :

— Notez que je vous fais pleinement confiance, Seruti. Mais j’ai un côté maniaque : lorsque je mijote un coup, je pèche par excès de prudence…

— C’est une qualité, déclare-t-il, radouci.

— Bien, maintenant, il ne me reste plus qu’à vous poser deux questions.

— Pourquoi pas ?

— La première c’est : pourquoi avez-vous attendu si longtemps pour tenter de récupérer le magot ?

Il soupire, s’incorpore quelques grains de cachou et soupire encore.

— Autant nous mettre à jour tout de suite, l’Ange. Je n’ai rien entrepris, parce que je ne suis pas un gangster, pas un dur, pas un intrépide… Je suis une sorte de plaque tournante dans le milieu… J’ai pignon sur rue ; ma boîte marche… Je ne veux pas me mouiller. N’en déduisez pas pour autant que je suis un lâche. Ce serait injuste, injuste et… inexact.

« Simplement je n’ai pas choisi l’aventure ; la grande, la totale aventure… Non, mon job, c’est autre chose…Et je tiens à cette autre chose qui convient parfaitement à mon tempérament, vous saisissez ?

— Je saisis.

Tu parles ! Seruti c’est un drôle de malin. Il trouve idiot de risquer ses os à chaque minute, d’être traqué par les flics, de vivre avec un pétard sous son oreiller… Il a une conception un peu administrative du crime. Une conception bourgeoise. Il a des idées, à d’autres de les exploiter sous ses directives. Il se mouille le moins souvent possible, doit être en combine avec les bourres et jouer les mouches de temps en temps, non par vice, mais pour garantir ses arrières.

— Vous représentez-vous le travail à accomplir, l’Ange ?

— À peu près…

— Il va falloir kidnapper un fou furieux dans un asile. Et les asiles, en Angleterre, sont comme les prisons : très bien gardés. La besogne ne vous paraît pas trop importante ?

Cette réflexion me pique comme un boisseau de puces.

— À mon tour de vous le dire, Seruti… Si je ne me sentais pas capable d’exécuter ce turbin aux pommes, je vous parlerais d’autre chose.

— Parfait. Une fois le fou kidnappé, vous devrez le garder, ça n’est pas rien…

— Je suis un grand garçon, vous savez…

— Et surtout, fait-il en baissant instinctivement le ton, il va falloir lui faire commettre un meurtre, l’Ange. Je crois que c’est ce dernier acte qui m’a toujours retenu de me lancer dans cette aventure. J’aurais peut-être pu trouver des mecs capables de faire évader le fou. Mais je n’en ai jamais rencontré d’assez hardis, d’assez gonflés pour organiser un meurtre expérimental…

— C’est chose faite…

— Et la deuxième question ? demande-t-il, car il ne perd jamais le fil de la conversation.

— Oh, simple côté margoulin de la chose. Vous envisagez de collaborer sur quelles bases ?

— Moitié-moitié, avance-t-il, après une brève hésitation.

Deuxième partie