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La journée passe, sans que je sois arrivé au moindre résultat. Je me fous dans une rogne noire… Et alors, au moment où je désespère, je pige tout. Deux infirmiers discutent le morcif sur un banc. Le premier dit :

— Bon Dieu, je suis content d’attraper ce service cette semaine. Au pavillon des agités, c’est un vrai cauchemar… Ils gueulent toute la nuit… Des loups, je te dis…

Le pavillon des agités ! Bien sûr, je ne les ai pas tous vus, les tordus… Ce sont seulement les doux qui vivent en communauté. Ceux qui ne sont affligés que d’innocentes marottes.

En admettant que Roméo soit calme, étant donné qu’il a déjà buté quelqu’un, on ne le laisse pas en contact avec les autres… Ce serait trop risqué.

Oui, ça c’est net. Seulement ma tâche va être salement compliquée. Je ne sais pas où se trouve ce pavillon, ni comment y entrer…

Je m’assieds sur le banc, au côté des infirmiers.

— Vous permettez, messieurs ?

Ils me regardent avec indifférence.

— Je suis le nouveau, dis-je. Je ne comprends pas du tout pourquoi on m’a amené dans cet asile car je ne suis pas fou…

Ils échangent un clin d’œil qui veut dire : « Avec eux c’est toujours le même refrain ».

Je souris.

— C’est tout de même heureux qu’on ne m’ait pas bouclé dans le pavillon des excités…

— Ça peut venir, ronchonne l’un des deux hommes.

— Grand Dieu, ne m’épouvantez pas, messieurs…

Je feins un grand intérêt…

— Comment cela se passe-t-il, là-bas ?

— Petit curieux, dit l’autre infirmier.

Il ajoute :

— Les piaules sont capitonnées et les gars n’en sortent pas. C’est tout…

— Et où est-il, ce pavillon ?

— Derrière le corps de bâtiment principal, c’est tout ce qu’il y a pour votre service, mon petit ?

Je crains d’avoir éveillé quelques soupçons.

— Merci, fais-je…

Je me lève et, tirant ma ficelle, murmure :

— Allons, minet, viens voir le pavillon des agités.

Les infirmiers se tirebouchonnent.

* * *

C’est un pavillon beaucoup plus petit que l’autre. Il n’est percé que de minuscules fenêtres grillagées.

Je m’arrête devant la porte et regarde le couloir qui s’offre à moi. Qu’est-ce que je risque ? Si on me stoppe, je dirai que je me suis paumé et que je cherche ma carrée.

Étant donné que je viens d’arriver, le prétexte est excellent. Je pénètre donc dans l’estanco. Je n’y ai pas plus tôt mis le pied qu’un hurlement terrible retentit. C’est un cri semblable à celui que pousserait un chien frappé à mort. Un cri profond, inhumain. Un cri de dément, quoi ! D’autres lui répondent. C’est comme au zoo, dans la section des perroquets. Vous en avez un qui pousse un cri et tous les autres se mettent à l’ouvrir, comme à la suite d’un signal.

Mon sang se glace. Moi j’aime la bagarre. Le danger ne me fait pas peur. La mort, je lui pisse au cul… Seulement j’ai horreur de ce qui n’est pas franco.

Je m’aventure tout de même à l’intérieur des locaux. En bas, ce sont les salles de douche… Les chambres se trouvent au premier étage…

Je grimpe l’escalier… Un couloir divise le pavillon en deux. Des portes s’ouvrent à droite et à gauche. Elles sont numérotées et munies de judas. J’ouvre ces judas les uns après les autres et je bigle à l’intérieur des cellotes. Ma douleur ! Ce que je vois ferait dresser les cheveux sur la tête d’une statue ! La plupart des occupants de ces chambres-cellules sont ligotés dans une camisole de force et hurlent couchés, sur leur lit.

Le parquet et les murs sont garnis de caoutchouc. L’escabeau de chaque pièce est rivé au sol. Une tablette fixée au mur sert de table.

Je visite du regard la première, la seconde, la troisième, et je ne vois toujours rien qui puisse ressembler à Roméo.

J’ouvre le quatrième judas, le cinquième… Toujours rien. J’ai fini tout le côté gauche. Je passe alors aux portes de droite. À la septième, j’ai un haut-le-corps. Bien que la photo qu’il m’a été donné de voir ne soit pas fumeuse, il ne m’est pas possible de me tromper : c’est lui, c’est Antony Roméo…

Il n’a pas de camisole, il ne crie pas. Il est maigre comme un squelette. Son visage, c’est un tas d’os avec, au milieu, deux immenses yeux mornes. Il est brun, il a le teint mat… Il est assis sur son lit, adossé aux montants de fer. Une couverture est jetée sur ses jambes… Il a les mains croisées, les yeux mi-clos…

— Que faites-vous ici ?

Je sursaute et je regarde celui qui m’interpelle… C’est un des deux infirmiers auxquels je viens de parler…

— Ça vous intéresse tellement, le quartier des agités ?

— Oui, je fais avec mon rire le plus niais. Je suis bien content de ne pas y être. J’étais en train de le dire à minet…

— Ah ouais !

Il me blaire avec méfiance.

— J’sais pas, mais vot’ gueule me revient pas, petit… Vous et votre minet à la noix vous feriez pas mal de vous tenir peinards, vu ? Burns ! crie-t-il à la cantonade.

Une petite porte pratiquée à l’entrée du couloir s’ouvre. Un autre infirmier paraît. Il a des yeux aux paupières gonflées comme des poches d’aviateur.

— T’étais en train d’en écraser ? demande mon infirmier.

— Et alors ? rétorque Burns, qu’est-ce que t’as à y redire ? Avec les nuits qu’on passe dans ce secteur, si on peut pas s’étendre deux minutes dans la journée, c’est à désespérer de tout.

— C’est ça, ronchonne l’autre, qui décidément fait du zèle. Et t’as vu qui se baguenaude dans les couloirs pendant ce temps ?

— Qui c’est ce type ?

— Un nouveau… Un qui m’a l’air particulièrement dégourdi pour son âge… Un que je vais avoir à l’œil…

— Comment qu’il s’appelle ?

— J’en sais rien. Comment tu t’appelles, eh, ballot !

— Malloy, fais-je, car c’est ma nouvelle identité…

— Bon, alors Malloy, tu vas te prendre par la main et me foutre le camp d’ici, vu ? Et si jamais je te retrouve à rôdailler dans ce coin, tu auras droit à une douche froide de première grandeur, vu ?

— Je voulais montrer à minet, balbutié-je.

Mais je serre fort les poings sur ma ficelle.

Je me barre doucement. Maintenant, j’ai tous les atouts…

Maintenant…

Je sais où est le quartier de Roméo. Je sais où est sa chambre…

Je sais que les portes des dites chambres ferment à clé.

J’ai vu le gros trousseau passé dans la ceinture de Burns.

Je sais où est la chambre de Burns.

Je sais qu’il aime dormir… Que demande le peuple ?

Si je ne suis pas un manche, cette nuit je ferai le turbin.

En effet, j’ai convenu avec Seruti que, comme je ne pourrai plus communiquer avec lui de l’intérieur, toutes les nuits, quelqu’un attendrait à cent mètres à gauche de l’asile dans une voiture. L’attente doit se faire de minuit à deux heures. Il est temps que je m’organise…

Chapitre X. La belle

Il est dix heures du soir.

Je suis bouclé dans ma chambrette depuis une paire d’heures déjà. Tout est calme. Par l’imposte vitrée, je vois briller la veilleuse bleue du couloir. Alors je vais à mon placard de métal où sont entreposées mes affaires. Il y a un gros pain d’épice truqué, que m’a remis Seruti. Une fois sorti de la cellophane qui l’enveloppe, ce pain d’épice s’ouvre en deux. Il est évidé de l’intérieur et renferme un browning de 7,65 avec un chargeur de rechange.