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J’ôte ma veste de cinglé. J’enfile un veston civil et je récupère dans ma trousse de toilette une paire de minuscules pinces que j’y ai camouflées. Dans l’après-midi, j’ai repéré les lieux. Je sais où se trouve le standard téléphonique et j’ai identifié les fils que je devrai sectionner tout à l’heure. Il y a ceux du téléphone, puis d’autres qui commandent la sirène d’alerte.

J’attends encore une heure… Brûlant d’impatience. Il servirait à rien de faire mon coup trop tôt, car je serais marron pour la bagnole. Et, franchement, je ne me vois pas vadrouillant en pleine campagne avec un zig comme l’Antony. J’aimerais mieux me baguenauder en coltinant une locomotive plutôt que ce type sans rien dans la calbombe. Si au moins, j’avais une bouteille de rye à portée de la main. Mais s’il y a du rye dans la boutique, c’est le directeur qui s’en gargarise…

Je fais jouer la gâchette de mon feu, à vide, pour vérifier son fonctionnement… Puis je remets le chargeur. Lorsque le cadran lumineux de ma montre indique onze heures, je vais à ma lourde et je me mets à la défoncer à coups de pied. J’espère que l’infirmier de garde viendra seul…

Au bout d’un moment de cette tabagie, j’entends un bruit de pas… Une clé dans la serrure… Un type entre, en grommelant que si le nouveau se met à jouer au con il va lui apprendre à vivre…

Je me suis plaqué contre le mur et je le tire brusquement à moi, avant qu’il n’ait le temps de m’apercevoir.

Il se retourne, je lui file un coup de tête dans les gencives. Ça me chahute vachement le caberlot et à lui ça doit lui faire n’importe quoi, sauf du bien. Il me le prouve en crachant trois dents au milieu de la pièce.

Alors j’attrape mon revolver par le canon et je lui en mets un paquet derrière la nuque.

Il n’insiste plus et prend le parti le plus raisonnable : celui de se propager dans le cirage.

Sans perdre de temps, je lui quitte sa blouse et l’enfile par-dessus mon costume. Puis je prends sa calotte blanche qui a roulé à terre et je m’en coiffe.

Il en ferait une trompette, le Chief-Inspector Mac Gwer s’il me voyait en ce moment !

Je hisse le type sur mon lit, je le borde après lui avoir ligoté les brandillons et les flûtes. Ensuite je lui applique sur la bouche une bande de sparadrap. De ce côté, pas d’histoires…

Je sors et tourne la clé dans la serrure.

Au lieu de gagner la sortie, je me dirige vers le standard qui se trouve au fond du couloir. J’ouvre… Et je comprends aussitôt pourquoi elle n’est pas fermée, la lourde : le directeur est là, agenouillé devant un petit meuble, il en extirpe une bouteille de bourbon.

J’ajuste mon feu à mon poing.

— On trinque ? je propose.

Il fait volte-face et me regarde en clignant désespérément des paupières. Il aperçoit mon revolver et il biche vraiment les jetons.

— Allons, allons, mon ami, dit-il. Calmez-vous, je ne vous veux pas de mal…

Je rigole.

— Te frappe pas, Toto… Du mal, c’est plutôt moi qui t’en voudrais… Pas par sadisme, mais tu as tort de ne pas être dans les plumes à ces heures. L’ivrognerie est un vilain défaut.

Je lui balance un terrible coup de pied dans le bas-ventre. Il ouvre grand le bec, fait « A a a a a a… » jusqu’à plus souffle, devient d’un beau vert foncé et s’évanouit. Moi, sans perdre une seconde, je débouche le flacon de whisky et je m’en téléphone la valeur d’un verre à vin. C’est ma mesure des grands jours. Ensuite je casse le flacon sur le crâne du directeur qui essayait de retrouver ses esprits. De l’affaire, il ne retrouve plus rien. Je sectionne les fils prévus.

Et je quitte le bâtiment.

* * *

La grosse difficulté, c’est d’éveiller le gardien du pavillon des agités. Comme la porte du bas est fermée, que je n’ai aucun passe-partout à ma disposition et que je n’ai pas le temps d’avoir une conversation privée avec la serrure, force m’est d’actionner la sonnette. Elle fait un boucan du diable. J’ai peur qu’elle n’attire l’attention d’autres personnes que le gardien. Comme rien ne bronche, je resonne à nouveau.

Une lumière éclate dans les vitres d’une petite fenêtre du premier. La sonnette déclenche des hurlements dans la crèche. Dans une certaine mesure, ces cris me sauvent la mise, vous allez piger pourquoi.

Au lieu de descendre ouvrir comme je l’espérais fermement, le veilleur, Burns, se met à la fenêtre. Comme toutes les croisées sont grillagées, il ne peut se pencher, donc me voir distinctement. Et comme ses clients hurlent à la mort, il ne peut prêter attention à ma voix.

— Qu’est-ce que c’est ? fait-il.

— Oh, je lui dis, descends me donner un coup de main ; le directeur est là, à côté, étendu raide, on dirait qu’il est mort. Il a dû chopiner un peu trop et…

— Sans blague, dit l’autre.

— Allez, Burns, manie-toi, crié-je…

Il essaie de me voir, mais tout ce qui peut lui être visible, c’est une silhouette blanche.

— C’est toi, Smith ? s’informe-t-il.

— Non, je lui lance, c’est le duc de Windsor…

Il ronchonne des trucs comme quoi si les cons jouaient aux dominos je serais le double six. Puis il peste contre ce poivrot de nom de Dieu de charogne de directeur qui enquiquine son monde par tous les moyens… Enfin il descend.

La porte s’ouvre.

Burns sort sur le perron.

— Où est-il ? demande-t-il.

Je lui appuie le canon de mon browning sur la poitrine.

— Ici…

Il baisse la tête et reconnaît un rigolo. Il croit à une farce.

— Qu’est-ce que c’est que cette plaisanterie ?

— Entre, je vais t’expliquer…

Une fois dans la lumière il me dévisage et, pendant un bref instant se demande qui je suis.

Puis soudain il se souvient de moi.

— Sapristi, murmure-t-il, c’est le cinglé de cet après-midi.

Il flageole.

— Qu’est-ce que vous me voulez ?

— Un peu d’aide…

— De l’aide ?

— Oui. J’aimerais que tu ouvres la porte de Roméo…

— Le 7 ?

— C’est ça, le 7…

— Mais ???

— Oh ! ça va, j’éclate, on ne va pas commencer avec les mais, les pourquoi, les comment… Fais ce que je te dis, ou tu vas déguster du plomb dans les tripes.

Il secoue la tête.

— Oui, oui…

Nous montons. Il ouvre la porte de ce nave d’Antony.

— Il marche, le gars ?

— Oui…

— Alors fais-le sortir…

Il va réveiller Roméo. L’autre est aussi nerveux qu’une crotte de chien. Il se lève.

— Habille-le chaudement, Toto, les nuits sont fraîches.

Il l’habille. Quand c’est fait, il pousse le fou dans le couloir.

— Et maintenant ? demande-t-il.

— Maintenant, lui dis-je, on va se dire au revoir gentiment.

Et je lui tends la main. Il hésite, puis, toujours tremblant, laisse tomber l’éponge qui lui sert de paluche dans ma dextre. D’un mouvement brusque je l’attire contre moi et, tout comme pour son collègue, je lui mets un coup de tête dans les dents. C’est un truc qui permet d’ébranler un type sans qu’il puisse ameuter la garde.

Il porte ses mains à sa bouche, c’est instinctif. Je puis donc, tout à mon aise, le sonner avec ma crosse, et le coucher dans le lit du fou.