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J’ai bien pris garde que Roméo ne voie pas ce petit massacre. Je ne tiens pas à lui titiller le subconscient plus tôt que nous avons décidé de le faire.

— Ça va, Roméo ?

Il ne me regarde pas… Entre lui et un chiffon mouillé il n’y a pas le moindre signe distinctif.

Chapitre XI. Ça remue

Je cramponne le bras de la nave.

— Allons, viens, Toto, je lui susurre le plus cordialement possible.

Il me suit, d’un petit pas automatique. Il marche comme un robot, ce gars-là… Je lui fais descendre les escaliers et nous sortons. Je contourne le bâtiment principal et, au lieu de m’engager dans l’allée principale, je monte sur la pelouse, ce qui offre l’avantage de feutrer nos pas et de nous sortir du clair de lune, car la haie de marronniers nous protège…

Nous venons de parcourir une bonne centaine de mètres, lorsqu’un aboiement de chien éclate, sonore, féroce.

Je fais la grimace. Voilà bien ma veine ! Un clébard ! C’est le bouquet… Maintenant le gardien est prévenu, impossible de lui faire ça à la surprise… En effet, des lumières apparaissent dans sa cabane. Il se lève. Il va détacher le cabot et s’annoncer. Peut-être même avant de faire quoi que ce soit, va-t-il alerter les infirmiers du bâtiment central ? Il doit exister une sonnerie d’appel dans sa loge… Je me hâte d’approcher de sa cambuse. Plus tôt j’aurai eu une explication avec lui, mieux cela vaudra… Seulement, le hic, c’est que je ne puis lâcher mon Roméo, car j’ignore quelles seraient ses réactions. J’aurais bonne mine si, brusquement, il se remettait à cavaler en direction de l’asile…

Le gardien sort dans la petite cour attenante à sa maison. Il va à la niche du chien et se baisse pour le détacher. Je crois qu’il est inutile de laisser achever l’opération.

— Stop ! je m’écrie en sortant mon feu.

Il se redresse, comme si on venait de lui coller un cigare allumé dans le pétrousquin, son regard bigleux fouille désespérément l’obscurité. Il aperçoit la tache blanche que forme dans le noir ma tenue d’infirmier.

— Qui êtes-vous ? demande-t-il.

— Le cousin de la bicyclette à Jules, petit gars. Lève bien haut tes bras et avance par ici ou il va t’arriver un petit malheur…

Il ne bronche pas.

— Tu as compris !

Lui, c’est pas une lavasse. Ils savaient ce qu’ils faisaient les dirigeants de l’asile en le nommant garde. Il s’accroupit derrière la niche de son cabot et finit de le détacher. Le chien se rue en avant en grondant… J’aime pas beaucoup les dogs qui bavent et courent tête basse, aussi je me tiens prêt à l’assaut.

Le gardien excite son damné clébard.

— Vas-y, Pietr ! crie-t-il… Tue-le !

L’animal n’est plus qu’à deux mètres de nous. Il s’arrête brusquement, le poil hérissé.

— Saute ! Saute ! trépigne le garde.

Mais il n’en fait rien. Alors je comprends que c’est la présence de Roméo qui paralyse le chien. Les cabots flairent et redoutent les fous, la chose est connue. Je dois profiter de l’occase. Je suis dans le genre de Sainte Blandine que les lions refusaient de mordiller.

Je mets mon poing serrant le feu à ma hanche. Je presse la gâchette. Le chien pousse un bref hurlement et se couche sur le flanc… Il gigote un bout de temps, l’écume aux lèvres.

— Sors de ta planque, je dis au garde, ou bien je t’assaisonne comme j’ai assaisonné ton affreux toutou !

Une balle miaule à mes oreilles.

Cette carne a décidé d’engager la bataille. Cela ne fait pas mes oignons. D’abord, parce qu’il risque fort de me sucrer ou de sucrer Roméo, ensuite, parce que cette mitraillade est le plus sûr moyen d’alerter les populations. Je décide d’en finir, et d’en finir vite.

Je fais un croc-en-jambe au cinglé pour lui éviter de déguster et je m’avance vers la niche, plié en deux. Le garde s’en donne à cœur joie. Il fait voltiger ses prunes avec beaucoup de maîtrise. Ça bourdonne autour de moi, d’une manière inquiétante.

Tout en avançant, je jette de brefs regards derrière moi pour surveiller Roméo. Mais il n’a pas l’air de s’apercevoir qu’on est en train de reconstituer la bataille des Flandres. Il reste étendu sur le sol, sans réaction.

Me voici de l’autre côté de la niche.

« Tire, mon lapin, tire bien, je murmure intérieurement, quand ton magasin sera vide, je t’enverrai de la marchandise. »

Son magasin est vite vidé. Alors j’écarte la niche d’un coup d’épaule.

— À moi de jouer, bonhomme ! dis-je.

Il se dresse, en même temps que moi. Le synchronisme de ce mouvement doit être marrant à voir. Mais personne ne le voit. Il lève son revolver pour s’en servir de matraque, mais je n’ai pas de mal à esquiver. Son geste perdu le déséquilibre légèrement. Il se penche en avant, alors je lui remonte le menton d’un parpaing bien ajusté.

Il s’ébroue. Sans lui laisser le temps de récupérer, je le déconcerte avec un crochet du gauche que n’importe quel champion du monde m’envierait.

— Maintenant, assez de friction, ouvre la lourde ou je te brûle !

Il est tout chose.

Je vais récupérer Roméo. Je le remets sur ses tiges et lui reprends le bras.

— Tu vas te démerder d’ouvrir, dis-je au garde, tu as deux secondes pour te décider, sinon, tu ne verras pas le jour se lever.

Parfois, là où la force est impuissante, la poésie réussit.

Cette image du jour se levant sans lui le décide à remiser son devoir pour une autre occasion. Il se dirige vers la porte.

Là-bas, du côté de l’asile, c’est le grand branle-bas de combat. Les coups de feu ont donné l’alarme.

— Manie-toi, ordure !

Il me dit que la clé est restée chez lui.

— Eh bien allons la chercher, et pas un geste de travers, hein ?

Nous pénétrons dans une cuisine triste qui sent la pipe froide. Il saisit une clé un peu moins grosse qu’une manivelle d’auto…

— Grouille, grouille !

Comme il introduit cette clé monumentale dans la serrure du portail, un crissement de gravier me fait retourner. J’aperçois l’infirmier qui m’espionnait cet après-midi.

C’est un vrai chien de garde que ce type.

Il tient un tisonnier à la main.

— Je me doutais bien que tu n’étais pas fou, grogne-t-il. Tu ne m’as pas eu avec tes simagrées, fumier !

Et il lève son tisonnier.

C’est un tort. Il aurait dû voir, avant d’agir de la sorte, que je tenais moi, un soufflant.

Je lui cloque une balle dans le bide presque à bout portant. Il lâche la tige de fer et porte sa pogne à l’endroit sensible. Le gardien a fait tourner la clé.

La porte grince sur ses gonds.

— T’es un frère, lui dis-je, en lui mettant sur la nuque mon coup de crosse favori.

Ouf ! voilà la route ! Je commence à avoir le poignet endolori à force de cogner à droite et à gauche…

Chapitre XII. L’expérience

Comme convenu, à cent mètres du portail, une voiture est là tous feux éteints. Je trotte à sa rencontre, aussi vite que me le permet le Roméo.

La voiture qui, à mon apparition, s’est mise à rouler en première arrive sur moi et stoppe.

Une voix que je crois reconnaître me lance :

— Grimpez vite !

J’ouvre la portière arrière, je pousse Roméo à l’intérieur et je me laisse choir sur la banquette à ses côtés. La bagnole démarre en trombe. Je me penche pour identifier le conducteur et je reconnais Tiarko.