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Elle avait un tempérament de médium, la gosse, ça se peut, mais moi, je devais avoir un drôle de voltage dans les accumulateurs parce qu’il n’y avait que mézigue pour réussir cette expérience. Tout ce que le copain réussissait à faire, c’était de la réveiller.

Par la suite, nous avons varié les plaisirs et on l’a passée à la casserole, ce qui était inévitable étant donné la promiscuité. Comme on n’était pas fiérots, on a bavouillé aussi sa vioque à la fillette, un soir qu’elle s’était enfoncé cinquante centilitres de punch dans le réservoir.

Mais là n’est pas la question, comme disait le bourreau au condamné qui se trompait de lourde.

Je saisis le petit doigt de Roméo.

J’approche mes lèvres de son esgourde, et je chuchote en concentrant ma volonté :

— Antony, tu m’entends ?

Silence…

Il ne doit pas être sur ma longueur d’onde, ou alors mon fluide s’est éventé comme du rhum qu’on a laissé débouché trop longtemps.

Je serre un petit peu plus son doigt.

— Antony, voilà Martha…

Ses lèvres remuent. Dans un souffle il profère :

— Martha…

— Elle est jolie, n’est-ce pas ?

— Oui !

Il a dit oui ! Il a, pour la première fois, répondu à une question.

J’en transpire d’excitation.

— Tu l’aimes, Martha ?

— Martha…

— Oui, Martha… Vous allez partir tous les deux… Vous allez à Capri dans un beau bateau bleu…

— Oui…

Et un sourire se dessine sur son visage.

— Capri… La mer… Les orangers…

— Capri, redit-il.

— Vous avez de l’argent, beaucoup d’argent : la collection de pièces…

— Oui…

Ma glotte tressaute. Je vis un des grands moments de ma vie. Donc Seruti avait mis juste. Martha s’était occupée de la collection. Le patron du « Red Dog » ferait un policier de première… de première bourre !

Je poursuis mon avantage, l’esprit tellement tendu que si j’éternuais ça se déchirerait sous mon caberlot.

— Elle a trouvé une cachette sûre, pour les pièces, Martha…

— Oui…

C’est là que ça devient du turbin de précision.

— Où les a-t-elle mises ?

— Une cachette, balbutie-t-il.

— Quelle cachette, Antony ?

— Je ne sais pas…

Alors là, je l’ai dans le réchaud, et profond ! Un type dans cet état ne peut pas mentir, vous comprenez. S’il dit qu’il ignore où la fille a carré le crapaud, c’est qu’il n’en sait vraiment rien.

Pas besoin d’insister, on est marron. J’ai foutu la pagaille à l’asile pour des clopinettes. Voilà que je me mets à gratter pour la gloire maintenant, ou plutôt pour la peau ! J’ai plus qu’à me faire inscrire à la maison de retraite des vieux gangsters dans la pommade. Enfin, avec le gros paquet récupéré chez Mattiew, j’ai de quoi voir venir.

Alors il me vient une idée.

Après tout, Roméo ignore la planque, mais il connaît peut-être des éléments permettant de réfléchir.

— Elle t’embrassait, Martha, hein ?

— Oui.

— Et te faisait des trucs, non ?

— Des trucs ?

Je devrais me douter qu’il ne parle pas l’argot.

— Des caresses. Elle te faisait de bonnes caresses, cette petite chérie, hein ?

— Oui.

Bon, la môme l’a affolé, si je puis dire en parlant d’un mec qui, à l’époque, était déjà à moitié pincecorné.

Elle s’est prodiguée. Seulement elle n’a pas pu le faire chez les Roméo.

— Tu sortais avec elle et les enfants, Antony… Promenade…

Il fait :

— Promenade…

— Elle avait une amie qui gardait les petits dans un square… Une dame… Tu allais avec elle dans une petite chambre… C’était bon…

Silence. Mais il a la pomme d’Adam qui s’agite.

— C’était bon, hein ? Vous vous embrassiez ?

— Oui…

— C’était où, cette jolie petite chambre ?

Silence. Cela aussi il l’ignore. Pouvais-je espérer qu’un fou allait me lâcher une adresse !

En tout cas, du point de vue psychologique j’ai mis dans le mille. Je vois parfaitement le jeu de la petite Allemande. Elle ne devait pas être décrépie de la toiture, Martha. Une petite chambre ! Eh oui. Elle devait vamper Roméo en toute tranquillité. Comme c’était une espèce de grand gosse fantasque, elle l’emmenait balader. Une copine lui gardait les moujingues. Et elle, pendant ce temps, elle allait affoler les sens de son client. Elle allait surtout faire entrer dans le bocal toutes les phases de son programme…

— Elle était jolie la petite chambre ?

— Oui, jolie…

— Dans un hôtel ?

Il se tait.

— Non, pas… Non…

— Où ?

— Une maison… Avec un chien.

Il éclate de rire et dit :

— Oh, merci, Madame Tremble !

Puis il rit encore et ronfle comme un poivrot.

La communication est coupée.

Du reste qu’aurait-il pu dire de plus, Antony Roméo ?

Tout ce que je sais, c’est que la Martha l’emmenait batifoler dans une crèche qui était une maison particulière, avec un chien et une bonne femme dans le coin qui s’appelait Tremble.

À mon tour je bois trois glass de rhum et je me pieute.

Chapitre XIV. Le second meurtre de Roméo

Des graviers dans les vitres me réveillent. Je saute sur mon feu et je me glisse contre le mur, près de la croisée.

Je jette un coup d’œil à l’extérieur et j’aperçois Seruti, sanglé dans un imperméable, un chapeau mou rabattu sur le front.

Je descends lui ouvrir.

— Salut, l’Ange, dit-il. Bravo, mon cher, je vois que votre réputation n’est pas surfaite. Comment va notre homme ?

— Il en écrase. Qu’est-ce qu’on dit de notre affaire, à Londres ?

Il plisse son front étroit.

— Il y a du remue-ménage au Yard, vous pouvez en être certain. Les journaux ont titré ça sur quatre colonnes en première page. Pensez : deux meurtres !

— Deux, demandé-je… Tiens, j’aurais cru moins… Qui est clamsé ?

— Le directeur et l’infirmier sur lequel vous avez tiré. Un autre, le premier auquel vous vous en êtes pris est dans le coma… Bref, un vrai carnage. Heureusement qu’on vous prend jusqu’ici pour un fou furieux, mais cela ne durera pas. Les flics ne sont pas des imbéciles et ils se doutent bien que si vous avez fait évader Roméo, que si vous disposiez d’un revolver et d’une pince, vous n’êtes pas un fou ordinaire. Seulement ils sont malins. Ils la bouclent et ils travaillent dans l’ombre…

Il a l’air un peu maussade, Seruti. Tous ces meurtres lui donnent à réfléchir. Je me demande si je ne me suis pas embarqué dans une sale histoire. L’Italien est un homme intelligent ; si les choses se gâtent il n’hésitera pas à me balancer pour garer ses os… En Angleterre on appelle les types qui se déboutonnent, les témoins du roi. Ils vont jacter à la barre, en qualité de témoins, uniquement de témoins, même s’ils ont suriné une tripotée de loustics… Drôle de mœurs, hein ?

Nous montons.