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— Ça vous ennuierait, vieux, de me conduire à Woolwitch ?

J’ai choisi cette banlieue parce que je sais qu’elle est au sud, donc dans la direction de Douvres.

Son regard pétille.

Mentalement, il évalue l’ampleur du pourboire que je vais lui balancer, compte tenu de la longueur d’une telle course.

— Avec un homme comme vous, patron, fait-il, j’irais jusqu’au bout du monde.

Re-entre mes chailles, je marmonne :

— Que ne peux-tu le faire, pauvre cloche !

Il démarre. Nous pédalons à travers la Cité, puis nous fonçons sur les faubourgs. Quarante minutes plus tard, nous atteignons Woolwitch.

— Où est-ce votre point de destination, M’sieur ?

— Tout à fait à l’autre bout de la ville, je lui dis… On quitte les dernières maisons, et puis c’est là, une grande baraque au milieu d’un parc.

Évidemment, je brode à toute allure. J’en invente pour que ça fasse plus vrai, plus vivant. Ça la ficherait mal, s’il décidait de m’abandonner au beau milieu de la ville. Mais il renifle mon pognon et il ne rechigne pas le moins du monde. Il l’a du reste dit : il me mènerait aux antipodes s’il en avait la possibilité.

Nous traversons encore cette agglomération, puis ses faubourgs. Nous échouons sur une route peu passante. C’est tranquille à ces heures.

— Drôle de bled, dit le chauffeur. C’est loin, encore, vot’ carrée dans la verdure ?

— Continuez, je vous arrêterai.

Il continue. Puis, ce que je prévoyais se produit : il se met à faire travailler son petit cerveau d’oiseau-mouche et ce boulot-là l’amène à penser que je ne suis pas un mec très catholique.

— Écoutez voir, patron, commence-t-il, le sourcil froncé, j’ai l’impression que vous vous payez ma tête, non ?

Quand un sous-fifre de troisième zone vous tient ce langage-là, il ne vous reste plus qu’une chose à faire : sortir votre feu et le lui appuyer sur un endroit quelconque de sa personne. C’est ce que je fais.

Il devient d’un beau vert épinard et il se met à penser de toutes ses forces à cette bonne vie que les hommes ont pris l’habitude de se transmettre et qui est si agréable à renifler.

— Pose pas de questions, gros malin, je lui dis, roule jusqu’à ce que je te dise de t’arrêter… Et puis, non, attends une seconde…

Sans cesser de le tenir en joue, je descends de la carriole et m’avance vers l’avant. Je chope son compteur-taximètre et, d’une secousse, je l’arrache. Ainsi la guinde n’a plus l’air d’un taxi, mais d’une voiture normale.

Je remonte, mais à ses côtés :

— Mets le cap sur Douvres, veux-tu !

Il dit « oui », d’une petite voix de tantouze. Il y a des cas où il est difficile de dire « non ».

Chapitre XIX. Je fais officiellement connaissance d’un drôle de zig

Nous ne roulons pas depuis un quart d’heure que j’aperçois sur la route un barrage de police.

Les condés stoppent toutes les carrioles et passent leurs occupants en revue. Il y a un flot de trottinettes arrêtées.

Les flics sont décidément moins locdus que je ne le croyais. Je m’aperçois que le Yard mérite bien sa réputation. Mon esprit de décision est surmultiplié.

— Allez, demi-tour ! ordonné-je sèchement.

Et, pour ôter au chauffeur toute envie de jouer au petit soldat, je lui enfonce mon feu dans les côtelettes.

Il braque, fait une rapide manœuvre et fonce.

J’entends, loin derrière nous des coups de sifflet. Mais les flics sont victimes, dans un sens, de leur piège. Le nombre de voitures encombrant la route paralyse leurs mouvements.

Il faut profiter de cette avance.

— Écrase le champignon, fils ! Et gare aux taches !

Il appuie de son mieux, le copain, ça y a rien à redire…

Nous tapons le cent, puis le cent dix. Pas moyen de faire plus fort, sa guinde n’est pas de la première jeunesse…

Les poteaux télégraphiques hachent le paysage. Les graviers de la route giclent en pluie contre le capot… Nous fonçons… Le chauffeur est grisé par les événements, il est frénétique, il ne pense plus à avoir peur. Il n’est plus qu’un volant et un accélérateur…

Je bigle vachement dans le rétro, mais je ne vois toujours pas de bourdilles. Notre avance sera-t-elle suffisante pour que nous leur échappions ? Maintenant, mes plans sont modifiés ; je n’ai plus qu’une idée en tête : regagner Londres, la grande ville. Londres et sa foule noire, Londres et sa brume… Avec du pognon je dois arriver à me cacher… Mais dans cette foutue cambrousse il est impossible d’entreprendre quoi que ce soit… Impossible même d’espérer…

Tout à coup, un motard se dresse devant nous, au travers de la route. Il met ses bras en croix. Le gars a dû être prévenu par radio et il nous barre courageusement le chemin.

— Bon Dieu, je m’arrête, soupire le chauffeur.

Il commence à taquiner son frein.

— Si tu fais ça, je tire ! lui dis-je froidement. Fonce, et si ce cornichon ne se tire pas assez vite, tant pis pour sa gueule !

Il obéit ; le flic, voyant que nous ne ralentissons pas, fait un saut de côté. Il comprend la vie et n’essaye pas d’arrêter les locomotives à la main, lui. Seulement je le vois qui enfourche sa bécane et qui se lance à nos trousses. Ça, c’est la mouscaille la plus noire. Une auto, on peut la semer, mais pas un motocycliste. Avec son engin, il fait du cent cinquante comme une fleur, le fumelard.

Au bout de trois kilomètres, il nous a rejoints.

Il arrive à notre hauteur et nous fait signe de la main de stopper. Comme nous nous gardons d’obéir, il dégaine son revolver.

— Ralentis un brin, je dis au chauffeur.

Le motard s’annonce à nouveau sur la même ligne que nous.

Je vise sa poitrine, parce que c’est une cible beaucoup plus large, et je tire. Tout de suite il ne se passe rien. Avec ses monstrueuses lunettes je ne peux distinguer ses réactions. Il continue de rouler parallèlement à nous… Puis son engin se met à zigzaguer.

— Appuie !

Le chauffeur fonce. Le motard décrit une formidable embardée et va défoncer une barrière blanche.

Le conducteur du taxi est ruisselant comme un morceau de lard qu’on retire de la marmite.

— Oh, merde, patron, gémit-il, cette fois on est bon pour la corde. C’est pas la peine d’insister… Tous les flics du royaume seront sur le pied de guerre avant que nous ayons atteint Londres… Qu’est-ce qu’on va devenir ?

— T’occupe pas de ça, je réponds. Toi tu conduis et c’est moi qui décide.

La fuite éperdue continue. Nous atteignons les faubourgs, sans avoir vu le moindre uniforme. Mais cette accalmie ne me dit rien qui vaille. Je sais qu’il ne s’agit là que d’une trêve. Le formidable appareil du Yard travaille pour moi. Ou plutôt contre moi.

Et en effet, comme nous pénétrons dans la banlieue ouvrière, un mugissement de sirène se fait entendre.

Une voiture de flics nous accroche.

— Fonce ! Fonce !

— Seigneur ! on va rentrer dans les décors ! larmoie le taxi.

— Tant pis, fonce !

Ça dure dix petites minutes qui me paraissent plus longues que l’éternité… La sirène des condés fonctionne à tout berzingue. Ceci offre le relatif avantage, pour nous, de nous ouvrir la voie à travers le flot de plus en plus dense de la circulation.

— À droite ! je dis au gars. (Puis je lui fais :) À gauche…

La voiture gagne légèrement sur nous. Si je ne trouve pas un moyen de me tirer de là illico, d’ici quelques secondes, d’autres carrioles de flics qui viennent de notre côté comme des requins attirés par un naufrage nous couperont la route. Je n’aurai plus que la ressource de tirer mes trois dernières balles dans le tas et de me laisser démolir…