Conclusion
Qu’est-ce que vous voulez que ça me branle que je m’appelle Mattiew ou Ducon-Lajoie ? L’essentiel est d’avoir le nez propre…
Le barlu approche de la côte française.
Je passe mon bras par-dessus l’épaule de ma petite souris.
— Dis, lui fais-je, comment se fait-il que je t’ai emballée illico ? C’est le coup de foudre ou quoi ?
Elle hausse les épaules.
— Non, dit-elle. L’autre soir, quand je suis arrivée dans ma loge, j’avais lu les journaux relatant le meurtre d’Eleonor Mattiew. J’avais appris aussi que tu avais dérouillé le Chief-Inspector. Or, je connais Mac Gwer de vue et je l’ai aperçu en arrivant au Red Dog. J’ai donc compris immédiatement que c’était toi, l’assassin.
Elle blottit sa tête contre mon épaule.
— J’ai un faible pour les assassins, chéri, surtout lorsqu’ils se font la main sur des gens comme les Mattiew.
Elle est un peu là, cette gosse. L’avenir s’annonce bath comme une carte postale en couleurs. D’autant plus que, grâce à la complicité du chef mécanicien du bateau, ma valise au magot voyage à bord, dans la soute à charbon.
Et puis, il paraît que c’est joli, la France.
QUATRIÈME ÉPISODE
UN CINZANO POUR L’ANGE NOIR !
À la mémoire de Landru,
Qui savait enflammer les souris !
Avertissement
Cette tranche de mes aventures se déroule en Franchecaille… Toute ressemblance avec des mirontons existants ou cannés serait — comme dit l’autre — purement fortuite.
C’est pourquoi les tordus qui prétendraient reconnaître leur blaze feraient bien de mettre les adjas sans l’ouvrir, because je suis le genre de bonhomme chatouilleux du côté de la gâchette.
Chapitre premier
Curieuse façon de trinquer !
D’habitude, je comprends vite et sans qu’on soit obligé de me faire un dessin. Mais là, il me faut au moins plusieurs minutes — longues comme des poèmes épiques — pour piger ce qui vient de se passer.
Je procède par association d’idées : primo, je suis dans un bar, allongé le long du comptoir d’acajou ; deuxio, il y avait une chouette pépée assise à côté de moi ; troisio, entre la chouette pépée et moi, sur le comptoir, se trouvait une bouteille de Cinzano…
Ça, ce sont les éléments que j’appellerai « directs ». Passons maintenant aux détails…
Je venais de poser mon pétrousquin sur le capitonnage d’un fauteuil. Le barman m’a demandé ce que je voulais éponger, et je lui ai répondu un Cinzano.
Il a tiré la bouteille de l’étagère et s’est aperçu alors qu’elle était presque vide. Il s’est excusé, a dit qu’il devait descendre à la cave et s’est fait la valise. Sur ce,la chouette poupette est entrée. Elle s’est assise sur le tabouret voisin du mien. Je lui ai souri, elle m’a souri. Et son sourire, croyez-moi ou ne me croyez pas, vous ne trouverez le même dans aucun journal de mode.
Je me suis alors dit qu’une entrée en matière immédiate s’imposait. Dans ces cas-là, il y a plusieurs méthodes : vous parlez du temps, ou vous demandez l’heure.
Le temps était trop dégueulasse pour qu’on en parle, ma montre brillait à mon poignet et jamais une montre n’avait dit l’heure exacte comme cette montre-là. J’ai emprunté un troisième procédé : je lui ai offert une cigarette. Elle m’a fait gentiment non, de la main. Ça ne m’a pas déplu. Les gonzesses qui se transforment en cheminée me débectent car, lorsque vous leur roulez un patin, vous avez l’impression d’embrasser un paquet de tabac… Je me suis cloqué une cigarette entre les lèvres, puis je me suis légèrement détourné pour l’allumer.
Et alors, ç’a été le feu d’artifice dans ma calbombe.
J’ai cru que la tour Eiffel venait de me choir sur la capote. Mes pensées se sont éparpillées comme une poignée de duvet dans un courant d’air.
J’ai senti que je chancelais…
Puis il y a eu un trou noir, noir comme un nègre en grand deuil qui visiterait une mine, à minuit, pendant une alerte. Pour vous dire…
Et de ce noir, à la minute où je vous bonnis tout ça, j’en reviens comme d’un pays en négatif.
Et, tout naturellement, je me demande ce qui a bien pu se passer. Mais je comprends que la fillette aux yeux doux qui m’avait fait risette a profité de ce que je me détournais pour saisir la bouteille vide par le goulot et me la casser sur le dôme.
Je comprends que les choses se sont passées ainsi, mais je ne comprends pas, mais alors pas du tout, pourquoi elles se sont passées ainsi.
Je suis arrivé à Paris du matin, je n’ai jamais mis les targettes en France et je n’y connais absolument personne. Par ailleurs, je ne pense pas que ce soit l’habitude, au pays de la cuistance et des parfums, que les petites gonzesses vous cassent des flacons sur la tête. Si c’était un truc entré dans les mœurs des Français, ça se saurait à l’étranger, surtout aux U.S.A. où l’on sait toujours tout, même ce qui n’existe pas…
J’en suis là de mes pensées lorsque le barman revient, les bras garnis de bouteilles de Cinzano qu’il tient amoureusement comme tient ses mouflets la grognasse qui se fait photographier après avoir obtenu le prix Cognac. Il ouvre des yeux si grands qu’on entrevoit le fond de son slip.
— Qu’est-ce qui vous est arrivé ? demande-t-il.
Je mets un petit moment à lui répondre car je parle très mal le français.
— Une petite cliente qui a passé ses nerfs, je dis.
Je me remets sur mes tiges et je bigle les azimuts.
Y a pas plus de chouette pépée que de probité dans le cœur d’un marchand de tapis levantin.
Le garçon me considère toujours avec ses grands yeux en entrée de métro, en tenant sa progéniture de Cinzano…
Il faut absolument lui éclairer l’entendement avant que son cerveau ne se mette à fumer.
— Une jeune demoiselle est entrée, je lui fais. Gentille. J’ai allumé une cigarette et, pendant ce temps, elle a pris votre bouteille et bing !
Il comprend.
Vous pensez peut-être qu’il va me présenter des excuses et cavaler chercher du sparadrap ? Va te faire voir !
Il a un petit sourire presque satisfait et il pose précautionneusement ses flacons sur l’étagère.
Il se met à ronchonner quelque chose que je distingue mal, mais où il est question de ces salauds d’Amerloks qui se croient tout permis et qui s’étonnent après, quand une vertueuse petite Parisienne est obligée de défendre sa vertu à coups de bouteille !
Je ne me donne pas la peine de rectifier le tir.
Je ne suis pas venu ici pour évangéliser les populations.
Délicatement je palpe ma torgnole. C’est gros comme le champignon atomique de Bikini, et ça saigne faiblement.
Le barman me dit d’appuyer dessus avec une pièce de monnaie. Ce mec-là, on serait à Chicago, je lui aurais déjà fait bouffer du plomb ; mais nous sommes à Paris et, en attendant, j’ai décidé de me tenir peinard. Les exploits de l’Ange Noir, comme m’ont baptisé les journaleux, ne sont pas trop connus en France et je compte rester tranquille un bout de temps afin de voir venir et de statuer sur mon futur.