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— Oui, s’écrie-t-elle.

Je me lève.

— Allons voir Rilley.

Cette gosse, je vais vous expliquer, elle a mis toutes ses réserves dans son attaque du bar et la fouille de ma piaule, mais maintenant elle est aussi amorphe qu’une limace.

Elle a une confiance éperdue en bibi. Les souris ont toujours confiance dans les mâles qui viennent de leur prouver qu’ils sont de vrais mâles !

Elle se lève.

— Venez, dit-elle.

Je la cramponne par le menton et je lui roule un patin.

— Tu peux me tutoyer, je t’y autorise, fais-je avec un bon sourire.

Elle paraît effrayée.

— Pas devant Rilley !

* * *

Lorsqu’on regarde Rilley, on a l’impression de l’avoir vu sur des écrans de cinéma. Il ressemble à un acteur, on ne sait pas au juste lequel, mais il lui ressemble bougrement.

Il est châtain, avec les cheveux épais, rejetés en arrière, le teint bistre, la mâchoire carrée, l’œil bleu. C’est juste le genre de beau gosse qui donne des idées aux femmes. À part ça, un peu plus d’intelligence qu’une botte d’asperges… Vous voyez ce que je veux dire ?

Lorsque nous entrons dans la chambre meublée qu’il s’est louée à Montmartre, il a un sursaut terrible en m’apercevant. Il saute sur son oreiller pour y cueillir le soufflant qui doit y faire dodo. Rilley est tout là : le feu dans le plumard, comme dans les mauvais romans policiers.

— Te fatigue pas, chéri, je lui dis.

Et je lui montre le mien. Ça le calme comme deux comprimés de gardénal. Il pâlit sous son hâle. Ses paupières font du morse.

— T’as les jetons, hein, mon pote ? je lui demande.

Devant la petite Sophie, il se refuse à en convenir.

— Assieds-toi, fais comme chez toi ! j’ordonne. On a à bavarder…

Il laisse tomber son prose dans un fauteuil pelucheux.

— N’aie pas peur, mon chou, murmure gentiment la fille.

Il est dopé par cette exhortation.

— Oh ! j’ai pas peur, grince-t-il.

Je m’assieds sur l’accoudoir de son siège et je remise mon feu.

— Bien sûr, tu n’as pas peur… Pourquoi aurais-tu peur, hein ? Je te le demande ? On est copains, nous deux… Tu charges une gosse de me casser des bouteilles sur le crâne, mais le verre blanc cassé porte bonheur… Tu cherches à me coller un meurtre sur le dos, mais ça n’est qu’une bonne blague entre compatriotes…

Il jette un regard furieux à Sophie.

De toute évidence, il n’est pas près de lui pardonner de m’avoir rancardé sur ses agissements.

— Ne la bouffe pas des yeux, et si tu touches un cheveu de sa tête, je te crève la paillasse, Rilley, tiens-le- toi pour dit.

Je lui envoie une bourrade.

— Écoute, petit gars, je ne suis pas venu pour te faire la morale, mais pour discuter le bout de gras. Si nous étions à Frisco ou dans une autre ville des États-Unis après ce que tu m’as fait, tu pourrais commander une concession à perpétuité. Seulement nous sommes en Europe, un bled neuf pour nous et où nous aimerions nous faire oublier un peu, n’est-ce pas ? Alors je suis forcé de mettre les pouces, trésor… C’est tant mieux pour ta jolie carcasse.

« On va donc faire un petit marché, toi et moi… Tu t’es conduit comme d’habitude, c’est-à-dire comme un naveton de première dans cette affaire de coffre forcé… Moi je vais essayer de rectifier le tir… Seulement ce sera cher. Je veux le gros paxon… Ce sera les trois quarts pour moi, un quart et mon pardon pour l’affaire d’aujourd’hui pour toi.

« Tu dis oui ou tu dis non. Si tu dis oui on se serre la pogne ; si tu dis non, je te mets une trempe grand format. Ceci dit, tu as ton libre arbitre…

Il me regarde. Au fond, cette offre est inespérée pour lui.

— D’accord, l’Ange, murmure-t-il en allongeant sa main, et je te demande pardon pour l’histoire de tout à l’heure… Tu sais ce que c’est, quand on est dans le pétrin, on perd la boule… Je me suis dit que ça n’avait pas d’importance au fond de te mettre dans le bain vu que tu t’en sors toujours comme un roi !

— Passe pas la pommade, je lui dis, elle me ferait venir de l’eczéma !

Je regarde la main qu’il me tend avec insistance. Il a la trouille que je ne la lui serre pas, ce qui lui ferait perdre la face devant sa belle.

Alors je lui prends la main. Et je la lui serre. Je serre de toutes mes forces. Rilley me regarde avec surprise d’abord… Puis il pâlit. Puis il se met à transpirer et à se tordre.

Je continue de serrer. Mes paluches, quand je le veux, sont de véritables étaux.

Je serre encore au point d’éprouver une brûlure dans l’épaule. Il tombe à genoux.

— Lâche-moi, supplie-t-il. Tu vas me casser les doigts, l’Ange ! Je t’en supplie ! Lâche-moi ! Lâche-moi !

Je le lâche…

— Voilà, tu es tendre comme du chevreau, mon petit gars… Bon, faisons un tour d’horizon, maintenant…

Chapitre VI

Plan de campagne

Il se masse les jointures en faisant la grimace.

Il se demande si ses salsifis sont cassés ou non.

— Te frappe pas, je lui dis. Si j’avais voulu te briser les osselets, j’aurais serré convenablement.

Je me recule, allume une cigarette et, avisant un flacon de whisky, je dévisse le bouchon.

— On va parler du papa, dis-je en désignant Sophie. Qu’est-ce qui vous faisait croire que ce brave homme cloquait des paquets de fric dans son coffre ?

— Ordinairement il serre de grosses sommes dans son bureau, explique la fillette. Mais je suppose qu’il a dû verser son argent à la banque…

Je fais la grimace.

— Si son pognon est en banque, on peut lui dire adieu avant de l’avoir vu. Je ne m’en sens pas pour jouer les Dillinger dans ce patelin ! Il rentre quand, votre vieux ?

— Demain…

— Donc, demain le meurtre sera découvert ?

— Oui…

Ma parole, il faut se manier…

— Où est-il ?

— Dans notre propriété de Mézy.

J’ajuste le goulot du flacon dans le trou que j’ai sous le nez. Je me tape une rasade furieuse de gnôle. C’est du fameux. Rilley est un petit gars qui se dorlote.

Aussitôt le miracle s’accomplit : l’alcool flanque un coup d’accélérateur dans mes méninges. Je vois la situation avec le recul nécessaire. Tout est là, étalé devant moi… D’une part, j’ai une fille à papa un peu cinglée qui rêve de cambrioler son vieux pour se tirer avec un gangster ; d’un autre, un nave de Rilley qui s’est foutu dans un merdier du tonnerre et qui va être suspecté de meurtre. Enfin, j’ai aussi à portée de ma main un type plein aux as qui ignore encore tout. Je me lève.

— Tu as une bagnole ? je demande à Sophie.

— Oui…

— Bon. La première chose à faire c’est d’embarquer le cadavre du larbin avant qu’il ne soit découvert.

Je regarde Rilley.

— T’as seulement pas eu cette idée, hein, mon pote ? Il faut que ça soit moi qui m’occupe de te sauver la mise, non, c’est risible, je te jure ! Après ce que tu as essayé de me faire… Merde ! je suis dans ma semaine de bonté, probable, ou alors c’est le climat de la France qui me rend magnanime, en tout cas, ça ne tourne pas rond…

Je vais au lit, j’arrache la couverture, je la plie et la roule à 1’intérieur de son imperméable.