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Je l’entends très bien. Et lui doit très bien m’entendre grincer des dents. Il y a un miroir dans la cabine téléphonique.

Il me renvoie une version affreuse de ma bobine.

— Cessons de bavarder comme des concierges, Masset. Il me faut cinq millions de francs avant demain. Si vous ne les déposez pas à l’endroit que je vous indiquerai dans la journée, votre fille, que j’ai à ma disposition, aura droit à une place de choix dans le caveau de famille des Masset, vu ?

— Pour un fameux gangster, vous me paraissez bien novice, murmure-t-il.

— Pardon ?

Il ajoute :

— Je n’ai pas de fille.

Et il raccroche !

Chapitre IX

Plus d’un tour dans mon sac !

Je ne sais pas si vous avez déjà pris une locomotive lancée à cent à l’heure dans la poire. Si oui, le choc que j’éprouve a à peu près cette violence.

Au moment où l’Ange Noir se prend pour Mathurin et croit avoir réuni toutes les brèmes dans sa paluche, voilà ce qu’un peigne-zizi lui apprend ! Masset n’a pas de fille. Pas de fille !

Tous les boniments de la petite Sophie, c’était du vent ! Même pas : de suaves émanations du mensonge. Elle n’est pas plus la fille de l’industriel que je ne suis le fils de William Shakespeare !

Ceci veut dire que non seulement elle s’est offert mon portrait jusqu’à la gauche, mais que, de plus, elle s’offrait itou celui de Rilley.

Par mesure de sécurité et aussi parce que, dans ces cas-là, on n’a pas d’autres ressources que de vérifier son infortune, je passe un coup de tube à l’hôtel de Versailles. Le gnace de la réception m’apprend que « ma femme » est sortie.

Donc, la môme Sophie n’est qu’une petite aventurière qui s’accrochait aux basques des gangsters pour essayer de sucrer du blé en quantité. Pourquoi, alors, s’être fait passer pour la fille de l’industriel ? Voilà qui me chiffonne.

Si je fais le point de la situation, je constate que je me suis mouillé les pieds pour ballepeau. En ce moment, le Masset doit ameuter les bourdilles en leur disant qu’il vient de recevoir un coup de fil de l’Ange Noir ! Ceci va corroborer les dires de Rilley, et les condés vont me cavaler au panier en deux temps, trois mouvements ! Charmant !

Y a pas quarante-huit heures que je suis en France avec l’intention d’y couler des heures sereines, et voici que j’ai déjà mon blaze dans le journal et un corps d’armée aux trousses. Je ne sais pas comment je fais mon compte, mais c’est toutes les fois du kif. Je suis comme les chefs d’État, je ne peux pas me déplacer sans flanquer des frémissements à tout ce qui porte une plaque de police au revers de son veston.

Donc, me voici dans le merdier, sans grandes ressources, après m’être laissé blouser par une fille que j’aimerais bien retrouver un de ces quatre matins…

Que faire ?

Je quitte la cabine téléphonique parce que c’est un endroit où l’on respire mal lorsqu’on a tendance à être cardiaque, et n’importe qui aurait le palpitant en compote après une émotion pareille.

Je me fais servir un grand whisky, je le bois sans eau, avec juste un cube de glace pour l’hydrater… Et je sursaute. Je me dis que Sophie vient de quitter l’hôtel… Elle ne savait pas hier que j’allais l’entraîner à Versailles, par conséquent il n’y a aucune raison pour qu’elle y séjourne. On peut donc parier le slip de Marlene Dietrich contre un avion à réaction qu’elle va regagner Paris. Et, comme elle n’a pas de voiture à sa disposition, on peut parier aussi qu’elle va regagner Paris par le train. Moi, en descendant du train, j’ai immédiatement téléphoné. Il ne s’est pas écoulé vingt minutes depuis que je suis sorti de la gare… Donc, le train suivant n’est pas encore arrivé.

Je bondis hors du bar et je fonce au milieu de la cohue, sans prendre garde aux interjections des flics qui me prennent pour un type un peu dévissé.

Je parviens sous la verrière de Saint-Lazare en même temps que le train suivant en provenance de Versailles.

Vite je m’embusque derrière un kiosque à journaux et je regarde le flot des voyageurs… Il faut de bons yeux pour pouvoir tous les passer en revue. Je m’écarquille tellement les mirettes que je chope un courant d’air dans la matière grise. Mais j’ai beau m’énucléer, je ne vois pas de Sophie. Il y a d’autres petites souris, toutes aussi gentilles, mais pas de Sophie !

Ça me fout en renaud. Je me calme en me disant qu’après tout, lorsque je l’ai quittée elle était encore au plume et qu’il faut un bout de temps à une grognasse, fût-elle gangster, pour se ravaler la façade… Elle sera peut-être dans le suivant ?

Je vais m’asseoir au buffet de la gare, après avoir noté l’heure d’arrivée du prochain Versailles-Paris.

L’alcool me flanque un coup de fouet. Je me dis que j’ai tort de me casser le der pour des futilités. Après tout, c’est du sport, et moi j’aime le sport !

Je torche encore deux glass de raide, j’achète une tablette de chewing-gum à la chlorophylle et je retourne m’embusquer derrière l’éventaire du marchand de journaux.

Lorsque le train stoppe, j’ai un grand frisson de bonheur qui me titille l’épine dorsale. En effet, la première personne qui saute sur le quai, c’est Sophie.

Elle marche rapidement, d’une allure décidée. Elle fourre son ticket dans la main du contrôleur et se dirige vers le hall principal. Je la suis prudemment. Pour les filatures, faites confiance ! Un caméléon ne ferait pas mieux que moi.

Je m’attends à la voir filer dans le grand Paris, mais pas du tout. Au lieu de ça, elle se dirige vers un guichet.

Elle prend un billet et retourne dans le hall des départs. J’en suis baba car je ne m’attendais pas à celle-là…

J’ai un moment de flottement. Que dois-je faire ? Je ne sais pour quelle direction elle vient de se munir d’un ticket. Et à quel titre questionnerais-je le préposé ?

Tant pis, je verrai venir. J’ai remarqué que dans cette gare il n’y a pas de poinçonneuses de billets à l’entrée des quais. On ne vérifie les titres de voyage qu’à l’arrivée. Rien ne m’empêche de prendre le même bolide que Sophie. S’il y a une vérification en cours de route, je serai toujours à même de dire au contrôleur que je n’ai pas eu le temps…

Je la vois qui s’engage sur un trottoir entre deux trains. Dans lequel va-t-elle grimper ? Dans celui de gauche ou dans celui de droite ?

Celui de gauche va à Argenteuil, celui de droite à Mantes.

J’attends qu’elle ait pris place dans l’un des deux convois avant de me montrer sur le trottoir de départ.

Elle choisit la ligne de Mantes. Je bigle alors la liste des localités desservies par ce train et je lis, en bas de liste, le mot Mézy.

Mézy, ça me dit quelque chose…

Ça me revient brusquement ! C’est Sophie qui m’en a parlé.

Il paraît que c’est à Mézy que M. Masset possède sa maison de campagne !

Chapitre X

Le grand air ne m’éclaircit pas les idées !

Mézy est un gentil bled sur les bords de la Seine. Exactement la vision de l’Île-de-France que donnent les magazines touristiques des U.S.A. en regard de la publicité pour les compagnies de navigation.

Il y a de la verdure, beaucoup de verdure… De grands arbres, de vieilles maisons avec du lierre dessus et d’autres crèches, des neuves, rutilantes comme des maquettes de décors.