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Courbé en deux, comme un fantassin dans la plaine, j’avance vers la demeure de ce mystérieux Masset.

Je finis par arriver dans l’angle formé par la maison proprement dite et un garage à voitures, construit en additif.

Je m’y terre un instant pour récupérer un peu et dresser un plan d’action, car il ne s’agit pas de jouer les naves, comme mon petit copain Rilley ! Aucun bruit ne me parvient. Les mecs d’ici ne sont pas bruyants, décidément, ou alors ils pioncent. Peut-être que la sieste est une coutume française ?

J’attends, mais vous le savez, c’est un sport pour lequel je n’ai pratiquement aucune disposition.

Au bout de cinq minutes je me fais tellement tartir, dans mon coin, que je serais disposé à accepter n’importe quel engagement dans la Légion étrangère plutôt que de moisir ici davantage.

Je pousse une petite reconnaissance jusqu’à l’angle de la cambuse. De là, j’ai une vue de la façade. Il y a un perron, des croisées ouvertes…

Je me coule le long de ladite façade et, parvenu à la première fenêtre ouverte, je hausse un œil indiscret dans la pièce. Celle-ci est un grand salon de style ancien, avec un piano à queue et des potiches tellement grosses qu’une famille de quakers pourraient s’y installer.

Je chope la barre d’appui, je fais un gentil rétablissement et je foule la moquette de ce salon.

Sans même avoir à le décider je tire mon feu. Il me pousse dans les mains dès que l’heure devient plus ou moins grave. Mon feu, c’est comme qui dirait un second moi-même. Je suis sa pensée et il est ma force… Vous comprenez le topo ?

Nous hésitons, l’un et l’autre.

Mon oreille est tendue comme la peau des fesses du roi Farouk lorsqu’il lace ses chaussures. Mais je ne perçois toujours pas le moindre bruit.

Si ce n’était ces fenêtres ouvertes, je pourrais croire que la maison a été désertée.

J’éprouve une vilaine impression.

Un feu rouge s’allume sous ma coupole.

Cela me fait comme lorsqu’on se sent observé.

Mais personne ne peut m’observer. Je pousse la porte et j’échoue dans un vaste hall carrelé. Des plantes vertes, des statues de marbre…

Et le silence. Un silence à découper au chalumeau !

L’envie me prend de héler les habitants de la cambuse. Mon battant s’agite comme un fou.

Bonté divine, il se passe quelque chose ! Il se passe quelque chose… Mais quoi ?

J’ouvre la porte qui fait face à celle du salon, c’est celle du bureau. Personne.

Le hall s’élargit, vers le fond. D’autres pièces y débouchent. Toutes les portes en sont closes. Toutes, sauf une. Et, de cette porte ouverte sortent deux jambes d’homme, étendues sur le parquet.

Ces jambes me fascinent.

Je m’en approche, lentement.

Je découvre alors le paysage. Il n’est pas beau à regarder, bien que j’aie l’habitude de ces spectacles-là, je préfère encore les chutes du Niagara.

Le mec à qui appartiennent ces guiboles est mort comme un ragoût de mouton.

Il a la gorge ouverte d’une oreille à l’autre et sa physionomie est tout ce qu’il y a d’exsangue. Le gars qui lui a pratiqué cette incision devait être un champion du rasoir, moi je vous le certifie.

Le mort porte un gilet rayé. C’est l’autre larbin, celui d’ici !

On peut dire que le Masset n’a pas de vase avec son personnel !

Après une pareille séance, les offices de placement ne voudront plus rien chiquer pour s’occuper de lui.

Son valet de chambre de Paris ! Ensuite son valet de chambre de Mézy ! C’est une vraie gageure !

Qui a bien pu faire ça ? Pas mon pote Rilley en tout cas…

Je fouille le mec. Il a dans sa poche-revolver un vieux porte-carte avec dedans quelques billets de mille et un permis de conduire au nom d’Alfred Lunel.

Alfred ! C’est lui qui a ouvert à Sophie, tout à l’heure.

Tiens, mais, au fait, où est-elle passée, celle-là ?

Chapitre XII

Ça sent le roussi !

Les autres pièces du rez-de-chaussée sont vides.

Je m’attaque au premier étage. Et je n’ai pas à chercher bien longtemps avant d’apercevoir ma petite poulette de Sophie.

Elle est étendue dans le hall, une balle juste au milieu du front, ce qui lui fait un troisième œil. Les humains étant conçus et réalisés avec deux châsses, ce troisième est d’un effet peu esthétique, je vous l’affirme.

Je me penche sur elle, mais elle est morte. Je n’ai encore jamais vu vivre quelqu’un avec une praline au milieu du caberlot.

Décidément, plus ça va, moins j’entrave ce qui se passe ! Il me semble que je suis une bonne vieille balle de ping-pong qui fait la navette entre deux événements.

Voilà que ça se corse de plus en plus, à tel point qu’il me faudrait un flacon de whisky et un tube entier d’aspirine pour que je sois en état de penser convenablement.

Je reconstitue le drame à ma manière. Un type est venu de l’extérieur avec l’intention de buter Sophie ; c’est donc qu’il savait la trouver là ! Cela signifie qu’elle était en cheville étroite avec sa pomme !

Il n’avait pas besoin de sonner pour pénétrer dans la propriété, probablement parce qu’il en possédait les clés ! Il est peu probable qu’il ait fait le mur, comme moi. Quand on a l’intention de foutre tout le monde en l’air, on ne court pas le risque de se faire remarquer comme un vulgaire maraudeur !

Il est entré. Dans le hall, il a vu le larbin et il l’a zigouillé silencieusement afin de ne pas donner l’éveil à la môme. Puis il s’est mis à sa recherche et l’a rencontrée dans ce vestibule. Une balle !

Le gars économisait sa pétoire ! Il est reparti… Voulait-il quelque chose qui se trouvait dans cette demeure ? Je ne le pense pas.

Tout est parfaitement en ordre. Je sais renifler ces atmosphères-là. Le type ne désirait qu’une chose : scrafer la souris. Pour la conception d’un meurtre, vous pouvez faire confiance à l’Ange ! Je suis comme qui dirait licencié ès crimes !

M’est avis que je n’ai rien à maquiller dans cette nécropole. C’est mauvais pour la santé de s’éterniser dans une boutique où gisent deux cadavres.

Je vais pour m’esbigner lorsque mon regard est sollicité par un objet brillant posé sur le tapis de l’escalier. Je me penche et je réprime un sursaut. Cet objet n’est autre que la petite glace de poche que Sophie avait essayé de me griffer dans ma piaule de Pantruche.

Du coup, une rogne noire m’envahit !

Est-ce que ce petit jeu va continuer longtemps encore ! Est-ce que le gougnafier qui s’acharne à me foutre dans le baquet de mélasse ne va pas bientôt cesser ses salades !

Ce miroir, ça n’est pas Sophie qui l’a semé là. Parce que, vous allez voir, je l’avais laissé dans ma chambre du Welcome après la petite séance de lutte gréco-romaine. Or, je ne suis pas retourné dans cette chambre depuis et Sophie non plus ! C’est donc quelqu’un d’autre qui a opéré.

Qui, Grand Dieu ! Qui ?…

Je suis l’objet d’une vaste machination. Une machination qui dépasse la simple petite combine du début. Quelqu’un s’est mouillé dans une affaire terrible et cherche à se dépêtrer des bourres en les lançant sur moi…