— Oh dis donc ! je m’exclame, on les chouchoute, les mouchards, dans cette crèche…
— Quoi ! quoi ! protesta-t-il…
— Passe la main ! Les casseroles, je les renifle à cent pas !
Il a sa dignité, car il proteste encore de sa voix monotone : une voix à annoncer l’arrivée des trains à la gare Centrale !
Je regarde le tampon fixé à sa gogne. Je suis pensif. Et quand l’Ange Noir devient pensif, c’est que son subconscient est en train de faire des heures supplémentaires.
Soudain je me lève et, d’un coup sec, j’arrache le pansement.
— Tu as tout du père Noël, avec ça, je lui dis en manière d’explication.
Il ne proteste pas. Lui, c’est le genre de mec que la vie a malmené. Il a pas plus de ressort qu’un pistolet Eurêka. Il bosse dans le petit rapportage, dans la salade pour syndicat d’initiative. Sa raison sociale, c’est de tousser. À part ça, il doit grimper après les becs de gaz lorsqu’un clébard le regarde de travers.
Je fais semblant de balancer le tampon dans le trou des gogs, mais en réalité je ne jette que la gaze. En douce, je récupère le sparadrap et je le colle sur mon avant-bras. Puis je rabaisse ma manche et je retourne m’allonger sur mon paddock, en attendant l’heure de l’interrogatoire.
Une drôle de paix en moi. Je me sens costaud comme la statue de la Liberté. Le grand patacaisse va commencer, et c’est un truc que j’aime moi, la bigornanche ! Je sais très bien qu’un de ces quatre, je dégusterai du plomb chaud à plein bol, mais c’est exactement comme ça que je rêve de clamser.
Glavioter ses éponges dans un mouchoir sur le coup de quatre-vingts berges ne me tente pas. C’est pas un idéal pour truand. Je suis d’accord avec le grand-Mec pour finir comme j’ai vécu, car je sais que ça, c’est de la logique !
Lorsqu’un peu plus tard je pénètre dans le bureau de Valzing, je fonce comme un taureau jusqu’au fauteuil de gauche. C’est celui qu’occupait la môme Sissy ; pas moyen de se tromper sur ce point, car c’est le seul qui ait des housses de cuir. Je m’y laisse tomber avec le « han » de satisfaction du pauvre mec qui a passé la nuit sur un plumard au matelas en bronze. Le magistrat ouvre les grandes canalisations. Il me chante des romances qui feraient pleurer un sac de farine. Il me dit qu’il arrive un moment de la vie où il faut savoir s’arrêter. Que le repentir est ce qui se fait de mieux comme brosse à faire reluire la moralité. Que si j’y allais de ma chansonnette, les jurés deviendraient sentimentaux comme des jeunes chiens ! Et d’autres balourdises tellement grosses qu’elles ne rentreraient pas au Stadium.
Je fais mine d’avaler ses salades. Voilà alors ce pauvre tordu qui se rengorge comme un pigeon parce qu’il croit m’avoir dompté.
Je le laisse bavocher ; attentif en apparence, mais toute ma personne est tendue. Mine de rien, je promène ma paluche sous le coussin de cuir. Il n’y a pas plus de feu que de tendresse dans le cœur d’un flic. J’en ai un courant à haute tension dans la colonne vertébrale. Pour une sale blague, c’est une sale blague. Soudain, je sens une déchirure dans le bras du meuble. Tout en regardant Valzing de mon air le plus soumis, je glisse deux doigts dans cette incision, et j’ai la joie immense de sentir, niché dans le crin, l’acier strié d’une crosse. Elle est à la hauteur, la mère Sissy, je vous jure ! Le plus duraille, maintenant, c’est de camoufler le « feu ». Pour cela, il faut que je fasse oublier mes pognes au juge, à son gland de greffier et aux deux flics qui m’encadrent. Je me penche en avant, la tête rentrée dans les épaules. Si les copains me voyaient, mon standing en prendrait un vieux coup, car j’ai l’air du plus bath dégonflé qui se soit jamais présenté devant un magistrat instructeur. Centanaro, qui se doute de mon micmac, parle beaucoup et avec de grands gestes.
Il accapare l’attention le plus possible, ce dont je lui suis éperdument reconnaissant.
En loucedé, je retire le revolver de son étrange gaine. Heureusement que j’ai été « piqueur » dans ma jeunesse ! Comme Sissy fait bien les choses, elle m’a apporté une pétoire grosse comme un canon à longue portée. Un kangourou n’arriverait pas à la planquer dans sa fouille ! Je décolle le sparadrap, pose l’arme sur mon avant-bras et la fixe avec la toile gommée. Cela produit sous la manche de ma veste pénitencière une grosse bosse. Si, tout à l’heure, en me remettant les poussettes, les matuches ne s’aperçoivent de rien, c’est qu’ils ont de la paille d’emballage à la place des châsses !
Le juge me demande si j’ai buté Little Joly, et je lui réponds que oui. Il me demande avec quoi, et je lui dis que ça n’est pas avec la clé de contact de ma bagnole, mais avec un pistolet. Il insiste pour que je lui indique le calibre. Comme je suis incapable de lui répondre sur ce point, je lui explique que je n’ai pas souvenance de la chose et que, lorsque je prends un revolver, c’est exactement comme lorsque je mets une cravate ; j’ouvre le tiroir et je puise dans le tas. Enfin, ce pauvre locdu veut savoir pour quelle raison j’ai dessoudé cette bonne vieille fiote de receleur ; je lui assure qu’il me défrisait. C’est un motif suffisant, quand on s’appelle l’Ange Noir, pour rompre des relations diplomatiques.
Pendant que je jacte, le greffier pianote sur sa machine et le juge se cure le pif. Quand il a déménagé tous les poils qui poussent à cet endroit, il les aligne sur son sous-main, les contemple orgueilleusement comme un chasseur renouche son tableau de chasse ; puis son visage s’éclaire — ce qui est bien une expression de romancier car, dans ma garce de vie, je n’ai jamais vu de visages s’éclairer, sauf peut-être ceux des vers luisants, et encore ne sont-ils pas tellement expressifs !
— Vous allez signer votre déposition ? demande-t-il.
Il est anxieux. Il a peur que je me ressaisisse. Mais je dissipe prompto ses angoisses, en apposant sur les paperasses que me tend le greffier un de ces paraphes qui vaudra son pesant d’or un jour…
Le juge murmure alors à Centanaro :
— Inutile de perdre du temps ! Reconstitution cet après-midi.
Centanaro dit que oui. Moi, je tends mes poignets au flic qui est chargé de cette formalité, en lui demandant si je n’ai pas un petit quelque chose dans l’œil. Il me passe les bracelets automatiquement, tout en mirant sa bouille de gros affreux dans mon regard limpide et il éructe une phrase négative.
Lorsqu’il ôte mes bibelots, devant la porte de ma cellote, je tiens le bras serré contre ma hanche, et à nouveau, tout se passe bien.
Jiky est allongé sur son lit, l’air aussi amorphe qu’un hamburger-steak. Il me regarde avec des yeux d’épagneul. Je me plante devant lui en riant.
— Tu parles d’un taquet ! je lui dis. On dirait que tu t’es passé le menton au bleu de méthylène !
Je vais pour lui soulever la tronche afin d’admirer, dans son ensemble, les résultats de mon crochet, quand voilà tout à coup que le sparadrap lâche d’un côté, sans doute parce qu’il en a marre d’être collé et redécollé à tout bout de champ. Le revolver tombe sur le parquet, où il prend un aspect extraordinaire. Jiky le bigle avec des yeux noyés d’extase et moi je bigle Jiky. Il lève enfin son regard de l’arme et le pose sur moi. Sa figure est d’un beau vert émeraude.
Je me baisse, ramasse l’arme et la glisse sous mon oreiller. Mon compagnon tousse, se racle la gorge.
— N’aie… n’aie pas peur, balbutie-t-il. Je… je ne dirai rien.
— Bien sûr, que tu ne diras rien, petit gars !
Je m’assieds sur son lit, tout contre lui.
— Je… je te jure… bégaye-t-il encore.