Ils passent, ces naves, soucieux seulement de fendre la foule… Moi, je commence à me gondoler vachement.
Avouez que pour une bonne plaisanterie, c’en est une !
Chapitre XV
La laitière et… son camion
Seulement je suis un sage à ma manière. C’est-à-dire que j’ai l’expérience des hommes en général et des flics en particulier… Je ne me fais pas d’illusions… Ils sont sur les dents, ils courent sur leur lancée. C’est pourquoi ils ne songent pas à demander des tuyaux sur ma pomme. Mais à la sortie du patelin, pour peu que plusieurs routes se présentent — et il se présente toujours au moins deux routes à la sortie d’un bled —, ils seront obligés d’interroger les pégreleux, histoire de savoir quel chemin j’ai emprunté. On va leur répondre alors qu’aucun motocycliste ne vient de déboucher et ils comprendront que je me suis payé la taxe de séjour du patelin.
Ce sera — ce qu’en langage militaire on nomme — l’investissement du bled. Bien qu’un homme investi en vaille deux, cette idée ne me sourit pas le moins du monde…
Ils vont retrouver ma moto… Ce sera le grand bidule numéro 1. Ils vont faire venir du renfort, les gardes mobiles, la troupe, les chiens policiers… Devant une grande battue, que puis-je faire, seulard dans ce village ?
J’en suis là de mes méditations attristées lorsque j’aperçois une chouette poule en blouse blanche qui s’installe dans la cabine d’une grosse camionnette en tôle ondulée.
Sur la camionnette, il y a un panneau affirmant que le beurre Machin-Chose est le premier de tous. J’ouvre la porte de la cabine.
— Qu’est-ce que vous voulez ? fait la souris.
— Je vous demande pardon, je dis, mais je viens de manquer le train et je suis pressé. Vous iriez pas dans ma direction, des fois…
— Je file sur Argenteuil, dit-elle.
— C’est près de Paris, ça ?
— Oui.
— Alors c’est O.K., vous pouvez me charger ?
— D’accord, dit-elle, vous avez des bus, une fois là-bas…
— Magnifique.
Tandis qu’elle traverse le bled, je feins d’arranger ma godasse, de manière à ne pas être vu de l’extérieur.
Puis je me redresse. La route est provisoirement libre.
— Vous n’êtes pas français ? fait la môme.
— Non…
— Anglais ?
— C’est ça…
— Touriste ?
— Touriste, oui…
— Comment trouvez-vous la France ?
Elle a mis un brin de coquetterie dans cette innocente question. Je la regarde. Elle est jolie, un peu blanchâtre, comme les gens qui travaillent dans les laitages, mais jolie, pas de question !
— La France, je lui dis, c’est un pays comme ça !
Et je lui brandis mon pouce sous le nez.
— Il y a les plus jolies filles du monde, j’ajoute.
Une vague rougeur égaie ses joues blêmes.
Nous roulons un petit moment. Le silence s’impose…
Soudain elle fronce les sourcils.
— Tiens ! s’exclame-t-elle. On dirait qu’il y a un accident, là-bas.
Elle me montre au loin devant nous, une file de voitures arrêtées en bordure de la route. Des gendarmes s’agitent…
Pas d’erreur : c’est le barrage redouté. Je crois que j’ai eu une riche idée d’emprunter ce mode de locomotion.
Je me tâte sur la conduite à adopter… Que faire ?
Je regarde la môme…
— Ça n’est pas un accident, je lui dis, c’est un barrage…
— Un barrage ?
Elle ne comprend pas.
— Oui, la police barre la route parce qu’elle recherche quelqu’un…
— Ah, bon…
Elle est insouciante, évidemment. Pour elle, ça ne la concerne pas et elle s’en balance que les matuches jouent au chien d’arrêt.
— J’aimerais autant qu’ils ne me voient pas, dis-je.
Elle ralentit et me regarde d’un air incertain.
— Ah oui ? murmure-t-elle.
— Oui… Je… je n’ai pas mon passeport sur moi, et s’ils demandent les papiers ils vont tiquer, ils m’amèneront au poste pour vérification… Déjà que je suis pressé…
Elle me sourit.
— Vous n’avez qu’à vous asseoir par terre… À moins qu’ils ne fouillent les voitures…
Elle est chouïa tout plein, cette petite marchande de beurre.
— Ça n’est pas bête, je lui dis.
Et je prends place sur le plancher de la guinde.
J’ai le visage au niveau des genoux de la môme, ils valent qu’on leur accorde un petit regard admiratif, parole !
Des genoux bien ronds, avec, par-dessous, des mollets admirables et, par-dessous encore des chevilles d’archiduchesse !
Je ne peux m’empêcher de porter la main sur ces jambes coulées au moule.
— Soyez sage ! dit-elle. Ou sinon, je dis aux gendarmes que vous n’avez pas de passeport.
Pour m’engueuler elle a juste pris la voix de la môme qui veut qu’on poursuive la séance. Les gonzesses ont une façon de dire non qui signifie encore !
— Allons, allons, petite demoiselle, je lui dis, est-ce ma faute si vous avez la plus belle paire de jambes que j’aie jamais touchée ?
Et je continue mon discret massage en remontant lentement… Elle serre d’abord les jambes en les balançant de droite à gauche pour chasser cette caresse trop insinuante, mais je sais insister et elle finit par s’immobiliser. Ma main fend ses jambes comme un soc de charrue fend la terre généreuse. Ses cuisses s’entrouvrent. C’est chaud, c’est doux, par là… J’arrive à la limite de ses bas… Là-haut, je l’entends qui respire fortement… Ça lui fait un effet terrible ce numéro de reptation… Terrible, Madame !
Moi je ne demande qu’à l’anesthésier pour franchir le barrage sans encombre, mais je ne veux pas, non plus, qu’elle perde les pédales. Ça serait le bouquet !
La bagnole s’arrête.
Une voix qui roule les « r » demande :
— Vous n’avez pas vu sur la route un homme jeune, de taille moyenne, brun, joli garçon et ayant l’accent américain ?
La souris a un soubresaut qui me parvient à travers ses cuisses. Elle ne peut s’empêcher de jeter un coup d’œil dans ma direction, mais comme j’ai prévu ce regard en entendant dégoiser le bignolon, j’ai sorti mon pétard de ma main libre et je le montre à la petite marchande de laitages.
— Non, dit-elle vivement, pas vu…
— C’est bon, passez…
Et le type ajoute :
— Si les gangsters américains viennent tuer les gens chez nous, on n’arrivera plus à faire tout le boulot…
Chapitre XVI
La laitière à des idées… à elle !
Il a des mots qui fâchent, le gendarme.
Après une petite phrase comme celle-là, la fille ne pense plus du tout à la robe qu’elle se fera faire l’été prochain ! Je peux toujours essayer de lui palper la cressonnière, ça ne lui fait plus le moindre effet. Pour la chavirante, je repasserai une autre fois. Mais pour l’instant c’est scié, et comment, Madame ! Elle est à ce point baba, la laitière, qu’elle ne pense plus à manœuvrer son tank !
— Qu’est-ce que tu attends ? je lui souffle, démarre !
Elle obéit comme une automate. Je sais pas à quoi elle pense, mais c’est sûrement pas à la mort de Louis XVI…
Lorsque nous avons franchi une certaine distance, je commence à me relever…
— Attention ! fait-elle brusquement, il y a des policiers tout le long de la route !