Charmez l’enfant, extases inouïes!
Et, quand le soir vient avec la douleur,
Charmez encor nos âmes éblouies,
Jeunes amours, si vite évanouies!
Mai 1843.
XII. Vere novo
Comme le matin rit sur les roses en pleurs!
Oh! les charmants petits amoureux qu’ont les fleurs!
Ce n’est dans les jasmins, ce n’est dans les pervenches
Qu’un éblouissement de folles ailes blanches
Qui vont, viennent, s’en vont, reviennent, se fermant,
Se rouvrant, dans un vaste et doux frémissement.
Ô printemps! quand on songe à toutes les missives
Qui des amants rêveurs vont aux belles pensives,
À ces cœurs confiés au papier, à ce tas
De lettres que le feutre écrit au taffetas,
Aux messages d’amour, d’ivresse et de délire
Qu’on reçoit en avril et qu’en mai l’on déchire,
On croit voir s’envoler, au gré du vent joyeux,
Dans les prés, dans les bois, sur les eaux, dans les cieux,
Et rôder en tous lieux, cherchant partout une âme,
Et courir à la fleur en sortant de la femme,
Les petits morceaux blancs, chassés en tourbillons,
De tous les billets doux, devenus papillons.
Mai 1831.
XIII. À propos d’Horace
Marchands de grec! marchands de latin! cuistres! dogues!
Philistins! magisters! je vous hais, pédagogues!
Car, dans votre aplomb grave, infaillible, hébété,
Vous niez l’idéal, la grâce et la beauté!
Car vos textes, vos lois, vos règles sont fossiles!
Car, avec l’air profond, vous êtes imbéciles!
Car vous enseignez tout, et vous ignorez tout!
Car vous êtes mauvais et méchants! – Mon sang bout
Rien qu’à songer au temps où, rêveuse bourrique,
Grand diable de seize ans, j’étais en rhétorique!
Que d’ennuis! de fureurs! de bêtises! – gredins! -
Que de froids châtiments et que de chocs soudains!
«Dimanche en retenue et cinq cents vers d’Horace!»
Je regardais le monstre aux ongles noirs de crasse,
Et je balbutiais: «Monsieur… – Pas de raisons!
«Vingt fois l’ode à Plancus et l’épître aux Pisons!»
Or, j’avais justement, ce jour-là, – douce idée
Qui me faisait rêver d’Armide et d’Haydée, -
Un rendez-vous avec la fille du portier.
Grand Dieu! perdre un tel jour! le perdre tout entier!
Je devais, en parlant d’amour, extase pure!
En l’enivrant avec le ciel et la nature,
La mener, si le temps n’était pas trop mauvais,
Manger de la galette aux buttes Saint-Gervais!
Rêve heureux! je voyais, dans ma colère bleue,
Tout cet Eden, congé, les lilas, la banlieue,
Et j’entendais, parmi le thym et le muguet,
Les vagues violons de la mère Saguet!
Ô douleur! furieux, je montais à ma chambre,
Fournaise au mois de juin, et glacière en décembre;
Et, là, je m’écriais:
– Horace! ô bon garçon!
Qui vivais dans le calme et selon la raison,
Et qui t’allais poser, dans ta sagesse franche,
Sur tout, comme l’oiseau se pose sur la branche,
Sans peser, sans rester, ne demandant aux dieux
Que le temps de chanter ton chant libre et joyeux!
Tu marchais, écoutant le soir, sous les charmilles,
Les rires étouffés des folles jeunes filles,
Les doux chuchotements dans l’angle obscur du bois;
Tu courtisais ta belle esclave quelquefois,
Myrtale aux blonds cheveux, qui s’irrite et se cabre
Comme la mer creusant les golfes de Calabre,
Ou bien tu t’accoudais à table, buvant sec
Ton vin que tu mettais toi-même en un pot grec.
Pégase te soufflait des vers de sa narine;
Tu songeais; tu faisais des odes à Barine,
À Mécène, à Virgile, à ton champ de Tibur,
À Chloë, qui passait le long de ton vieux mur,
Portant sur son beau front l’amphore délicate.
La nuit, lorsque Phœbé devient la sombre Hécate,
Les halliers s’emplissaient pour toi de visions;
Tu voyais des lueurs, des formes, des rayons,
Cerbère se frotter, la queue entre les jambes,
À Bacchus, dieu des vins et père des ïambes;
Silène digérer dans sa grotte, pensif;
Et se glisser dans l’ombre, et s’enivrer, lascif,
Aux blanches nudités des nymphes peu vêtues,