Le faune aux pieds de chèvre, aux oreilles pointues!
Horace, quand grisé d’un petit vin sabin,
Tu surprenais Glycère ou Lycoris au bain,
Qui t’eût dit, ô Flaccus! quand tu peignais à Rome
Les jeunes chevaliers courant dans l’hippodrome,
Comme Molière a peint en France les marquis,
Que tu faisais ces vers charmants, profonds, exquis,
Pour servir, dans le siècle odieux où nous sommes,
D’instruments de torture à d’horribles bonshommes,
Mal peignés, mal vêtus, qui mâchent, lourds pédants,
Comme un singe une fleur, ton nom entre leurs dents!
Grimauds hideux qui n’ont, tant leur tête est vidée,
Jamais eu de maîtresse et jamais eu d’idée!
Puis j’ajoutais, farouche:
– Ô cancres! qui mettez
Une soutane aux dieux de l’éther irrités,
Un béguin à Diane, et qui de vos tricornes
Coiffez sinistrement les olympiens mornes,
Eunuques, tourmenteurs, crétins, soyez maudits!
Car vous êtes les vieux, les noirs, les engourdis,
Car vous êtes l’hiver; car vous êtes, ô cruches!
L’ours qui va dans les bois cherchant un arbre à ruches,
L’ombre, le plomb, la mort, la tombe, le néant!
Nul ne vit près de vous dressé sur son séant;
Et vous pétrifiez d’une haleine sordide
Le jeune homme naïf, étincelant, splendide;
Et vous vous approchez de l’aurore, endormeurs!
À Pindare serein plein d’épiques rumeurs,
À Sophocle, à Térence, à Plaute, à l’ambroisie,
Ô traîtres, vous mêlez l’antique hypocrisie,
Vos ténèbres, vos mœurs, vos jougs, vos exeats,
Et l’assoupissement des noirs couvents béats;
Vos coups d’ongle rayant tous les sublimes livres,
Vos préjugés qui font vos yeux de brouillard ivres,
L’horreur de l’avenir, la haine du progrès;
Et vous faites, sans peur, sans pitié, sans regrets,
À la jeunesse, aux cœurs vierges, à l’espérance,
Boire dans votre nuit ce vieil opium rance!
Ô fermoirs de la bible humaine! sacristains
De l’art, de la science, et des maîtres lointains,
Et de la vérité que l’homme aux cieux épèle,
Vous changez ce grand temple en petite chapelle!
Guichetiers de l’esprit, faquins dont le goût sûr
Mène en laisse le beau; porte-clefs de l’azur,
Vous prenez Théocrite, Eschyle aux sacrés voiles,
Tibulle plein d’amour, Virgile plein d’étoiles;
Vous faites de l’enfer avec ces paradis!
Et, ma rage croissant, je reprenais:
– Maudits,
Ces monastères sourds! bouges! prisons haïes!
Oh! comme on fit jadis au pédant de Veïes,
Culotte bas, vieux tigre! Écoliers! écoliers!
Accourez par essaims, par bandes, par milliers,
Du gamin de Paris au grœculus de Rome,
Et coupez du bois vert, et fouaillez-moi cet homme!
Jeunes bouches, mordez le metteur de bâillons!
Le mannequin sur qui l’on drape des haillons
A tout autant d’esprit que ce cuistre en son antre,
Et tout autant de cœur; et l’un a dans le ventre
Du latin et du grec comme l’autre a du foin.
Ah! je prends Phyllodoce et Xanthis à témoin
Que je suis amoureux de leurs claires tuniques;
Mais je hais l’affreux tas des vils pédants iniques!
Confier un enfant, je vous demande un peu,
À tous ces êtres noirs! autant mettre, morbleu!
La mouche en pension chez une tarentule!
Ces moines, expliquer Platon, lire Catulle,
Tacite racontant le grand Agricola,
Lucrèce! eux, déchiffrer Homère, ces gens-là!
Ces diacres! ces bedeaux dont le groin renifle!
Crânes d’où sort la nuit, pattes d’où sort la gifle,
Vieux dadais à l’air rogue, au sourcil triomphant,
Qui ne savent pas même épeler un enfant!
Ils ignorent comment l’âme naît et veut croître.
Cela vous a Laharpe et Nonotte pour cloître!
Ils en sont à l’A, B, C, D, du cœur humain;
Ils sont l’horrible Hier qui veut tuer Demain;
Ils offrent à l’aiglon leurs règles d’écrevisses.
Et puis ces noirs tessons ont une odeur de vices.
Ô vieux pots égueulés des soifs qu’on ne dit pas!
Le pluriel met une S à leurs meas culpas,
Les boucs mystérieux, en les voyant, s’indignent,
Et, quand on dit: «Amour!» terre et cieux! ils se signent.
Leur vieux viscère mort insulte au cœur naissant.
Ils le prennent de haut avec l’adolescent,
Et ne tolèrent pas le jour entrant dans l’âme
Sous la forme pensée ou sous la forme femme.