Выбрать главу

Regarde la clarté du haut de la colline;

Et tout, hormis le coq à la voix sibylline,

Raille et nie; et, passants confus, marcheurs nombreux,

Toute la foule éclate en rires ténébreux

Quand ce vivant, qui n’a d’autre signe lui-même

Parmi tous ces fronts noirs que d’être le front blême,

Dit en montrant ce point vague et lointain qui luit:

Cette blancheur est plus que toute cette nuit!

Janvier 1856.

XXII. Ce que c’est que la mort

Ne dites pas: mourir; dites: naître. Croyez.

On voit ce que je vois et ce que vous voyez;

On est l’homme mauvais que je suis, que vous êtes;

On se rue aux plaisirs, aux tourbillons, aux fêtes;

On tâche d’oublier le bas, la fin, l’écueil,

La sombre égalité du mal et du cercueil;

Quoique le plus petit vaille le plus prospère;

Car tous les hommes sont les fils du même père;

Ils sont la même larme et sortent du même œil.

On vit, usant ses jours à se remplir d’orgueil;

On marche, on court, on rêve, on souffre, on penche, on tombe,

On monte. Quelle est donc cette aube? C’est la tombe.

Où suis-je? Dans la mort. Viens! Un vent inconnu

Vous jette au seuil des cieux. On tremble; on se voit nu,

Impur, hideux, noué des mille nœuds funèbres

De ses torts, de ses maux honteux, de ses ténèbres;

Et soudain on entend quelqu’un dans l’infini

Qui chante, et par quelqu’un on sent qu’on est béni,

Sans voir la main d’où tombe à notre âme méchante

L’amour, et sans savoir quelle est la voix qui chante.

On arrive homme, deuil, glaçon, neige; on se sent

Fondre et vivre; et, d’extase et d’azur s’emplissant,

Tout notre être frémit de la défaite étrange

Du monstre qui devient dans la lumière un ange.

Au dolmen de la tour Blanche, jour des Morts, novembre 1854.

XXIII. Les mages

I

Pourquoi donc faites-vous des prêtres

Quand vous en avez parmi vous?

Les esprits conducteurs des êtres

Portent un signe sombre et doux.

Nous naissons tous ce que nous sommes.

Dieu de ses mains sacre des hommes

Dans les ténèbres des berceaux;

Son effrayant doigt invisible

Écrit sous leur crâne la bible

Des arbres, des monts et des eaux.

Ces hommes, ce sont les poëtes;

Ceux dont l’aile monte et descend;

Toutes les bouches inquiètes

Qu’ouvre le verbe frémissant;

Les Virgiles, les Isaïes;

Toutes les âmes envahies

Par les grandes brumes du sort;

Tous ceux en qui Dieu se concentre;

Tous les yeux où la lumière entre,

Tous les fronts d’où le rayon sort.

Ce sont ceux qu’attend Dieu propice

Sur les Horebs et les Thabors;

Ceux que l’horrible précipice

Retient blêmissants à ses bords;

Ceux qui sentent la pierre vivre;

Ceux que Pan formidable enivre;

Ceux qui sont tout pensifs devant

Les nuages, ces solitudes

Où passent en mille attitudes

Les groupes sonores du vent.

Ce sont les sévères artistes

Que l’aube attire à ses blancheurs,

Les savants, les inventeurs tristes,

Les puiseurs d’ombre, les chercheurs,

Qui ramassent dans les ténèbres

Les faits, les chiffres, les algèbres,

Le nombre où tout est contenu,

Le doute où nos calculs succombent,

Et tous les morceaux noirs qui tombent

Du grand fronton de l’inconnu!

Ce sont les têtes fécondées

Vers qui monte et croît pas à pas

L’océan confus des idées,

Flux que la foule ne voit pas,

Mer de tous les infinis pleine,

Que Dieu suit, que la nuit amène,

Qui remplit l’homme de clarté,

Jette aux rochers l’écume amère,

Et lave les pieds nus d’Homère

Avec un flot d’éternité!

Le poëte s’adosse à l’arche.

David chante et voit Dieu de près;

Hésiode médite et marche,

Grand prêtre fauve des forêts;