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Moïse, immense créature,

Étend ses mains sur la nature;

Manès parle au gouffre puni,

Écouté des astres sans nombre… -

Génie! ô tiare de l’ombre!

Pontificat de l’infini!

L’un à Patmos, l’autre à Tyane;

D’autres criant: Demain! demain!

D’autres qui sonnent la diane

Dans les sommeils du genre humain;

L’un fatal, l’autre qui pardonne;

Eschyle en qui frémit Dodone,

Milton, songeur de Whitehall,

Toi, vieux Shakspeare, âme éternelle;

Ô figures dont la prunelle

Est la vitre de l’idéal!

Avec sa spirale sublime,

Archimède sur son sommet

Rouvrirait le puits de l’abîme

Si jamais Dieu le refermait;

Euclide a les lois sous sa garde;

Kopernic éperdu regarde,

Dans les grands cieux aux mers pareils,

Gouffre où voguent des nefs sans proues,

Tourner toutes ces sombres roues

Dont les moyeux sont des soleils.

Les Thalès, puis les Pythagores;

Et l’homme, parmi ses erreurs,

Comme dans l’herbe les fulgores,

Voit passer ces grands éclaireurs.

Aristophane rit des sages;

Lucrèce, pour franchir les âges,

Crée un poëme dont l’œil luit,

Et donne à ce monstre sonore

Toutes les ailes de l’aurore,

Toutes les griffes de la nuit.

Rites profonds de la nature!

Quelques-uns de ces inspirés

Acceptent l’étrange aventure

Des monts noirs et des bois sacrés;

Ils vont aux Thébaïdes sombres,

Et, là, blêmes dans les décombres,

Ils courbent le tigre fuyant,

L’hyène rampant sur le ventre,

L’océan, la montagne et l’antre,

Sous leur sacerdoce effrayant!

Tes cheveux sont gris sur l’abîme,

Jérôme, ô vieillard du désert!

Élie, un pâle esprit t’anime,

Un ange épouvanté te sert.

Amos, aux lieux inaccessibles,

Des sombres clairons invisibles

Ton oreille entend les accords;

Ton âme, sur qui Dieu surplombe,

Est déjà toute dans la tombe,

Et tu vis absent de ton corps.

Tu gourmandes l’âme échappée,

Saint Paul, ô lutteur redouté,

Immense apôtre de l’épée,

Grand vaincu de l’éternité!

Tu luis, tu frappes, tu réprouves;

Et tu chasses du doigt ces louves,

Cythérée, Isis, Astarté;

Tu veux punir et non absoudre,

Géant, et tu vois dans la foudre

Plus de glaive que de clarté.

Orphée est courbé sur le monde;

L’éblouissant est ébloui;

La création est profonde

Et monstrueuse autour de lui;

Les rochers, ces rudes hercules,

Combattent dans les crépuscules

L’ouragan, sinistre inconnu;

La mer en pleurs dans la mêlée

Tremble, et la vague échevelée

Se cramponne à leur torse nu.

Baruch au juste dans la peine

Dit: – Frère! vos os sont meurtris;

Votre vertu dans nos murs traîne

La chaîne affreuse du mépris;

Mais comptez sur la délivrance,

Mettez en Dieu votre espérance,

Et de cette nuit du destin,

Demain, si vous avez su croire,

Vous vous lèverez plein de gloire,

Comme l’étoile du matin! -

L’âme des Pindares se hausse

À la hauteur des Pélions;

Daniel chante dans la fosse

Et fait sortir Dieu des lions.

Tacite sculpte l’infamie;

Perse, Archiloque et Jérémie

Ont le même éclair dans les yeux;

Car le crime à sa suite attire

Les âpres chiens de la satire

Et le grand tonnerre des cieux.

Et voilà les prêtres du rire,

Scarron, noué dans les douleurs,

Ésope, que le fouet déchire,

Cervante aux fers, Molière en pleurs!

Le désespoir et l’espérance!

Entre Démocrite et Térence,

Rabelais, que nul ne comprit;

Il berce Adam pour qu’il s’endorme,