Et son éclat de rire énorme
Est un des gouffres de l’esprit!
Et Plaute, à qui parlent les chèvres,
Arioste chantant Médor,
Catulle, Horace, dont les lèvres
Font venir les abeilles d’or;
Comme le double Dioscure,
Anacréon près d’Épicure,
Bion, tout pénétré de jour,
Moschus, sur qui l’Etna flamboie,
Voilà les prêtres de la joie!
Voilà les prêtres de l’amour!
Gluck et Beethoven sont à l’aise
Sous l’ange où Jacob se débat;
Mozart sourit, et Pergolèse
Murmure ce grand mot: Stabat!
Le noir cerveau de Piranèse
Est une béante fournaise
Où se mêlent l’arche et le ciel,
L’escalier, la tour, la colonne;
Où croît, monte, s’enfle et bouillonne
L’incommensurable Babel!
L’envie à leur ombre ricane.
Ces demi-dieux signent leur nom,
Bramante sur la Vaticane,
Phidias sur le Parthénon;
Sur Jésus dans sa crèche blanche,
L’altier Buonarotti se penche
Comme un mage et comme un aïeul,
Et dans tes mains, ô Michel-Ange,
L’enfant devient spectre, et le lange
Est plus sombre que le linceul!
Chacun d’eux écrit un chapitre
Du rituel universel;
Les uns sculptent le saint pupitre,
Les autres dorent le missel;
Chacun fait son verset du psaume;
Lysippe, debout sur l’Ithome,
Fait sa strophe en marbre serein,
Rembrandt à l’ardente paupière,
En toile, Primatice en pierre,
Job en fumier, Dante en airain.
Et toutes ces strophes ensemble
Chantent l’être et montent à Dieu;
L’une adore et luit, l’autre tremble;
Toutes sont les griffons de feu;
Toutes sont le cri des abîmes,
L’appel d’en bas, la voix des cimes,
Le frisson de notre lambeau,
L’hymne instinctif ou volontaire,
L’explication du mystère
Et l’ouverture du tombeau!
À nous qui ne vivons qu’une heure,
Elles font voir les profondeurs,
Et la misère intérieure,
Ciel, à côté de vos grandeurs!
L’homme, esprit captif, les écoute,
Pendant qu’en son cerveau le doute,
Bête aveugle aux lueurs d’en haut,
Pour y prendre l’âme indignée,
Suspend sa toile d’araignée
Au crâne, plafond du cachot.
Elles consolent, aiment, pleurent,
Et, mariant l’idée aux sens,
Ceux qui restent à ceux qui meurent,
Les grains de cendre aux grains d’encens,
Mêlant le sable aux pyramides,
Rendent en même temps humides,
Rappelant à l’un que tout fuit,
À l’autre sa splendeur première,
L’œil de l’astre dans la lumière,
Et l’œil du monstre dans la nuit!
Oui, c’est un prêtre que Socrate!
Oui, c’est un prêtre que Caton!
Quand Juvénal fuit Rome ingrate,
Nul sceptre ne vaut son bâton;
Ce sont des prêtres, les Tyrtées,
Les Solons aux lois respectées,
Les Platons et les Raphaëls!
Fronts d’inspirés, d’esprits, d’arbitres!
Plus resplendissants que les mitres
Dans l’auréole des Noëls!
Vous voyez, fils de la nature,
Apparaître à votre flambeau
Des faces de lumière pure,
Larves du vrai, spectres du beau;
Le mystère, en Grèce, en Chaldée,
Penseurs, grave à vos fronts l’idée
Et l’hiéroglyphe à vos murs;
Et les Indes et les Égyptes
Dans les ténèbres de vos cryptes
S’enfoncent en porches obscurs!
Quand les cigognes du Caÿstre
S’envolent aux souffles des soirs;
Quand la lune apparaît sinistre
Derrière les grands dômes noirs;
Quand la trombe aux vagues s’appuie;
Quand l’orage, l’horreur, la pluie,
Que tordent les bises d’hiver,
Répandent avec des huées
Toutes les larmes des nuées