– Archipel où la vague fume,
Quel mot jettes-tu dans la brume?
– Mort! dit la roche à l’alcyon.
– Pléiades qui percez nos voiles,
Qu’est-ce que disent vos étoiles?
– Dieu! dit la constellation.
C’est, ô noirs témoins de l’espace,
Dans trois langues le même mot!
Tout ce qui s’obscurcit, vit, passe,
S’effeuille et meurt, tombe là-haut.
Nous faisons tous la même course.
Être abîme, c’est être source.
Le crêpe de la nuit en deuil,
La pierre de la tombe obscure,
Le rayon de l’étoile pure
Sont les paupières du même œil!
L’unité reste, l’aspect change;
Pour becqueter le fruit vermeil,
Les oiseaux volent à l’orange
Et les comètes au soleil;
Tout est l’atome et tout est l’astre;
La paille porte, humble pilastre,
L’épi d’où naissent les cités;
La fauvette à la tête blonde
Dans la goutte d’eau boit un monde…
Immensités! immensités!
Seul, la nuit, sur sa plate-forme,
Herschell poursuit l’être central
À travers la lentille énorme,
Cristallin de l’œil sidéral;
Il voit en haut Dieu dans les mondes,
Tandis que, des hydres profondes
Scrutant les monstrueux combats,
Le microscope formidable,
Plein de l’horreur de l’insondable,
Regarde l’infini d’en bas!
Dieu, triple feu, triple harmonie,
Amour, puissance, volonté,
Prunelle énorme d’insomnie,
De flamboiement et de bonté,
Vu dans toute l’épaisseur noire,
Montrant ses trois faces de gloire
À l’âme, à l’être, au firmament,
Effarant les yeux et les bouches,
Emplit les profondeurs farouches
D’un immense éblouissement.
Tous ces mages, l’un qui réclame,
L’autre qui voulut ou couva,
Ont un rayon qui de leur âme
Va jusqu’à l’œil de Jéhovah;
Sur leur trône leur esprit songe;
Une lueur qui d’en haut plonge,
Qui descend du ciel sur les monts
Et de Dieu sur l’homme qui souffre,
Rattache au triangle du gouffre
L’escarboucle des Salomons.
Ils parlent à la solitude,
Et la solitude comprend;
Ils parlent à la multitude,
Et font écumer ce torrent;
Ils font vibrer les édifices;
Ils inspirent les sacrifices
Et les inébranlables fois;
Sombres, ils ont en eux, pour muse,
La palpitation confuse
De tous les êtres à la fois.
Comment naît un peuple? Mystère!
À de certains moments, tout bruit
A disparu; toute la terre
Semble une plaine de la nuit;
Toute lueur s’est éclipsée;
Pas de verbe, pas de pensée,
Rien dans l’ombre et rien dans le ciel,
Pas un œil n’ouvre ses paupières… -
Le désert blême est plein de pierres,
Ézéchiel! Ézéchiel!
Mais un vent sort des cieux sans bornes,
Grondant comme les grandes eaux,
Et souffle sur ces pierres mornes,
Et de ces pierres fait des os;
Ces os frémissent, tas sonore;
Et le vent souffle, et souffle encore
Sur ce triste amas agité,
Et de ces os il fait des hommes,
Et nous nous levons et nous sommes,
Et ce vent, c’est la liberté!
Ainsi s’accomplit la genèse
Du grand rien d’où naît le grand tout.
Dieu pensif dit: Je suis bien aise
Que ce qui gisait soit debout.
Le néant dit: J’étais souffrance;
La douleur dit: Je suis la France!
Ô formidable vision!
Ainsi tombe le noir suaire;
Le désert devient ossuaire,
Et l’ossuaire nation.
Tout est la mort, l’horreur, la guerre;