Dompteurs des fauves hippogriffes,
Cavaliers des pégases noirs!
Âmes devant Dieu toutes nues,
Voyants des choses inconnues,
Vous savez la religion!
Quand votre esprit veut fuir dans l’ombre,
La nuée aux croupes sans nombre
Lui dit: Me voici, Légion!
Et, quand vous sortez du problème,
Célébrateurs, révélateurs!
Quand, rentrant dans la foule blême,
Vous redescendez des hauteurs,
Hommes que le jour divin gagne,
Ayant mêlé sur la montagne
Où montent vos chants et nos vœux,
Votre front au front de l’aurore,
Ô géants! vous avez encore
De ses rayons dans les cheveux!
Allez tous à la découverte!
Entrez au nuage grondant!
Et rapportez à l’herbe verte,
Et rapportez au sable ardent,
Rapportez, quel que soit l’abîme,
À l’Enfer, que Satan opprime,
Au Tartare, où saigne Ixion,
Aux cœurs bons, à l’âme méchante,
À tout ce qui rit, mord ou chante,
La grande bénédiction!
Oh! tous à la fois, aigles, âmes,
Esprits, oiseaux, essors, raisons,
Pour prendre en vos serres les flammes,
Pour connaître les horizons,
À travers l’ombre et les tempêtes,
Ayant au-dessus de vos têtes
Mondes et soleils, au-dessous
Inde, Égypte, Grèce et Judée,
De la montagne et de l’idée,
Envolez-vous! envolez-vous!
N’est-ce pas que c’est ineffable
De se sentir immensité,
D’éclairer ce qu’on croyait fable
À ce qu’on trouve vérité,
De voir le fond du grand cratère,
De sentir en soi du mystère
Entrer tout le frisson obscur,
D’aller aux astres, étincelle,
Et de se dire: Je suis l’aile!
Et de se dire: J’ai l’azur!
Allez, prêtres! allez, génies!
Cherchez la note humaine, allez,
Dans les suprêmes symphonies
Des grands abîmes étoilés!
En attendant l’heure dorée,
L’extase de la mort sacrée,
Loin de nous, troupeaux soucieux,
Loin des lois que nous établîmes,
Allez goûter, vivants sublimes,
L’évanouissement des cieux!
Janvier 1856.
XXIV. En frappant à une porte
J’ai perdu mon père et ma mère,
Mon premier né, bien jeune, hélas!
Et pour moi la nature entière
Sonne le glas.
Je dormais entre mes deux frères;
Enfants, nous étions trois oiseaux;
Hélas! le sort change en deux bières
Leurs deux berceaux.
Je t’ai perdue, ô fille chère,
Toi qui remplis, ô mon orgueil,
Tout mon destin de la lumière
De ton cercueil!
J’ai su monter, j’ai su descendre.
J’ai vu l’aube et l’ombre en mes cieux.
J’ai connu la pourpre, et la cendre
Qui me va mieux.
J’ai connu les ardeurs profondes,
J’ai connu les sombres amours;
J’ai vu fuir les ailes, les ondes,
Les vents, les jours.
J’ai sur ma tête des orfraies;
J’ai sur tous mes travaux l’affront,
Aux pieds la poudre, au cœur des plaies,
L’épine au front.
J’ai des pleurs mon œil qui pense,
Des trous à ma robe en lambeau;
Je n’ai rien à la conscience;
Ouvre, tombeau.
Marine-Terrace, 4 septembre 1855.
XXV. Nomen, numen, lumen
Quand il eut terminé, quand les soleils épars,
Éblouis, du chaos montant de toutes parts,
Se furent tous rangés à leur place profonde,
Il sentit le besoin de se nommer au monde;
Et l’être formidable et serein se leva;
Il se dressa sur l’ombre et cria: JÉHOVAH!
Et dans l’immensité ces sept lettres tombèrent;
Et ce sont, dans les cieux que nos yeux réverbèrent,