Est l’animal courbé vers la terre; au-dessous
De la brute est la plante inerte, sans paupière
Et sans cris; au-dessous de la plante est la pierre;
Au-dessous de la pierre est le chaos sans nom.
Avançons dans cette ombre et sois mon compagnon.
Toute faute qu’on fait est un cachot qu’on s’ouvre.
Les mauvais, ignorant quel mystère les couvre,
Les êtres de fureur, de sang, de trahison,
Avec leurs actions bâtissent leur prison;
Tout bandit, quand la mort vient lui toucher l’épaule
Et l’éveille, hagard, se retrouve en la geôle
Que lui fit son forfait derrière lui rampant;
Tibère en un rocher, Séjan dans un serpent.
L’homme marche sans voir ce qu’il fait dans l’abîme.
L’assassin pâlirait s’il voyait sa victime;
C’est lui. L’oppresseur vil, le tyran sombre et fou,
En frappant sans pitié sur tous, forge le clou
Qui le clouera dans l’ombre au fond de la matière.
Les tombeaux sont les trous du crible cimetière,
D’où tombe, graine obscure en un ténébreux champ,
L’effrayant tourbillon des âmes.
Tout méchant
Fait naître en expirant le monstre de sa vie,
Qui le saisit. L’horreur par l’horreur est suivie.
Nemrod gronde enfermé dans la montagne à pic;
Quand Dalila descend dans la tombe, un aspic
Sort des plis du linceul, emportant l’âme fausse;
Phryné meurt, un crapaud saute hors de la fosse;
Ce scorpion au fond d’une pierre dormant,
C’est Clytemnestre aux bras d’Égisthe son amant;
Du tombeau d’Anitus il sort une ciguë;
Le houx sombre et l’ortie à la piqûre aiguë
Pleurent quand l’aquilon les fouette, et l’aquilon
Leur dit: Tais-toi, Zoïle! et souffre, Ganelon!
Dieu livre, choc affreux dont la plaine au loin gronde,
Au cheval Brunehaut le pavé Frédégonde;
La pince qui rougit dans le brasier hideux
Est faite du duc d’Albe et de Philippe Deux;
Farinace est le croc des noires boucheries;
L’orfraie au fond de l’ombre a les yeux de Jeffryes;
Tristan est au secret dans le bois d’un gibet.
Quand tombent dans la mort tous ces brigands, Macbeth,
Ezzelin, Richard Trois, Carrier, Ludovic Sforce,
La matière leur met la chemise de force.
Oh! comme en son bonheur, qui masque un sombre arrêt,
Messaline ou l’horrible Isabeau frémirait
Si, dans ses actions du sépulcre voisines,
Cette femme sentait qu’il lui vient des racines,
Et qu’ayant été monstre, elle deviendra fleur!
À chacun son forfait! à chacun sa douleur!
Claude est l’algue que l’eau traîne de havre en havre;
Xercès est excrément, Charles Neuf est cadavre;
Hérode, c’est l’osier des berceaux vagissants;
L’âme du noir Judas, depuis dix-huit cents ans,
Se disperse et renaît dans les crachats des hommes;
Et le vent qui jadis soufflait sur les Sodomes
Mêle, dans l’âtre abject et sous le vil chaudron,
La fumée Erostrate à la flamme Néron.
Et tout, bête, arbre et roche, étant vivant sur terre,
Tout est monstre, excepté l’homme, esprit solitaire.
L’âme que sa noirceur chasse du firmament
Descend dans les degrés divers du châtiment
Selon que plus ou moins d’obscurité la gagne.
L’homme en est la prison, la bête en est le bagne,
L’arbre en est le cachot, la pierre en est l’enfer.
Le ciel d’en haut, le seul qui soit splendide et clair,
La suit des yeux dans l’ombre, et, lui jetant l’aurore,
Tâche, en la regardant, de l’attirer encore.
Ô chute! dans la bête, à travers les barreaux
De l’instinct, obstruant de pâles soupiraux,
Ayant encor la voix, l’essor et la prunelle,
L’âme entrevoit de loin la lueur éternelle;
Dans l’arbre elle frissonne, et, sans jour et sans yeux,
Sent encor dans le vent quelque chose des cieux;
Dans la pierre elle rampe, immobile, muette,
Ne voyant même plus l’obscure silhouette
Du monde qui s’éclipse et qui s’évanouit,
Et face à face avec son crime dans la nuit.
L’âme en ces trois cachots traîne sa faute noire.
Comme elle en a la forme, elle en a la mémoire;
Elle sait ce qu’elle est; et, tombant sans appuis,