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Flairant l’éternité de son museau difforme,

Là, dans l’ombre, à tes pieds, homme, ton chien voit Dieu.

Ah! je t’entends. Tu dis: – Quel deuil! la bête est peu,

L’homme n’est rien. Ô loi misérable! ombre! abîme! -

*

Ô songeur! cette loi misérable est sublime.

Il faut donc tout redire à ton esprit chétif!

À la fatalité, loi du monstre captif,

Succède le devoir, fatalité de l’homme.

Ainsi de toutes parts l’épreuve se consomme,

Dans le monstre passif, dans l’homme intelligent,

La nécessité morne en devoir se changeant,

Et l’âme, remontant à sa beauté première,

Va de l’ombre fatale à la libre lumière.

Or, je te le redis, pour se transfigurer,

Et pour se racheter, l’homme doit ignorer.

Il doit être aveuglé par toutes les poussières.

Sans quoi, comme l’enfant guidé par des lisières,

L’homme vivrait, marchant droit à la vision.

Douter est sa puissance et sa punition.

Il voit la rose, et nie; il voit l’aurore, et doute;

Où serait le mérite à retrouver sa route,

Si l’homme, voyant clair, roi de sa volonté,

Avait la certitude, ayant la liberté?

Non. Il faut qu’il hésite en la vaste nature,

Qu’il traverse du choix l’effrayante aventure,

Et qu’il compare au vice agitant son miroir,

Au crime, aux voluptés, l’œil en pleurs du devoir;

Il faut qu’il doute! Hier croyant demain impie;

Il court du mal au bien; il scrute, sonde, épie,

Va, revient, et, tremblant, agenouillé, debout,

Les bras étendus, triste, il cherche Dieu partout;

Il tâte l’infini jusqu’à ce qu’il l’y sente;

Alors, son âme ailée éclate frémissante;

L’ange éblouissant luit dans l’homme transparent.

Le doute le fait libre, et la liberté, grand.

La captivité sait; la liberté suppose,

Creuse, saisit l’effet, le compare à la cause,

Croit vouloir le bien-être et veut le firmament;

Et, cherchant le caillou, trouve le diamant.

C’est ainsi que du ciel l’âme à pas lents s’empare.

Dans le monstre, elle expie; en l’homme, elle répare.

*

Oui, ton fauve univers est le forçat de Dieu.

Les constellations, sombres lettres de feu,

Sont les marques du bagne à l’épaule du monde.

Dans votre région tant d’épouvante abonde,

Que, pour l’homme, marqué lui-même du fer chaud,

Quand il lève les yeux vers les astres, là-haut,

Le cancer resplendit, le scorpion flamboie,

Et dans l’immensité le chien sinistre aboie!

Ces soleils inconnus se groupent sur son front

Comme l’effroi, le deuil, la menace et l’affront;

De toutes parts s’étend l’ombre incommensurable;

En bas l’obscur, l’impur, le mauvais, l’exécrable,

Le pire, tas hideux, fourmillent; tout au fond,

Ils échangent entre eux dans l’ombre ce qu’ils font;

Typhon donne l’horreur, Satan donne le crime;

Lugubre intimité du mal et de l’abîme!

Amours de l’âme monstre et du monstre univers!

Baiser triste! et l’informe engendré du pervers,

La matière, le bloc, la fange, la géhenne,

L’écume, le chaos, l’hiver, nés de la haine,

Les faces de beauté qu’habitent des démons,

Tous les êtres maudits, mêlés aux vils limons,

Pris par la plante fauve et la bête féroce,

Le grincement de dents, la peur, le rire atroce,

L’orgueil, que l’infini courbe sous son niveau,

Rampent, noirs prisonniers, dans la nuit, noir caveau.

La porte, affreuse et faite avec de l’ombre, est lourde;

Par moments, on entend, dans la profondeur sourde,

Les efforts que les monts, les flots, les ouragans,

Les volcans, les forêts, les animaux brigands,

Et tous les monstres font pour soulever le pêne;

Et sur cet amas d’ombre, et de crime, et de peine,

Ce grand ciel formidable est le scellé de Dieu.

Voilà pourquoi, songeur dont la mort est le vœu,

Tant d’angoisse est empreinte au front des cénobites!

Je viens de te montrer le gouffre. Tu l’habites.

*

Les mondes, dans la nuit que vous nommez l’azur,

Par les brèches que fait la mort blême à leur mur,

Se jettent en fuyant l’un à l’autre des âmes.