Dans votre globe où sont tant de geôles infâmes,
Vous avez des méchants de tous les univers,
Condamnés qui, venus des cieux les plus divers,
Rêvent dans vos rochers, ou dans vos arbres ploient;
Tellement stupéfaits de ce monde qu’ils voient,
Qu’eussent-ils la parole, ils ne pourraient parler.
On en sent quelques-uns frissonner et trembler.
De là les songes vains du bonze et de l’augure.
Donc, représente-toi cette sombre figure:
Ce gouffre, c’est l’égout du mal universel.
Ici vient aboutir de tous les points du ciel
La chute des punis, ténébreuse traînée.
Dans cette profondeur, morne, âpre, infortunée,
De chaque globe il tombe un flot vertigineux
D’âmes, d’esprits malsains et d’êtres vénéneux,
Flot que l’éternité voit sans fin se répandre.
Chaque étoile au front d’or qui brille, laisse pendre
Sa chevelure d’ombre en ce puits effrayant.
Âme immortelle, vois, et frémis en voyant:
Voilà le précipice exécrable où tu sombres.
Oh! qui que vous soyez, qui passez dans ces ombres,
Versez votre pitié sur ces douleurs sans fond!
Dans ce gouffre, où l’abîme en l’abîme se fond,
Se tordent les forfaits, transformés en supplices,
L’effroi, le deuil, le mal, les ténèbres complices,
Les pleurs sous la toison, le soupir expiré
Dans la fleur, et le cri dans la pierre muré!
Oh! qui que vous soyez, pleurez sur ces misères!
Pour Dieu seul, qui sait tout, elles sont nécessaires;
Mais vous pouvez pleurer sur l’énorme cachot
Sans déranger le sombre équilibre d’en haut!
Hélas! hélas! hélas! tout est vivant! tout pense!
La mémoire est la peine, étant la récompense.
Oh! comme ici l’on souffre et comme on se souvient!
Torture de l’esprit que la matière tient!
La brute et le granit, quel chevalet pour l’âme!
Ce mulet fut sultan, ce cloporte était femme.
L’arbre est un exilé, la roche est un proscrit.
Est-ce que, quelque part, par hasard, quelqu’un rit
Quand ces réalités sont là, remplissant l’ombre?
La ruine, la mort, l’ossement, le décombre,
Sont vivants. Un remords songe dans un débris.
Pour l’œil profond qui voit, les antres sont des cris:
Hélas! le cygne est noir, le lys songe à ses crimes;
La perle est nuit; la neige est la fange des cimes;
Le même gouffre, horrible et fauve, et sans abri,
S’ouvre dans la chouette et dans le colibri;
La mouche, âme, s’envole et se brûle à la flamme;
Et la flamme, esprit, brûle avec angoisse une âme;
L’horreur fait frissonner les plumes de l’oiseau;
Tout est douleur.
Les fleurs souffrent sous le ciseau,
Et se ferment ainsi que des paupières closes:
Toutes les femmes sont teintes du sang des roses;
La vierge au bal, qui danse, ange aux fraîches couleurs,
Et qui porte en sa main une touffe de fleurs,
Respire en souriant un bouquet d’agonies.
Pleurez sur les laideurs et les ignominies,
Pleurez sur l’araignée immonde, sur le ver,
Sur la limace au dos mouillé comme l’hiver,
Sur le vil puceron qu’on voit aux feuilles pendre,
Sur le crabe hideux, sur l’affreux scolopendre,
Sur l’effrayant crapaud, pauvre monstre aux doux yeux,
Qui regarde toujours le ciel mystérieux!
Plaignez l’oiseau de crime et la bête de proie.
Ce que Domitien, César, fit avec joie,
Tigre, il le continue avec horreur. Verrès,
Qui fut loup sous la pourpre, est loup dans les forêts;
Il descend, réveillé, l’autre côté du rêve:
Son rire, au fond des bois, en hurlement s’achève;
Pleurez sur ce qui hurle et pleurez sur Verrès.
Sur ces tombeaux vivants, marqués d’obscurs arrêts,
Penchez-vous attendri! versez votre prière!
La pitié fait sortir des rayons de la pierre.
Plaignez le louveteau, plaignez le lionceau.
La matière, affreux bloc, n’est que le lourd monceau
Des effets monstrueux, sortis des sombres causes.
Ayez pitié! voyez des âmes dans les choses.
Hélas! le cabanon subit aussi l’écrou;
Plaignez le prisonnier, mais plaignez le verrou;
Plaignez la chaîne au fond des bagnes insalubres;
La hache et le billot sont deux êtres lugubres;
La hache souffre autant que le corps, le billot
Souffre autant que la tête; ô mystères d’en haut!
Ils se livrent une âpre et hideuse bataille;