Le pré ne l’aura pas, l’astre ne l’aura pas,
L’oiseau ne l’aura pas, qu’il soit aigle ou colombe,
Les nids ne l’auront pas; je le donne à la tombe.
Autrefois, quand septembre en larmes revenait,
Je partais, je quittais tout ce qui me connaît,
Je m’évadais; Paris s’effaçait; rien, personne!
J’allais, je n’étais plus qu’une ombre qui frissonne,
Je fuyais, seul, sans voir, sans penser, sans parler,
Sachant bien que j’irais où je devais aller;
Hélas! je n’aurais pu même dire: Je souffre!
Et, comme subissant l’attraction d’un gouffre,
Que le chemin fût beau, pluvieux, froid, mauvais,
J’ignorais, je marchais devant moi, j’arrivais.
Ô souvenirs! ô forme horrible des collines!
Et, pendant que la mère et la sœur, orphelines,
Pleuraient dans la maison, je cherchais le lieu noir
Avec l’avidité morne du désespoir;
Puis j’allais au champ triste à côté de l’église;
Tête nue, à pas lents, les cheveux dans la bise,
L’œil aux cieux, j’approchais; l’accablement soutient;
Les arbres murmuraient: C’est le père qui vient!
Les ronces écartaient leurs branches desséchées;
Je marchais à travers les humbles croix penchées,
Disant je ne sais quels doux et funèbres mots;
Et je m’agenouillais au milieu des rameaux
Sur la pierre qu’on voit blanche dans la verdure.
Pourquoi donc dormais-tu d’une façon si dure,
Que tu n’entendais pas lorsque je t’appelais?
Et les pêcheurs passaient en traînant leurs filets,
Et disaient: Qu’est-ce donc que cet homme qui songe?
Et le jour, et le soir, et l’ombre qui s’allonge,
Et Vénus, qui pour moi jadis étincela,
Tout avait disparu que j’étais encor là.
J’étais là, suppliant celui qui nous exauce;
J’adorais, je laissais tomber sur cette fosse,
Hélas! où j’avais vu s’évanouir mes cieux,
Tout mon cœur goutte à goutte en pleurs silencieux;
J’effeuillais de la sauge et de la clématite;
Je me la rappelais quand elle était petite,
Quand elle m’apportait des lys et des jasmins,
Ou quand elle prenait ma plume dans ses mains,
Gaie, et riant d’avoir de l’encre à ses doigts roses;
Je respirais les fleurs sur cette cendre écloses,
Je fixais mon regard sur ces froids gazon verts,
Et par moments, ô Dieu, je voyais, à travers
La pierre du tombeau, comme une lueur d’âme!
Oui, jadis, quand cette heure en deuil qui me réclame
Tintait dans le ciel triste et dans mon cœur saignant,
Rien ne me retenait, et j’allais; maintenant,
Hélas!… – Ô fleuve! ô bois! vallons dont je fus l’hôte,
Elle sait, n’est-ce pas? que ce n’est pas ma faute
Si, depuis ces quatre ans, pauvre cœur sans flambeau,
Je ne suis pas allé prier sur son tombeau!
Ainsi, ce noir chemin que je faisais, ce marbre
Que je contemplais, pâle, adossé contre un arbre,
Ce tombeau sur lequel mes pieds pouvaient marcher,
La nuit, que je voyais lentement approcher,
Ces ifs, ce crépuscule avec ce cimetière,
Ces sanglots, qui du moins tombaient sur cette pierre,
Ô mon Dieu, tout cela, c’était donc du bonheur!
Dis, qu’as-tu fait pendant tout ce temps-là? – Seigneur,
Qu’a-t-elle fait? – Vois-tu la vie en vos demeures?
À quelle horloge d’ombre as-tu compté les heures?
As-tu sans bruit parfois poussé l’autre endormi?
Et t’es-tu, m’attendant, réveillée à demi?
T’es-tu, pâle, accoudée à l’obscure fenêtre
De l’infini, cherchant dans l’ombre à reconnaître
Un passant, à travers le noir cercueil mal joint,
Attentive, écoutant si tu n’entendais point
Quelqu’un marcher vers toi dans l’éternité sombre?
Et t’es-tu recouchée ainsi qu’un mât qui sombre,
En disant: Qu’est-ce donc? mon père ne vient pas!
Avez-vous tous les deux parlé de moi tout bas?
Que de fois j’ai choisi, tout mouillés de rosée,
Des lys dans mon jardin, des lys dans ma pensée!
Que de fois j’ai cueilli de l’aubépine en fleur!
Que de fois j’ai, là-bas, cherché la tour d’Harfleur,
Murmurant: C’est demain que je pars! et, stupide,
Je calculais le vent et la voile rapide,
Puis ma main s’ouvrait triste, et je disais: Tout fuit!
Et le bouquet tombait, sinistre, dans la nuit!
Oh! que de fois, sentant qu’elle devait m’attendre,
J’ai pris ce que j’avais dans le cœur de plus tendre
Pour en charger quelqu’un qui passerait par là!
Lazare ouvrit les yeux quand Jésus l’appela;
Quand je lui parle, hélas! pourquoi les ferme-t-elle?
Où serait donc le mal quand de l’ombre mortelle
L’amour violerait deux fois le noir secret,
Et quand, ce qu’un dieu fit, un père le ferait?
Que ce livre, du moins, obscur message, arrive,
Murmure, à ce silence, et, flot, à cette rive!
Qu’il y tombe, sanglot, soupir, larme d’amour!
Qu’il entre en ce sépulcre où sont entrés un jour
Le baiser, la jeunesse, et l’aube, et la rosée,
Et le rire adoré de la fraîche épousée,
Et la joie, et mon cœur, qui n’est pas ressorti!
Qu’il soit le cri d’espoir qui n’a jamais menti,