Et me dit: Les chemins où tu marchais sont clos.
Penche-toi sur les nuits, sur les vents, sur les flots!
À quoi penses-tu donc? que fais-tu, solitaire?
Crois-tu donc sous tes pieds avoir encor la terre?
Où vas-tu de la sorte et machinalement?
Ô songeur! penche-toi sur l’être et l’élément!
Écoute la rumeur des âmes dans les ondes!
Contemple, s’il te faut de la cendre, les mondes;
Cherche au moins la poussière immense, si tu veux
Mêler de la poussière à tes sombres cheveux,
Et regarde, en dehors de ton propre martyre,
Le grand néant, si c’est le néant qui t’attire!
Sois tout à ces soleils où tu remonteras!
Laisse là ton vil coin de terre. Tends les bras,
Ô proscrit de l’azur, vers les astres patries!
Revois-y refleurir tes aurores flétries;
Deviens le grand œil fixe ouvert sur le grand tout.
Penche-toi sur l’énigme où l’être se dissout,
Sur tout ce qui naît, vit, marche, s’éteint, succombe,
Sur tout le genre humain et sur toute la tombe!
Mais mon cœur toujours saigne et du même côté.
C’est en vain que les cieux, les nuits, l’éternité,
Veulent distraire une âme et calmer un atome.
Tout l’éblouissement des lumières du dôme
M’ôte-t-il une larme? Ah! l’étendue a beau
Me parler, me montrer l’universel tombeau,
Les soirs sereins, les bois rêveurs, la lune amie;
J’écoute, et je reviens à la douce endormie.
Des fleurs! oh! si j’avais des fleurs! si je pouvais
Aller semer des lys sur ces deux froids chevets!
Si je pouvais couvrir de fleurs mon ange pâle!
Les fleurs sont l’or, l’azur, l’émeraude, l’opale!
Le cercueil au milieu des fleurs veut se coucher;
Les fleurs aiment la mort, et Dieu les fait toucher
Par leur racine aux os, par leur parfum aux âmes!
Puisque je ne le puis, aux lieux que nous aimâmes,
Puisque Dieu ne veut pas nous laisser revenir,
Puisqu’il nous fait lâcher ce qu’on croyait tenir,
Puisque le froid destin, dans ma geôle profonde,
Sur la première porte en scelle une seconde,
Et, sur le père triste et sur l’enfant qui dort,
Ferme l’exil après avoir fermé la mort,
Puisqu’il est impossible à présent que je jette
Même un brin de bruyère à sa fosse muette,
C’est bien le moins qu’elle ait mon âme, n’est-ce pas?
Ô vent noir dont j’entends sur mon plafond le pas!
Tempête, hiver, qui bats ma vitre de ta grêle!
Mers, nuits! et je l’ai mise en ce livre pour elle!
Prends ce livre; et dis-toi: Ceci vient du vivant
Que nous avons laissé derrière nous, rêvant.
Prends. Et quoique de loin, reconnais ma voix, âme!
Oh! ta cendre est le lit de mon reste de flamme;
Ta tombe est mon espoir, ma charité, ma foi;
Ton linceul toujours flotte entre la vie et moi.
Prends ce livre, et fais-en sortir un divin psaume!
Qu’entre tes vagues mains il devienne fantôme!
Qu’il blanchisse, pareil à l’aube qui pâlit,
À mesure que l’œil de mon ange le lit,
Et qu’il s’évanouisse, et flotte, et disparaisse,
Ainsi qu’un âtre obscur qu’un souffle errant caresse,
Ainsi qu’une lueur qu’on voit passer le soir,
Ainsi qu’un tourbillon de feu de l’encensoir,
Et que, sous ton regard éblouissant et sombre,
Chaque page s’en aille en étoiles dans l’ombre!
Oh! quoi que nous fassions et quoi que nous disions,
Soit que notre âme plane au vent des visions,
Soit qu’elle se cramponne à l’argile natale,
Toujours nous arrivons à ta grotte fatale,
Gethsémani, qu’éclaire une vague lueur!
Ô rocher de l’étrange et funèbre sueur!
Cave où l’esprit combat le destin! ouverture
Sur les profonds effrois de la sombre nature!
Antre d’où le lion sort rêveur, en voyant
Quelqu’un de plus sinistre et de plus effrayant,
La douleur, entrer, pâle, amère, échevelée!
Ô chute! asile! ô seuil de la trouble vallée
D’où nous apercevons nos ans fuyants et courts,
Nos propres pas marqués dans la fange des jours,
L’échelle où le mal pèse et monte, spectre louche,
L’âpre frémissement de la palme farouche,
Les degrés noirs tirant en bas les blancs degrés,
Et les frissons aux fronts des anges effarés!
Toujours nous arrivons à cette solitude,
Et, là, nous nous taisons, sentant la plénitude!
Paix à l’Ombre! Dormez! dormez! dormez! dormez!
Êtres, groupes confus lentement transformés!
Dormez, les champs! dormez, les fleurs! dormez, les tombes!
Toits, murs, seuils des maisons, pierres des catacombes,
Feuilles au fond des bois, plumes au fond des nids,
Dormez! dormez, brins d’herbe, et dormez, infinis!
Calmez-vous, forêts, chêne, érable frêne, yeuse!
Silence sur la grande horreur religieuse,
Sur l’Océan qui lutte et qui ronge son mors,
Et sur l’apaisement insondable des morts!
Paix à l’obscurité muette et redoutée!
Paix au doute effrayant, à l’immense ombre athée,
À toi, nature, cercle et centre, âme et milieu,
Fourmillement de tout, solitude de Dieu!
Ô générations aux brumeuses haleines,