Le saule pleureur chante en achevant sa phrase;
Ils confessent les ifs, devenus babillards;
Ils jasent de la vie avec les corbillards;
Des linceuls trop pompeux ils décrochent l’agrafe;
Ils se moquent du marbre; ils savent l’orthographe;
Et, moi qui suis ici le vieux chardon boudeur,
Devant qui le mensonge étale sa laideur,
Et ne se gêne pas, me traitant comme un hôte,
Je trouve juste, ami, qu’en lisant à voix haute
L’épitaphe où le mort est toujours bon et beau,
Ils fassent éclater de rire le tombeau.
Paris, mai 1835.
XIX. Vieille chanson du jeune temps
Je ne songeais pas à Rose;
Rose au bois vint avec moi;
Nous parlions de quelque chose,
Mais je ne sais plus de quoi.
J’étais froid comme les marbres;
Je marchais à pas distraits;
Je parlais des fleurs, des arbres;
Son œil semblait dire: «Après?»
La rosée offrait ses perles,
Le taillis ses parasols;
J’allais; j’écoutais les merles,
Et Rose les rossignols.
Moi, seize ans, et l’air morose;
Elle, vingt; ses yeux brillaient.
Les rossignols chantaient Rose,
Et les merles me sifflaient.
Rose, droite sur ses hanches,
Leva son beau bras tremblant
Pour prendre une mûre aux branches;
Je ne vis pas son bras blanc.
Une eau courait, fraîche et creuse
Sur les mousses de velours;
Et la nature amoureuse
Dormait dans les grands bois sourds.
Rose défit sa chaussure,
Et mit, d’un air ingénu,
Son petit pied dans l’eau pure;
Je ne vis pas son pied nu.
Je ne savais que lui dire;
Je la suivais dans le bois,
La voyant parfois sourire
Et soupirer quelquefois.
Je ne vis qu’elle était belle
Qu’en sortant des grands bois sourds.
«Soit; n’y pensons plus!» dit-elle.
Depuis, j’y pense toujours.
Paris, juin 1831.
XX. À un poëte aveugle
Merci, poëte! – au seuil de mes lares pieux,
Comme un hôte divin, tu viens et te dévoiles;
Et l’auréole d’or de tes vers radieux
Brille autour de mon nom comme un cercle d’étoiles.
Chante! Milton chantait; chante! Homère a chanté.
Le poëte des sens perce la triste brume;
L’aveugle voit dans l’ombre un monde de clarté.
Quand l’œil du corps s’éteint, l’œil de l’esprit s’allume.
Paris, mai 1842.
XXI .
Elle était déchaussée, elle était décoiffée,
Assise, les pieds nus, parmi les joncs penchants;
Moi qui passais par là, je crus voir une fée,
Et je lui dis: Veux-tu t’en venir dans les champs?
Elle me regarda de ce regard suprême
Qui reste à la beauté quand nous en triomphons,
Et je lui dis: Veux-tu, c’est le mois où l’on aime,
Veux-tu nous en aller sous les arbres profonds?
Elle essuya ses pieds à l’herbe de la rive;
Elle me regarda pour la seconde fois,
Et la belle folâtre alors devint pensive.
Oh! comme les oiseaux chantaient au fond des bois!
Comme l’eau caressait doucement le rivage!
Je vis venir à moi, dans les grands roseaux verts,
La belle fille heureuse, effarée et sauvage,
Ses cheveux dans ses yeux, et riant au travers.
Mont.-l’Am., juin 183…
XXII. La fête chez Thérèse
La chose fut exquise et fort bien ordonnée.
C’était au mois d’avril, et dans une journée
Si douce, qu’on eût dit qu’amour l’eût faite exprès.
Thérèse la duchesse à qui je donnerais,
Si j’étais roi, Paris, si j’étais Dieu, le monde,
Quand elle ne serait que Thérèse la blonde;
Cette belle Thérèse, aux yeux de diamant,
Nous avait conviés dans son jardin charmant.