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Il faut que le poëte, épris d’ombre et d’azur,

Esprit doux et splendide, au rayonnement pur,

Qui marche devant tous, éclairant ceux qui doutent,

Chanteur mystérieux qu’en tressaillant écoutent

Les femmes, les songeurs, les sages, les amants,

Devienne formidable à de certains moments.

Parfois, lorsqu’on se met à rêver sur son livre,

Où tout berce, éblouit, calme, caresse, enivre,

Où l’âme, à chaque pas, trouve à faire son miel,

Où les coins les plus noirs ont des lueurs du ciel;

Au milieu de cette humble et haute poésie,

Dans cette paix sacrée où croît la fleur choisie,

Où l’on entend couler les sources et les pleurs,

Où les strophes, oiseaux peints de mille couleurs,

Volent chantant l’amour, l’espérance et la joie;

Il faut que, par instants, on frissonne, et qu’on voie

Tout à coup, sombre, grave et terrible au passant,

Un vers fauve sortir de l’ombre en rugissant!

Il faut que le poëte, aux semences fécondes,

Soit comme ces forêts vertes, fraîches, profondes,

Pleines de chants, amour du vent et du rayon,

Charmantes, où, soudain, l’on rencontre un lion.

Paris, mai 1842.

XXIX. Halte en marchant

Une brume couvrait l’horizon; maintenant,

Voici le clair midi qui surgit rayonnant;

Le brouillard se dissout en perles sur les branches,

Et brille, diamant, au collier des pervenches.

Le vent souffle à travers les arbres, sur les toits

Du hameau noir cachant ses chaumes dans les bois;

Et l’on voit tressaillir, épars dans les ramées,

Le vague arrachement des tremblantes fumées;

Un ruisseau court dans l’herbe, entre deux hauts talus,

Sous l’agitation des saules chevelus;

Un orme, un hêtre, anciens du vallon, arbres frères

Qui se donnent la main des deux rives contraires,

Semblent, sous le ciel bleu, dire: À la bonne foi!

L’oiseau chante son chant plein d’amour et d’effroi,

Et du frémissement des feuilles et des ailes;

L’étang luit sous le vol des vertes demoiselles.

Un bouge est là, montrant, dans la sauge et le thym,

Un vieux saint souriant parmi des brocs d’étain,

Avec tant de rayons et de fleurs sur la berge,

Que c’est peut-être un temple ou peut-être une auberge.

Que notre bouche ait soif, ou que ce soit le cœur,

Gloire au Dieu bon qui tend la coupe au voyageur!

Nous entrons. «Qu’avez-vous? – Des œufs frais, de l’eau fraîche.»

On croit voir l’humble toit effondré d’une crèche.

À la source du pré, qu’abrite un vert rideau,

Une enfant blonde alla remplir sa jarre d’eau,

Joyeuse et soulevant son jupon de futaine.

Pendant qu’elle plongeait sa cruche à la fontaine,

L’eau semblait admirer, gazouillant doucement,

Cette belle petite aux yeux de firmament.

Et moi, près du grand lit drapé de vieilles serges,

Pensif, je regardais un Christ battu de verges.

Eh! qu’importe l’outrage aux martyrs éclatants,

Affront de tous les lieux, crachat de tous les temps,

Vaine clameur d’aveugle, éternelle huée

Où la foule toujours s’est follement ruée!

Plus tard, le vagabond flagellé devient Dieu.

Ce front noir et saignant semble fait de ciel bleu,

Et, dans l’ombre, éclairant palais, temple, masure,

Le crucifix blanchit et Jésus-Christ s’azure.

La foule un jour suivra vos pas; allez, saignez,

Souffrez, penseurs, des pleurs de vos bourreaux baignés!

Le deuil sacre les saints, les sages, les génies;

La tremblante auréole éclôt aux gémonies,

Et, sur ce vil marais, flotte, lueur du ciel,

Du cloaque de sang feu follet éternel.

Toujours au même but le même sort ramène:

Il est, au plus profond de notre histoire humaine,

Une sorte de gouffre, où viennent, tour à tour,

Tomber tous ceux qui sont de la vie et du jour,

Les bons, les purs, les grands, les divins, les célèbres,

Flambeaux échevelés au souffle des ténèbres;

Là se sont engloutis les Dantes disparus,

Socrate, Scipion, Milton, Thomas Morus,

Eschyle, ayant aux mains des palmes frissonnantes.

Nuit d’où l’on voit sortir leurs mémoires planantes!

Car ils ne sont complets qu’après qu’ils sont déchus.

De l’exil d’Aristide au bûcher de Jean Huss,

Le genre humain pensif – c’est ainsi que nous sommes -

Rêve ébloui devant l’abîme des grands hommes.