Le lion néméen, l’hydre affreuse de Lerne,
Cacus, le noir brigand de la noire caverne,
Le triple Géryon, et les typhons des eaux,
Qui, le soir, à grand bruit, soufflent dans les roseaux;
De la massue au front tous ont l’empreinte horrible
Et tous, sans approcher, rôdant d’un air terrible,
Sur le rouet, où pend un fil souple et lié,
Fixent de loin, dans l’ombre, un œil humilié.
Juin, 18…
IV. Chanson
Si vous n’avez rien à me dire,
Pourquoi venir auprès de moi?
Pourquoi me faire ce sourire
Qui tournerait la tête au roi?
Si vous n’avez rien à me dire,
Pourquoi venir auprès de moi?
Si vous n’avez rien à m’apprendre,
Pourquoi me pressez-vous la main?
Sur le rêve angélique et tendre,
Auquel vous songez en chemin,
Si vous n’avez rien à m’apprendre,
Pourquoi me pressez-vous la main?
Si vous voulez que je m’en aille,
Pourquoi passez-vous par ici?
Lorsque je vous vois, je tressaille:
C’est ma joie et c’est mon souci.
Si vous voulez que je m’en aille,
Pourquoi passez-vous par ici?
Mai, 18…
V. Hier au soir
Hier, le vent du soir, dont le souffle caresse,
Nous apportait l’odeur des fleurs qui s’ouvrent tard;
La nuit tombait; l’oiseau dormait dans l’ombre épaisse.
Le printemps embaumait, moins que votre jeunesse;
Les astres rayonnaient, moins que votre regard.
Moi, je parlais tout bas. C’est l’heure solennelle
Où l’âme aime à chanter son hymne le plus doux.
Voyant la nuit si pure, et vous voyant si belle,
J’ai dit aux astres d’or: Versez le ciel sur elle!
Et j’ai dit à vos yeux: Versez l’amour sur nous!
Mai 18…
VI. Lettre
Tu vois cela d’ici. Des ocres et des craies;
Plaines où les sillons croisent leurs mille raies,
Chaumes à fleur de terre et que masque un buisson;
Quelques meules de foin debout sur le gazon;
De vieux toits enfumant le paysage bistre;
Un fleuve qui n’est pas le Gange ou le Caystre,
Pauvre cours d’eau normand troublé de sels marins;
À droite, vers le nord, de bizarres terrains
Pleins d’angles qu’on dirait façonnés à la pelle;
Voilà les premiers plans; une ancienne chapelle
Y mêle son aiguille, et range à ses côtés
Quelques ormes tortus, aux profils irrités,
Qui semblent, fatigués du Zéphyr qui s’en joue,
Faire une remontrance au vent qui les secoue.
Une grosse charrette, au coin de ma maison,
Se rouille; et, devant moi, j’ai le vaste horizon,
Dont la mer bleue emplit toutes les échancrures;
Des poules et des coqs, étalant leurs dorures,
Causent sous ma fenêtre, et les greniers des toits
Me jettent, par instants, des chansons en patois.
Dans mon allée habite un cordier patriarche,
Vieux qui fait bruyamment tourner sa roue, et marche
À reculons, son chanvre autour des reins tordu.
J’aime ces flots où court le grand vent éperdu;
Les champs à promener tout le jour me convient;
Les petits villageois, leur livre en main, m’envient,
Chez le maître d’école où je me suis logé,
Comme un grand écolier abusant d’un congé.
Le ciel rit, l’air est pur; tout le jour, chez mon hôte,
C’est un doux bruit d’enfants épelant à voix haute;
L’eau coule, un verdier passe; et moi, je dis: Merci!
Merci, Dieu tout-puissant! – Ainsi je vis; ainsi,
Paisible, heure par heure, à petit bruit, j’épanche
Mes jours, tout en songeant à vous, ma beauté blanche!
J’écoute les enfants jaser, et, par moment,
Je vois en pleine mer, passer superbement,
Au-dessus des pignons du tranquille village,
Quelque navire ailé qui fait un long voyage,
Et fuit, sur l’Océan, par tous les vents traqué,
Qui, naguère, dormait au port, le long du quai,
Et que n’ont retenu, loin des vagues jalouses,
Ni les pleurs des parents, ni l’effroi des épouses,