Выбрать главу

Ni le sombre reflet des écueils dans les eaux,

Ni l’importunité des sinistres oiseaux.

Près le Tréport, juin 18…

VII .

Nous allions au verger cueillir des bigarreaux.

Avec ses beaux bras blancs en marbre de Paros,

Elle montait dans l’arbre et courbait une branche;

Les feuilles frissonnaient au vent; sa gorge blanche,

Ô Virgile, ondoyait dans l’ombre et le soleil;

Ses petits doigts allaient chercher le fruit vermeil,

Semblable au feu qu’on voit dans le buisson qui flambe.

Je montais derrière elle; elle montrait sa jambe,

Et disait: «Taisez-vous!» à mes regards ardents;

Et chantait. Par moments, entre ses belles dents,

Pareille, aux chansons près, à Diane farouche,

Penchée, elle m’offrait la cerise à sa bouche;

Et ma bouche riait, et venait s’y poser,

Et laissait la cerise et prenait le baiser.

Triel, juillet 18…

VIII .

Tu peux, comme il te plaît, me faire jeune ou vieux.

Comme le soleil fait serein ou pluvieux

L’azur dont il est l’âme et que sa clarté dore,

Tu peux m’emplir de brume ou m’inonder d’aurore,

Du haut de ta splendeur, si pure qu’en ses plis,

Tu sembles une femme enfermée en un lis,

Et qu’à d’autres moments, l’œil qu’éblouit ton âme

Croit voir, en te voyant, un lis dans une femme.

Si tu m’as souri, Dieu! tout mon être bondit!

Si, Madame, au milieu de tous, vous m’avez dit,

À haute voix: «Bonjour, Monsieur», et bas: «Je t’aime!»

Si tu m’as caressé de ton regard suprême,

Je vis! je suis léger, je suis fier, je suis grand;

Ta prunelle m’éclaire en me transfigurant;

J’ai le reflet charmant des yeux dont tu m’accueilles;

Comme on sent dans un bois des ailes sous les feuilles,

On sent de la gaîté sous chacun de mes mots;

Je cours, je vais, je ris; plus d’ennuis, plus de maux;

Et je chante, et voilà sur mon front la jeunesse!

Mais que ton cœur injuste, un jour, me méconnaisse;

Qu’il me faille porter en moi, jusqu’à demain,

L’énigme de ta main retirée à ma main;

– Qu’ai-je fait? qu’avait-elle? Elle avait quelque chose.

Pourquoi, dans la rumeur du salon où l’on cause,

Personne n’entendant, me disait-elle vous? -

Si je ne sais quel froid dans ton regard si doux

A passé comme passe au ciel une nuée,

Je sens mon âme en moi toute diminuée;

Je m’en vais, courbé, las, sombre comme un aïeul;

Il semble que sur moi, secouant son linceul,

Se soit soudain penché le noir vieillard Décembre;

Comme un loup dans son trou, je rentre dans ma chambre:

Le chagrin – âge et deuil, hélas! ont le même air, -

Assombrit chaque trait de mon visage amer,

Et m’y creuse une ride avec sa main pesante.

Joyeux, j’ai vingt-cinq ans; triste, j’en ai soixante.

Paris, juin 18…

IX. En écoutant les oiseaux

Oh! quand donc aurez-vous fini, petits oiseaux,

De jaser au milieu des branches et des eaux,

Que nous nous expliquions et que je vous querelle?

Rouge-gorge, verdier, fauvette, tourterelle,

Oiseaux, je vous entends, je vous connais. Sachez

Que je ne suis pas dupe, ô doux ténors cachés,

De votre mélodie et de votre langage.

Celle que j’aime est loin et pense à moi: je gage,

Ô rossignol dont l’hymne, exquis et gracieux,

Donne un frémissement à l’astre dans les cieux,

Que ce que tu dis là, c’est le chant de son âme.

Vous guettez les soupirs de l’homme et de la femme,

Oiseaux; quand nous aimons et quand nous triomphons,

Quand notre être, tout bas, s’exhale en chants profonds,

Vous, attentifs, parmi les bois inaccessibles,

Vous saisissez au vol ces strophes invisibles,

Et vous les répétez tout haut, comme de vous;

Et vous mêlez, pour rendre encor l’hymne plus doux,

À la chanson des cœurs, le battement des ailes;

Si bien qu’on vous admire, écouteurs infidèles,

Et que le noir sapin murmure aux vieux tilleuls:

«Sont-ils charmants d’avoir trouvé cela tout seuls!»

Et que l’eau, palpitant sous le chant qui l’effleure,