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Il va semant la gloire, il recueille l’affront.

Le progrès est son but, le bien est sa boussole;

Pilote, sur l’avant du navire il s’isole;

Tout marin, pour dompter les vents et les courants,

Met tour à tour le cap sur des points différents,

Et, pour mieux arriver, dévie en apparence;

Il fait de même; aussi blâme et cris; l’ignorance

Sait tout, dénonce tout; il allait vers le nord,

Il avait tort; il va vers le sud, il a tort;

Si le temps devient noir, que de rage et de joie!

Cependant, sous le faix sa tête à la fin ploie,

L’âge vient, il couvait un mal profond et lent,

Il meurt. L’envie alors, ce démon vigilant,

Accourt, le reconnaît, lui ferme la paupière,

Prend soin de le clouer de ses mains dans la bière,

Se penche, écoute, épie en cette sombre nuit

S’il est vraiment bien mort, s’il ne fait pas de bruit,

S’il ne peut plus savoir de quel nom on le nomme,

Et, s’essuyant les yeux, dit: «C’était un grand homme!»

Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit?

Ces doux êtres pensifs, que la fièvre maigrit?

Ces filles de huit ans qu’on voit cheminer seules?

Ils s’en vont travailler quinze heures sous des meules;

Ils vont, de l’aube au soir, faire éternellement

Dans la même prison le même mouvement.

Accroupis sous les dents d’une machine sombre,

Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l’ombre,

Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,

Ils travaillent. Tout est d’airain, tout est de fer.

Jamais on ne s’arrête et jamais on ne joue.

Aussi quelle pâleur! la cendre est sur leur joue.

Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.

Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas!

Ils semblent dire à Dieu: «Petits comme nous sommes,

Notre père, voyez ce que nous font les hommes!»

Ô servitude infâme imposée à l’enfant!

Rachitisme! travail dont le souffle étouffant

Défait ce qu’a fait Dieu; qui tue, œuvre insensée,

La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée,

Et qui ferait – c’est là son fruit le plus certain -

D’Apollon un bossu, de Voltaire un crétin!

Travail mauvais qui prend l’âge tendre en sa serre,

Qui produit la richesse en créant la misère,

Qui se sert d’un enfant ainsi que d’un outil!

Progrès dont on demande: «Où va-t-il? que veut-il?»

Qui brise la jeunesse en fleur! qui donne, en somme,

Une âme à la machine et la retire à l’homme!

Que ce travail, haï des mères, soit maudit!

Maudit comme le vice où l’on s’abâtardit,

Maudit comme l’opprobre et comme le blasphème!

Ô Dieu! qu’il soit maudit au nom du travail même,

Au nom du vrai travail, saint, fécond, généreux,

Qui fait le peuple libre et qui rend l’homme heureux!

Le pesant chariot porte une énorme pierre;

Le limonier, suant du mors à la croupière,

Tire, et le roulier fouette, et le pavé glissant

Monte, et le cheval triste a le poitrail en sang.

Il tire, traîne, geint, tire encore et s’arrête;

Le fouet noir tourbillonne au-dessus de sa tête;

C’est lundi; l’homme hier buvait aux Porcherons

Un vin plein de fureur, de cris et de jurons;

Oh! quelle est donc la loi formidable qui livre

L’être à l’être, et la bête effarée à l’homme ivre!

L’animal éperdu ne peut plus faire un pas;

Il sent l’ombre sur lui peser; il ne sait pas,

Sous le bloc qui l’écrase et le fouet qui l’assomme,

Ce que lui veut la pierre et ce que lui veut l’homme.

Et le roulier n’est plus qu’un orage de coups

Tombant sur ce forçat qui traîne les licous,

Qui souffre et ne connaît ni repos ni dimanche.

Si la corde se casse, il frappe avec le manche,

Et, si le fouet se casse, il frappe avec le pié;

Et le cheval, tremblant, hagard, estropié,

Baisse son cou lugubre et sa tête égarée;

On entend, sous les coups de la botte ferrée,

Sonner le ventre nu du pauvre être muet!

Il râle; tout à l’heure encore il remuait;

Mais il ne bouge plus, et sa force est finie;

Et les coups furieux pleuvent; son agonie

Tente un dernier effort; son pied fait un écart,

Il tombe, et le voilà brisé sous le brancard;

Et, dans l’ombre, pendant que son bourreau redouble,

Il regarde Quelqu’un de sa prunelle trouble;

Et l’on voit lentement s’éteindre, humble et terni,

Son œil plein des stupeurs sombres de l’infini,

Où luit vaguement l’âme effrayante des choses.