Выбрать главу

Avril 1843.

XV. Épitaphe

Il vivait, il jouait, riante créature.

Que te sert d’avoir pris cet enfant, ô nature?

N’as-tu pas les oiseaux peints de mille couleurs,

Les astres, les grands bois, le ciel bleu, l’onde amère?

Que te sert d’avoir pris cet enfant à sa mère,

Et de l’avoir caché sous des touffes de fleurs?

Pour cet enfant de plus tu n’es pas plus peuplée,

Tu n’es pas plus joyeuse, ô nature étoilée!

Et le cœur de la mère en proie à tant de soins,

Ce cœur où toute joie engendre une torture,

Cet abîme aussi grand que toi-même, ô nature,

Est vide et désolé pour cet enfant de moins!

Mai 1843.

XVI. Le maître d’études

Ne le tourmentez pas, il souffre. Il est celui

Sur qui, jusqu’à ce jour, pas un rayon n’a lui;

Oh! ne confondez pas l’esclave avec le maître!

Et, quand vous le voyez dans vos rangs apparaître,

Humble et calme, et s’asseoir la tête dans ses mains,

Ayant peut-être en lui l’esprit des vieux Romains

Dont il vous dit les noms, dont il vous lit les livres,

Écoliers, frais enfants de joie et d’aurore ivres,

Ne le tourmentez pas! soyez doux, soyez bons.

Tous nous portons la vie et tous nous nous courbons;

Mais, lui, c’est le flambeau qui la nuit se consomme;

L’ombre le tient captif, et ce pâle jeune homme,

Enfermé plus que vous, plus que vous enchaîné,

Votre frère, écoliers, et votre frère aîné,

Destin tronqué, matin noyé dans les ténèbres,

Ayant l’ennui sans fin devant ses yeux funèbres,

Indigent, chancelant, et cependant vainqueur,

Sans oiseaux dans son ciel, sans amours dans son cœur,

À l’heure du plein jour, attend que l’aube naisse.

Enfance, ayez pitié de la sombre jeunesse!

Apprenez à connaître, enfants qu’attend l’effort,

Les inégalités des âmes et du sort;

Respectez-le deux fois, dans le deuil qui le mine,

Puisque de deux sommets, enfants, il vous domine,

Puisqu’il est le plus pauvre et qu’il est le plus grand.

Songez que, triste, en butte au souci dévorant,

À travers ses douleurs, ce fils de la chaumière

Vous verse la raison, le savoir, la lumière,

Et qu’il vous donne l’or, et qu’il n’a pas de pain.

Oh! dans la longue salle aux tables de sapin,

Enfants, faites silence à la lueur des lampes!

Voyez, la morne angoisse a fait blêmir ses tempes:

Songez qu’il saigne, hélas! sous ses pauvres habits.

L’herbe que mord la dent cruelle des brebis,

C’est lui; vous riez, vous, et vous lui rongez l’âme.

Songez qu’il agonise, amer, sans air, sans flamme;

Que sa colère dit: Plaignez-moi; que ses pleurs

Ne peuvent pas couler devant vos yeux railleurs!

Aux heures du travail votre ennui le dévore,

Aux heures du plaisir vous le rongez encore;

Sa pensée, arrachée et froissée, est à vous,

Et, pareille au papier qu’on distribue à tous,

Page blanche d’abord, devient lentement noire.

Vous feuilletez son cœur, vous videz sa mémoire;

Vos mains, jetant chacune un bruit, un trouble, un mot,

Et raturant l’idée en lui dès qu’elle éclôt,

Toutes en même temps dans son esprit écrivent.

Si des rêves, parfois, jusqu’à son front arrivent,

Vous répandez votre encre à flots sur cet azur;

Vos plumes, tas d’oiseaux hideux au vol obscur,

De leurs mille becs noirs lui fouillent la cervelle.

Le nuage d’ennui passe et se renouvelle.

Dormir, il ne le peut; penser, il ne le peut.

Chaque enfant est un fil dont son cœur sent le nœud.

Oui, s’il veut songer, fuir, oublier, franchir l’ombre,

Laisser voler son âme aux chimères sans nombre,

Ces écoliers joueurs, vifs, légers, doux, aimants,

Pèsent sur lui, de l’aube au soir, à tous moments,

Et le font retomber des voûtes immortelles;

Et tous ces papillons sont le plomb de ses ailes.

Saint et grave martyr changeant de chevalet;

Crucifié par vous, bourreaux charmants, il est

Votre souffre-douleurs et votre souffre-joies;

Ses nuits sont vos hochets et ses jours sont vos proies,

Il porte sur son front votre essaim orageux;

Il a toujours vos bruits, vos rires et vos jeux,

Tourbillonnant sur lui comme une âpre tempête.