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La muse reparaît, nous reprend, nous ramène,

Se remet à pleurer sur la misère humaine,

Frappe et console, va du zénith au nadir,

Et fait sur tous les fronts reluire et resplendir

Son vol, tourbillon, lyre, ouragan d’étincelles,

Et ses millions d’yeux sur ses millions d’ailes.

Le mouvement complète ainsi son action.

Grâce à toi, progrès saint, la Révolution

Vibre aujourd’hui dans l’air, dans la voix, dans le livre;

Dans le mot palpitant le lecteur la sent vivre;

Elle crie, elle chante, elle enseigne, elle rit.

Sa langue est déliée ainsi que son esprit.

Elle est dans le roman, parlant tout bas aux femmes.

Elle ouvre maintenant deux yeux où sont deux flammes,

L’un sur le citoyen, l’autre sur le penseur.

Elle prend par la main la Liberté, sa sœur,

Et la fait dans tout homme entrer par tous les pores.

Les préjugés, formés, comme les madrépores,

Du sombre entassement des abus sous les temps,

Se dissolvent au choc de tous les mots flottants,

Pleins de sa volonté, de son but, de son âme.

Elle est la prose, elle est le vers, elle est le drame;

Elle est l’expression, elle est le sentiment,

Lanterne dans la rue, étoile au firmament.

Elle entre aux profondeurs du langage insondable;

Elle souffle dans l’art, porte-voix formidable;

Et, c’est Dieu qui le veut, après avoir rempli

De ses fiertés le peuple, effacé le vieux pli

Des fronts, et relevé la foule dégradée,

Et s’être faite droit, elle se fait idée!

Paris, janvier 1834.

VIII. Suite

Car le mot, qu’on le sache, est un être vivant.

La main du songeur vibre et tremble en l’écrivant;

La plume, qui d’une aile allongeait l’envergure,

Frémit sur le papier quand sort cette figure,

Le mot, le terme, type on ne sait d’où venu,

Face de l’invisible, aspect de l’inconnu;

Créé, par qui? forgé, par qui? jailli de l’ombre;

Montant et descendant dans notre tête sombre,

Trouvant toujours le sens comme l’eau le niveau;

Formule des lueurs flottantes du cerveau.

Oui, vous tous, comprenez que les mots sont des choses.

Ils roulent pêle-mêle au gouffre obscur des proses,

Ou font gronder le vers, orageuse forêt.

Du sphinx Esprit Humain le mot sait le secret.

Le mot veut, ne veut pas, accourt, fée ou bacchante,

S’offre, se donne ou fuit; devant Néron qui chante

Ou Charles-Neuf qui rime, il recule hagard;

Tel mot est un sourire, et tel autre un regard;

De quelque mot profond tout homme est le disciple;

Toute force ici-bas a le mot pour multiple;

Moulé sur le cerveau, vif ou lent, grave ou bref,

Le creux du crâne humain lui donne son relief;

La vieille empreinte y reste auprès de la nouvelle;

Ce qu’un mot ne sait pas, un autre le révèle;

Les mots heurtent le front comme l’eau le récif;

Ils fourmillent, ouvrant dans notre esprit pensif

Des griffes ou des mains, et quelques-uns des ailes;

Comme en un âtre noir errent des étincelles,

Rêveurs, tristes, joyeux, amers, sinistres, doux,

Sombre peuple, les mots vont et viennent en nous;

Les mots sont les passants mystérieux de l’âme.

Chacun d’eux porte une ombre ou secoue une flamme;

Chacun d’eux du cerveau garde une région;

Pourquoi? c’est que le mot s’appelle Légion,

C’est que chacun, selon l’éclair qui le traverse,

Dans le labeur commun fait une œuvre diverse;

C’est que de ce troupeau de signes et de sons

Qu’écrivant ou parlant, devant nous nous chassons,

Naissent les cris, les chants, les soupirs, les harangues;

C’est que, présent partout, nain caché sous les langues,

Le mot tient sous ses pieds le globe et l’asservit;

Et, de même que l’homme est l’animal où vit

L’âme, clarté d’en haut par le corps possédée,

C’est que Dieu fait du mot la bête de l’idée.

Le mot fait vibrer tout au fond de nos esprits.

Il remue, en disant: Béatrix, Lycoris,

Dante au Campo-Santo, Virgile au Pausilippe.

De l’océan pensée il est noir polype.

Quand un livre jaillit d’Eschyle ou de Manou,

Quand saint Jean à Patmos écrit sur son genou,

On voit, parmi leurs vers pleins d’hydres et de stryges

Des mots monstres ramper dans ces œuvres prodiges.