Te prendraient pour l’Aurore aux cheveux pleins d’étoiles.
Les êtres de l’azur froncent leur pur sourcil,
Quand l’homme, spectre obscur du mal et de l’exil,
Ose approcher ton âme, aux rayons fiancée.
Sois belle. Tu te sens par l’ombre caressée,
Un ange vient baiser ton pied quand il est nu,
Et c’est ce qui te fait ton sourire ingénu.
Février 1843.
X. Amour
Amour! «Loi», dit Jésus. «Mystère», dit Platon.
Sait-on quel fil nous lie au firmament? Sait-on
Ce que les mains de Dieu dans l’immensité sèment?
Est-on maître d’aimer? Pourquoi deux êtres s’aiment,
Demande à l’eau qui court, demande à l’air qui fuit,
Au moucheron qui vole à la flamme la nuit,
Au rayon d’or qui vient baiser la grappe mûre!
Demande à ce qui chante, appelle, attend, murmure!
Demande aux nids profonds qu’avril met en émoi!
Le cœur éperdu crie: Est-ce que je sais, moi?
Cette femme a passé: je suis fou. C’est l’histoire.
Ses cheveux étaient blonds, sa prunelle était noire;
En plein midi, joyeuse, une fleur au corset,
Illumination du jour, elle passait;
Elle allait, la charmante, et riait, la superbe;
Ses petits pieds semblaient chuchoter avec l’herbe;
Un oiseau bleu volait dans l’air, et me parla;
Et comment voulez-vous que j’échappe à cela?
Est-ce que je sais, moi? C’était au temps des roses;
Les arbres se disaient tout bas de douces choses;
Les ruisseaux l’ont voulu, les fleurs l’ont comploté.
J’aime! – Ô Bodin, Vouglans, Delancre! prévôté,
Bailliage, châtelet, grand’chambre, saint-office,
Demandez le secret de ce doux maléfice
Aux vents, au frais printemps chassant l’hiver hagard,
Au philtre qu’un regard boit dans l’autre regard,
Au sourire qui rêve, à la voix qui caresse,
À ce magicien, à cette charmeresse!
Demandez aux sentiers traîtres qui, dans les bois,
Vous font recommencer les mêmes pas cent fois,
À la branche de mai, cette Armide qui guette,
Et fait tourner sur nous en cercle sa baguette!
Demandez à la vie, à la nature, aux cieux,
Au vague enchantement des champs mystérieux!
Exorcisez le pré tentateur, l’antre, l’orme!
Faites, Cujas au poing, un bon procès en forme
Aux sources dont le cœur écoute les sanglots,
Au soupir éternel des forêts et des flots.
Dressez procès-verbal contre les pâquerettes
Qui laissent les bourdons froisser leurs collerettes;
Instrumentez; tonnez. Prouvez que deux amants
Livraient leur âme aux fleurs, aux bois, aux lacs dormants,
Et qu’ils ont fait un pacte avec la lune sombre,
Avec l’illusion, l’espérance aux yeux d’ombre,
Et l’extase chantant des hymnes inconnus,
Et qu’ils allaient tous deux, dès que brillait Vénus,
Sur l’herbe que la brise agite par bouffées,
Danser au bleu sabbat de ces nocturnes fées,
Éperdus, possédés d’un adorable ennui,
Elle n’étant plus elle et lui n’étant plus lui!
Quoi! nous sommes encore aux temps où la Tournelle,
Déclarant la magie impie et criminelle,
Lui dressait un bûcher par arrêt de la cour,
Et le dernier sorcier qu’on brûle, c’est l’Amour!
Juillet 1843.
XI.?
Une terre au flanc maigre, âpre, avare, inclément,
Où les vivants pensifs travaillent tristement,
Et qui donne à regret à cette race humaine
Un peu de pain pour tant de labeur et de peine;
Des hommes durs, éclos sur ces sillons ingrats;
Des cités d’où s’en vont, en se tordant les bras,
La charité, la paix, la foi, sœurs vénérables;
L’orgueil chez les puissants et chez les misérables;
La haine au cœur de tous; la mort, spectre sans yeux,
Frappant sur les meilleurs des coups mystérieux;
Sur tous les hauts sommets des brumes répandues;
Deux vierges, la justice et la pudeur, vendues;
Toutes les passions engendrant tous les maux;
Des forêts abritant des loups sous leurs rameaux;
Là le désert torride, ici les froids polaires;
Des océans émus de subites colères,
Pleins de mâts frissonnants qui sombrent dans la nuit;
Des continents couverts de fumée et de bruit,
Où, deux torches aux mains, rugit la guerre infâme,
Où toujours quelque part fume une ville en flamme,
Où se heurtent sanglants les peuples furieux; -
Et que tout cela fasse un astre dans les cieux!
Octobre 1840.
XII. Explication
La terre est au soleil ce que l’homme est à l’ange.
L’un est fait de splendeur; l’autre est pétri de fange.
Toute étoile est soleil; tout astre est paradis.
Autour des globes purs sont les mondes maudits;
Et dans l’ombre, où l’esprit voit mieux que la lunette,
Le soleil paradis traîne l’enfer planète.
L’ange habitant de l’astre est faillible; et, séduit,
Il peut devenir l’homme habitant de la nuit.
Voilà ce que le vent m’a dit sur la montagne.
Tout globe obscur gémit; toute terre est un bagne
Où la vie en pleurant, jusqu’au jour du réveil,
Vient écrouer l’esprit qui tombe du soleil.
Plus le globe est lointain, plus le bagne est terrible.
La mort est là, vannant les âmes dans un crible,
Qui juge, et, de la vie invisible témoin,
Rapporte l’ange à l’astre ou le jette plus loin.
Ô globes sans rayons et presque sans aurores!
Énorme Jupiter fouetté de météores,
Mars qui semble de loin la bouche d’un volcan,
Ô nocturne Uranus, ô Saturne au carcan!
Châtiments inconnus! rédemptions! mystères!
Deuils! ô lunes encor plus mortes que les terres!
Ils souffrent; ils sont noirs; et qui sait ce qu’ils font?
L’ombre entend par moments leur cri rauque et profond,
Comme on entend, le soir, la plainte des cigales.
Mondes spectres, tirant des chaînes inégales,
Ils vont, blêmes, pareils au rêve qui s’enfuit.
Rougis confusément d’un reflet dans la nuit,
Implorant un messie, espérant des apôtres,
Seuls, séparés, les uns en arrière des autres,
Tristes, échevelés par des souffles hagards,
Jetant à la clarté de farouches regards,
Ceux-ci, vagues, roulant dans les profondeurs mornes,
Ceux-là, presque engloutis dans l’infini sans bornes,
Ténébreux, frissonnants, froids, glacés, pluvieux,
Autour du paradis ils tournent envieux;
Et, du soleil, parmi les brumes et les ombres,
On voit passer au loin toutes ces faces sombres.
Novembre 1840.
XIII. La chouette
Une chouette était sur la porte clouée;
Larve de l’ombre au toit des hommes échouée.
La nature, qui mêle une âme aux rameaux verts,
Qui remplit tout, et vit, à des degrés divers,
Dans la bête sauvage et la bête de somme,
Toujours en dialogue avec l’esprit de l’homme,
Lui donne à déchiffrer les animaux, qui sont
Ses signes, alphabet formidable et profond;
Et, sombre, ayant pour mots l’oiseau, le ver, l’insecte,
Parle deux langues: l’une, admirable et correcte,
L’autre, obscur bégaiement. L’éléphant aux pieds lourds,
Le lion, ce grand front de l’antre, l’aigle, l’ours,
Le taureau, le cheval, le tigre au bond superbe,
Sont le langage altier et splendide, le verbe;
Et la chauve-souris, le crapaud, le putois,
Le crabe, le hibou, le porc, sont le patois.
Or, j’étais là, pensif, bienveillant, presque tendre,