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Épelant ce squelette, et tâchant de comprendre

Ce qu’entre les trois clous où son spectre pendait,

Aux vivants, aux souffrants, au bœuf triste, au baudet,

Disait, hélas! la pauvre et sinistre chouette,

Du côté noir de l’être informe silhouette.

*

Elle disait:

– Sur son front sombre

Comme la brume se répand!

Il remplit tout le fond de l’ombre.

Comme sa tête morte pend!

De ses yeux coulent ses pensées.

Ses pieds troués, ses mains percées

Bleuissent à l’air glacial.

Oh! comme il saigne dans le gouffre!

Lui qui faisait le bien, il souffre

Comme moi qui faisais le mal.

Une lumière à son front tremble.

Et la nuit dit au vent: Soufflons

Sur cette flamme! et, tous ensemble,

Les ténèbres, les aquilons,

La pluie et l’horreur, froides bouches,

Soufflent, hagards, hideux, farouches,

Et dans la tempête et le bruit

La clarté reparaît grandie… -

Tu peux éteindre un incendie,

Mais pas une auréole, ô nuit!

Cette âme arriva sur la terre,

Qu’assombrit le soir incertain;

Elle entra dans l’obscur mystère

Que l’homme appelle son destin;

Au mensonge, aux forfaits sans nombre,

À tout l’horrible essaim de l’ombre,

Elle livrait de saints combats;

Elle volait, et ses prunelles

Semblaient deux lueurs éternelles

Qui passaient dans la nuit d’en bas.

Elle allait parmi les ténèbres,

Poursuivant, chassant, dévorant

Les vices, ces taupes funèbres,

Le crime, ce phalène errant;

Arrachant de leurs trous la haine,

L’orgueil, la fraude qui se traîne,

L’âpre envie, aspic du chemin,

Les vers de terre et les vipères,

Que la nuit cache dans les pierres

Et le mal dans le cœur humain!

Elle cherchait ces infidèles,

L’Achab, le Nemrod, le Mathan,

Que, dans son temple et sous ses ailes,

Réchauffe le faux dieu Satan,

Les vendeurs cachés sous les porches,

Le brûleur allumant ses torches

Au même feu que l’encensoir;

Et, quand elle l’avait trouvée,

Toute la sinistre couvée

Se hérissait sous l’autel noir.

Elle allait, délivrant les hommes

De leurs ennemis ténébreux;

Les hommes, noirs comme nous sommes,

Prirent l’esprit luttant pour eux;

Puis ils clouèrent, les infâmes,

L’âme qui défendait leurs âmes,

L’être dont l’œil jetait du jour;

Et leur foule, dans sa démence,

Railla cette chouette immense

De la lumière et de l’amour!

Race qui frappes et lapides,

Je te plains! hommes, je vous plains!

Hélas! je plains vos poings stupides,

D’affreux clous et de marteaux pleins!

Vous persécutez pêle-mêle

Le mal, le bien, la griffe et l’aile,

Chasseurs sans but, bourreaux sans yeux!

Vous clouez de vos mains mal sûres

Les hiboux au seuil des masures,

Et Christ sur la porte des cieux!

Mai 1843.

XIV. À la mère de l’enfant mort

Oh! vous aurez trop dit au pauvre petit ange

Qu’il est d’autres anges là-haut,

Que rien ne souffre au ciel, que jamais rien n’y change,

Qu’il est doux d’y rentrer bientôt;

Que le ciel est un dôme aux merveilleux pilastres,

Une tente aux riches couleurs,

Un jardin bleu rempli de lis qui sont des astres,

Et d’étoiles qui sont des fleurs;

Que c’est un lieu joyeux plus qu’on ne saurait dire,

Où toujours, se laissant charmer,

On a les chérubins pour jouer et pour rire,

Et le bon Dieu pour nous aimer;

Qu’il est doux d’être un cœur qui brûle comme un cierge,

Et de vivre, en toute saison,

Près de l’enfant Jésus et de la sainte Vierge

Dans une si belle maison!

Et puis vous n’aurez pas assez dit, pauvre mère,

À ce fils si frêle et si doux,

Que vous étiez à lui dans cette vie amère,

Mais aussi qu’il était à vous;

Que, tant qu’on est petit, la mère sur nous veille,

Mais que plus tard on la défend;

Et qu’elle aura besoin, quand elle sera vieille,

D’un homme qui soit son enfant;

Vous n’aurez point assez dit à cette jeune âme

Que Dieu veut qu’on reste ici-bas,

La femme guidant l’homme et l’homme aidant la femme,

Pour les douleurs et les combats;

Si bien qu’un jour, ô deuil! irréparable perte!

Le doux être s’en est allé!… -

Hélas! vous avez donc laissé la cage ouverte,

Que votre oiseau s’est envolé!

Avril 1843.

XV. Épitaphe

Il vivait, il jouait, riante créature.

Que te sert d’avoir pris cet enfant, ô nature?

N’as-tu pas les oiseaux peints de mille couleurs,

Les astres, les grands bois, le ciel bleu, l’onde amère?

Que te sert d’avoir pris cet enfant à sa mère,

Et de l’avoir caché sous des touffes de fleurs?

Pour cet enfant de plus tu n’es pas plus peuplée,

Tu n’es pas plus joyeuse, ô nature étoilée!

Et le cœur de la mère en proie à tant de soins,

Ce cœur où toute joie engendre une torture,

Cet abîme aussi grand que toi-même, ô nature,

Est vide et désolé pour cet enfant de moins!

Mai 1843.

XVI. Le maître d’études

Ne le tourmentez pas, il souffre. Il est celui

Sur qui, jusqu’à ce jour, pas un rayon n’a lui;

Oh! ne confondez pas l’esclave avec le maître!

Et, quand vous le voyez dans vos rangs apparaître,

Humble et calme, et s’asseoir la tête dans ses mains,

Ayant peut-être en lui l’esprit des vieux Romains

Dont il vous dit les noms, dont il vous lit les livres,

Écoliers, frais enfants de joie et d’aurore ivres,

Ne le tourmentez pas! soyez doux, soyez bons.

Tous nous portons la vie et tous nous nous courbons;

Mais, lui, c’est le flambeau qui la nuit se consomme;

L’ombre le tient captif, et ce pâle jeune homme,

Enfermé plus que vous, plus que vous enchaîné,

Votre frère, écoliers, et votre frère aîné,

Destin tronqué, matin noyé dans les ténèbres,

Ayant l’ennui sans fin devant ses yeux funèbres,

Indigent, chancelant, et cependant vainqueur,

Sans oiseaux dans son ciel, sans amours dans son cœur,

À l’heure du plein jour, attend que l’aube naisse.

Enfance, ayez pitié de la sombre jeunesse!

Apprenez à connaître, enfants qu’attend l’effort,

Les inégalités des âmes et du sort;

Respectez-le deux fois, dans le deuil qui le mine,

Puisque de deux sommets, enfants, il vous domine,

Puisqu’il est le plus pauvre et qu’il est le plus grand.

Songez que, triste, en butte au souci dévorant,

À travers ses douleurs, ce fils de la chaumière

Vous verse la raison, le savoir, la lumière,

Et qu’il vous donne l’or, et qu’il n’a pas de pain.

Oh! dans la longue salle aux tables de sapin,

Enfants, faites silence à la lueur des lampes!

Voyez, la morne angoisse a fait blêmir ses tempes:

Songez qu’il saigne, hélas! sous ses pauvres habits.

L’herbe que mord la dent cruelle des brebis,

C’est lui; vous riez, vous, et vous lui rongez l’âme.

Songez qu’il agonise, amer, sans air, sans flamme;

Que sa colère dit: Plaignez-moi; que ses pleurs

Ne peuvent pas couler devant vos yeux railleurs!

Aux heures du travail votre ennui le dévore,

Aux heures du plaisir vous le rongez encore;

Sa pensée, arrachée et froissée, est à vous,

Et, pareille au papier qu’on distribue à tous,