Oh! de pôles, d’axes, de feux,
De la matière et du fluide,
Balancement prodigieux!
D’aimant qui lutte, d’air qui vibre,
De force esclave et d’éther libre,
Vaste et magnifique équilibre!
Monde rêve! idéal réel!
Lueurs! tonnerres! jets de soufre!
Mystère qui chante et qui souffre!
Formule nouvelle du gouffre!
Mot nouveau du noir livre ciel!
Tu verrais! – un soleil; autour de lui des mondes,
Centres eux-mêmes, ayant des lunes autour d’eux;
Là, des fourmillements de sphères vagabondes;
Là, des globes jumeaux qui tournent deux à deux;
Au milieu, cette étoile, effrayante, agrandie;
D’un coin de l’infini formidable incendie,
Rayonnement sublime ou flamboiement hideux!
Regardons, puisque nous y sommes!
Figure-toi! figure-toi!
Plus rien des choses que tu nommes!
Un autre monde! une autre loi!
La terre a fui dans l’étendue;
Derrière nous elle est perdue!
Jour nouveau! nuit inattendue!
D’autres groupes d’astres au ciel!
Une nature qu’on ignore,
Qui, s’ils voyaient sa fauve aurore,
Ferait accourir Pythagore
Et reculer Ézéchiel!
Ce qu’on prend pour un mont est une hydre; ces arbres
Sont des bêtes; ces rocs hurlent avec fureur;
Le feu chante; le sang coule aux veines des marbres.
Ce monde est-il le vrai? le nôtre est-il l’erreur?
Ô possibles qui sont pour nous les impossibles!
Réverbérations des chimères visibles!
Le baiser de la vie ici nous fait horreur.
Et, si nous pouvions voir les hommes,
Les ébauches, les embryons,
Qui sont là ce qu’ailleurs nous sommes,
Comme, eux et nous, nous frémirions!
Rencontre inexprimable et sombre!
Nous nous regarderions dans l’ombre
De monstre à monstre, fils du nombre
Et du temps qui s’évanouit;
Et, si nos langages funèbres
Pouvaient échanger leurs algèbres,
Nous dirions: «Qu’êtes-vous, ténèbres?»
Ils diraient: «D’où venez-vous, nuit?»
Sont-ils aussi des cœurs, des cerveaux, des entrailles?
Cherchent-ils comme nous le mot jamais trouvé?
Ont-ils des Spinosa qui frappent aux murailles,
Des Lucrèce niant tout ce qu’on a rêvé,
Qui, du noir infini feuilletant les registres,
Ont écrit: Rien, au bas de ses pages sinistres;
Et, penchés sur l’abîme, ont dit: «L’œil est crevé!»
Tous ces êtres, comme nous-même,
S’en vont en pâles tourbillons;
La création mêle et sème
Leur cendre à de nouveaux sillons;
Un vient, un autre le remplace,
Et passe sans laisser de trace;
Le souffle les crée et les chasse;
Le gouffre en proie aux quatre vents,
Comme la mer aux vastes lames,
Mêle éternellement ses flammes
À ce sombre écroulement d’âmes,
De fantômes et de vivants!
L’abîme semble fou sous l’ouragan de l’être.
Quelle tempête autour de l’astre radieux!
Tout ne doit que surgir, flotter et disparaître,
Jusqu’à ce que la nuit ferme à son tour ses yeux;
Car, un jour, il faudra que l’étoile aussi tombe;
L’étoile voit neiger les âmes dans la tombe,
L’âme verra neiger les astres dans les cieux!
Par instants, dans le vague espace,
Regarde, enfant! tu vas la voir!
Une brusque planète passe;
C’est d’abord au loin un point noir;
Plus prompte que la trombe folle,
Elle vient, court, approche, vole;
À peine a lui son auréole,
Que déjà, remplissant le ciel,
Sa rondeur farouche commence
À cacher le gouffre en démence,
Et semble ton couvercle immense,
Ô puits du vertige éternel!
C’est elle! éclair! voilà sa livide surface
Avec tous les frissons de ses océans verts!
Elle apparaît, s’en va, décroît, pâlit, s’efface,
Et rentre, atome obscur, aux cieux d’ombre couverts,
Et tout s’évanouit, vaste aspect, bruit sublime… -
Quel est ce projectile inouï de l’abîme?
Ô boulets monstrueux qui sont des univers!
Dans un éloignement nocturne,
Roule avec un râle effrayant
Quelque épouvantable Saturne
Tournant son anneau flamboyant;
La braise en pleut comme d’un crible;
Jean de Patmos, l’esprit terrible,
Vit en songe cet astre horrible
Et tomba presque évanoui;
Car, rêvant sa noire épopée,
Il crut, d’éclairs enveloppée,
Voir fuir une roue, échappée
Au sombre char d’Adonaï!
Et, par instants encor, – tout va-t-il se dissoudre? -
Parmi ces mondes, fauve, accourant à grand bruit,
Une comète aux crins de flamme, aux yeux de foudre,
Surgit, et les regarde, et, blême, approche et luit;
Puis s’évade en hurlant, pâle et surnaturelle,
Traînant sa chevelure éparse derrière elle,
Comme une Canidie affreuse qui s’enfuit.
Quelques-uns de ces globes meurent;
Dans le semoun et le mistral
Leurs mers sanglotent, leurs flots pleurent;
Leur flanc crache un brasier central.
Sphères par la neige engourdies,
Ils ont d’étranges maladies,
Pestes, déluges, incendies,
Tremblements profonds et fréquents;
Leur propre abîme les consume;
Leur haleine flamboie et fume;
On entend de loin dans leur brume
La toux lugubre des volcans.
Ils sont! ils vont! ceux-ci brillants, ceux-là difformes,
Tous portant des vivants et des créations!
Ils jettent dans l’azur des cônes d’ombre énormes,
Ténèbres qui des cieux traversent les rayons,
Où le regard, ainsi que des flambeaux farouches
L’un après l’autre éteints par d’invisibles bouches,
Voit plonger tour à tour les constellations!
Quel Zorobabel formidable,
Quel Dédale vertigineux,
Cieux! a bâti dans l’insondable
Tout ce noir chaos lumineux?
Soleils, astres aux larges queues,
Gouffres! ô millions de lieues!
Sombres architectures bleues!
Quel bras a fait, créé, produit
Ces tours d’or que nuls yeux ne comptent,
Ces firmaments qui se confrontent,
Ces Babels d’étoiles qui montent
Dans ces Babylones de nuit?
Qui, dans l’ombre vivante et l’aube sépulcrale,
Qui, dans l’horreur fatale et dans l’amour profond,
A tordu ta splendide et sinistre spirale,
Ciel, où les univers se font et se défont?
Un double précipice à la fois les réclame.
«Immensité!» dit l’être. «Éternité!» dit l’âme.
À jamais! le sans fin roule dans le sans fond.
L’Inconnu, celui dont maint sage
Dans la brume obscure a douté,
L’immobile et muet visage,
Le voile de l’éternité,
A, pour montrer son ombre au crime,
Sa flamme au juste magnanime,
Jeté pêle-mêle à l’abîme
Tous ses masques, noirs ou vermeils;
Dans les éthers inaccessibles,
Ils flottent, cachés ou visibles;
Et ce sont ces masques terribles
Que nous appelons les soleils!
Et les peuples ont vu passer dans les ténèbres
Ces spectres de la nuit que nul ne pénétra;
Et flamines, santons, brahmanes, mages, guèbres,
Ont crié: Jupiter! Allah! Vishnou! Mithra!
Un jour, dans les lieux bas, sur les hauteurs suprêmes,
Tous ces masques hagards s’effaceront d’eux-mêmes;
Alors, la face immense et calme apparaîtra!
Enfant! l’autre de ces deux mondes,
C’est le cœur d’un homme! – parfois,