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Elle entrait et disait: «Bonjour, mon petit père «;

Prenait ma plume, ouvrait mes livres, s’asseyait

Sur mon lit, dérangeait mes papiers, et riait,

Puis soudain s’en allait comme un oiseau qui passe.

Alors, je reprenais, la tête un peu moins lasse,

Mon œuvre interrompue, et, tout en écrivant,

Parmi mes manuscrits je rencontrais souvent

Quelque arabesque folle et qu’elle avait tracée,

Et mainte page blanche entre ses mains froissée

Où, je ne sais comment, venaient mes plus doux vers.

Elle aimait Dieu, les fleurs, les astres, les prés verts,

Et c’était un esprit avant d’être une femme.

Son regard reflétait la clarté de son âme.

Elle me consultait sur tout à tous moments.

Oh! que de soirs d’hiver radieux et charmants,

Passés à raisonner langue, histoire et grammaire,

Mes quatre enfants groupés sur mes genoux, leur mère

Tout près, quelques amis causant au coin du feu!

J’appelais cette vie être content de peu!

Et dire qu’elle est morte! hélas! que Dieu m’assiste!

Je n’étais jamais gai quand je la sentais triste;

J’étais morne au milieu du bal le plus joyeux

Si j’avais, en partant, vu quelque ombre en ses yeux.

Novembre 1846, jour des morts.

VI .

Quand nous habitions tous ensemble

Sur nos collines d’autrefois,

Où l’eau court, où le buisson tremble,

Dans la maison qui touche aux bois,

Elle avait dix ans, et moi trente;

J’étais pour elle l’univers.

Oh! comme l’herbe est odorante

Sous les arbres profonds et verts!

Elle faisait mon sort prospère,

Mon travail léger, mon ciel bleu.

Lorsqu’elle me disait: Mon père,

Tout mon cœur s’écriait: Mon Dieu!

À travers mes songes sans nombre,

J’écoutais son parler joyeux,

Et mon front s’éclairait dans l’ombre

À la lumière de ses yeux.

Elle avait l’air d’une princesse

Quand je la tenais par la main;

Elle cherchait des fleurs sans cesse

Et des pauvres dans le chemin.

Elle donnait comme on dérobe,

En se cachant aux yeux de tous.

Oh! la belle petite robe

Qu’elle avait, vous rappelez-vous?

Le soir, auprès de ma bougie,

Elle jasait à petit bruit,

Tandis qu’à la vitre rougie

Heurtaient les papillons de nuit.

Les anges se miraient en elle.

Que son bonjour était charmant!

Le ciel mettait dans sa prunelle

Ce regard qui jamais ne ment.

Oh! je l’avais, si jeune encore,

Vue apparaître en mon destin!

C’était l’enfant de mon aurore,

Et mon étoile du matin!

Quand la lune claire et sereine

Brillait aux cieux, dans ces beaux mois,

Comme nous allions dans la plaine!

Comme nous courions dans les bois!

Puis, vers la lumière isolée

Étoilant le logis obscur,

Nous revenions par la vallée

En tournant le coin du vieux mur;

Nous revenions, cœurs pleins de flamme,

En parlant des splendeurs du ciel.

Je composais cette jeune âme

Comme l’abeille fait son miel.

Doux ange aux candides pensées,

Elle était gaie en arrivant… -

Toutes ces choses sont passées

Comme l’ombre et comme le vent!

Villequier, 4 septembre 1844.

VII .

Elle était pâle, et pourtant rose,

Petite avec de grands cheveux.

Elle disait souvent: Je n’ose,

Et ne disait jamais: Je veux.

Le soir, elle prenait ma Bible

Pour y faire épeler sa sœur,

Et, comme une lampe paisible,

Elle éclairait ce jeune cœur.

Sur le saint livre que j’admire,

Leurs yeux purs venaient se fixer;

Livre où l’une apprenait à lire,

Où l’autre apprenait à penser!

Sur l’enfant, qui n’eût pas lu seule,

Elle penchait son front charmant,

Et l’on aurait dit une aïeule

Tant elle parlait doucement!

Elle lui disait: «Sois bien sage!»

Sans jamais nommer le démon;

Leurs mains erraient de page en page

Sur Moïse et sur Salomon,

Sur Cyrus qui vint de la Perse,

Sur Moloch et Léviathan,

Sur l’enfer que Jésus traverse,

Sur l’éden où rampe Satan!

Moi, j’écoutais… – Ô joie immense

De voir la sœur près de la sœur!

Mes yeux s’enivraient en silence

De cette ineffable douceur.

Et, dans la chambre humble et déserte

Où nous sentions, cachés tous trois,

Entrer par la fenêtre ouverte

Les souffles des nuits et des bois,

Tandis que, dans le texte auguste,

Leurs cœurs, lisant avec ferveur,

Puisaient le beau, le vrai, le juste,

Il me semblait, à moi, rêveur,

Entendre chanter des louanges

Autour de nous, comme au saint lieu,

Et voir sous les doigts de ces anges

Tressaillir le livre de Dieu!

Octobre 1846.

VIII .

À qui donc sommes-nous? Qui nous a? qui nous mène?

Vautour fatalité, tiens-tu la race humaine?

Oh! parlez, cieux vermeils,

L’âme sans fond tient-elle aux étoiles sans nombre?

Chaque rayon d’en haut est-il un fil de l’ombre

Liant l’homme aux soleils?

Est-ce qu’en nos esprits, que l’ombre a pour repaires,

Nous allons voir rentrer les songes de nos pères?

Destin, lugubre assaut!

Ô vivants, serions-nous l’objet d’une dispute?

L’un veut-il notre gloire, et l’autre notre chute?

Combien sont-ils là-haut?

Jadis, au fond du ciel, aux yeux du mage sombre,

Deux joueurs effrayants apparaissaient dans l’ombre.

Qui craindre? qui prier?

Les Manès frissonnants, les pâles Zoroastres

Voyaient deux grandes mains qui déplaçaient les astres

Sur le noir échiquier.

Songe horrible! le bien, le mal, de cette voûte

Pendent-ils sur nos fronts? Dieu, tire-moi du doute!

Ô sphinx, dis-moi le mot!

Cet affreux rêve pèse à nos yeux qui sommeillent,

Noirs vivants! heureux ceux qui tout à coup s’éveillent

Et meurent en sursaut!

Villequier, 4 septembre 1845.

IX .

Ô souvenirs! printemps! aurore!

Doux rayon triste et réchauffant!

– Lorsqu’elle était petite encore,

Que sa sœur était tout enfant… -

Connaissez-vous sur la colline

Qui joint Montlignon à Saint-Leu,

Une terrasse qui s’incline

Entre un bois sombre et le ciel bleu?

– C’est là que nous vivions. – Pénètre,

Mon cœur, dans ce passé charmant! -

Je l’entendais sous ma fenêtre

Jouer le matin doucement.

Elle courait dans la rosée,

Sans bruit, de peur de m’éveiller;

Moi, je n’ouvrais pas ma croisée,

De peur de la faire envoler.

Ses frères riaient… – Aube pure!

Tout chantait sous ces frais berceaux,

Ma famille avec la nature,

Mes enfants avec les oiseaux! -

Je toussais, on devenait brave;

Elle montait à petits pas,

Et me disait d’un air très grave:

«J’ai laissé les enfants en bas.»

Qu’elle fût bien ou mal coiffée,

Que mon cœur fût triste ou joyeux,

Je l’admirais. C’était ma fée,

Et le doux astre de mes yeux!

Nous jouions toute la journée.

Ô jeux charmants! chers entretiens!

Le soir, comme elle était l’aînée,

Elle me disait: «Père, viens!

Nous allons t’apporter ta chaise,

Conte-nous une histoire, dis!» -

Et je voyais rayonner d’aise

Tous ces regards du paradis.

Alors, prodiguant les carnages,

J’inventais un conte profond

Dont je trouvais les personnages