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L’homme à l’homme est obscur.

Où donc commence l’âme? où donc finit la vie?

Nous voudrions, c’est là notre incurable envie,

Voir par-dessus le mur.

Nous rampons, oiseaux pris sous le filet de l’être;

Libres et prisonniers, l’immuable pénètre

Toutes nos volontés;

Captifs sous le réseau des choses nécessaires,

Nous sentons se lier des fils à nos misères

Dans les immensités.

II

Nous sommes au cachot; la porte est inflexible;

Mais, dans une main sombre, inconnue, invisible,

Qui passe par moment,

À travers l’ombre, espoir des âmes sérieuses,

On entend le trousseau des clefs mystérieuses

Sonner confusément.

La vision de l’être emplit les yeux de l’homme.

Un mariage obscur sans cesse se consomme

De l’ombre avec le jour;

Ce monde, est-ce un éden tombé dans la géhenne?

Nous avons dans le cœur des ténèbres de haine

Et des clartés d’amour.

La création n’a qu’une prunelle trouble.

L’être éternellement montre sa face double,

Mal et bien, glace et feu;

L’homme sent à la fois, âme pure et chair sombre,

La morsure du ver de terre au fond de l’ombre

Et le baiser de Dieu.

Mais à de certains jours, l’âme est comme une veuve.

Nous entendons gémir les vivants dans l’épreuve.

Nous doutons, nous tremblons,

Pendant que l’aube épand ses lumières sacrées

Et que mai sur nos seuils mêle les fleurs dorées

Avec les enfants blonds.

Qu’importe la lumière, et l’aurore, et les astres,

Fleurs des chapiteaux bleus, diamants des pilastres

Du profond firmament,

Et mai qui nous caresse, et l’enfant qui nous charme,

Si tout n’est qu’un soupir, si tout n’est qu’une larme,

Si tout n’est qu’un moment!

III

Le sort nous use au jour, triste meule qui tourne.

L’homme inquiet et vain croit marcher, il séjourne;

Il expire en créant.

Nous avons la seconde et nous rêvons l’année;

Et la dimension de notre destinée,

C’est poussière et néant.

L’abîme, où les soleils sont les égaux des mouches,

Nous tient; nous n’entendons que des sanglots farouches

Ou des rires moqueurs;

Vers la cible d’en haut qui dans l’azur s’élève,

Nous lançons nos projets, nos vœux, l’espoir, le rêve,

Ces flèches de nos cœurs.

Nous voulons durer, vivre, être éternels. Ô cendre!

Où donc est la fourmi qu’on appelle Alexandre?

Où donc le ver César?

En tombant sur nos fronts, la minute nous tue.

Nous passons, noir essaim, foule de deuil vêtue,

Comme le bruit d’un char.

Nous montons à l’assaut du temps comme une armée.

Sur nos groupes confus que voile la fumée

Des jours évanouis,

L’énorme éternité luit, splendide et stagnante;

Le cadran, bouclier de l’heure rayonnante,

Nous terrasse éblouis!

IV

À l’instant où l’on dit: Vivons! tout se déchire.

Les pleurs subitement descendent sur le rire.

Tête nue! à genoux!

Tes fils sont morts, mon père est mort, leur mère est morte.

Ô deuil! qui passe là? C’est un cercueil qu’on porte.

À qui le portez-vous?

Ils le portent à l’ombre, au silence, à la terre;

Ils le portent au calme obscur, à l’aube austère,

À la brume sans bords,

Au mystère qui tord ses anneaux sous des voiles,

Au serpent inconnu qui lèche les étoiles

Et qui baise les morts!

V

Ils le portent aux vers, au néant, à Peut-Être!

Car la plupart d’entre eux n’ont point vu le jour naître;

Sceptiques et bornés,

La négation morne et la matière hostile,

Flambeaux d’aveuglement, troublent l’âme inutile

De ces infortunés.

Pour eux le ciel ment, l’homme est un songe et croit vivre;

Ils ont beau feuilleter page à page le livre,

Ils ne comprennent pas;

Ils vivent en hochant la tête, et, dans le vide.

L’écheveau ténébreux que le doute dévide

Se mêle sous leurs pas.

Pour eux l’âme naufrage avec le corps qui sombre.

Leur rêve a les yeux creux et regarde de l’ombre;

Rien est le mot du sort;

Et chacun d’eux, riant de la voûte étoilée,

Porte en son cœur, au lieu de l’espérance ailée,

Une tête de mort.

Sourds à l’hymne des bois, au sombre cri de l’orgue,

Chacun d’eux est un champ plein de cendre, une morgue

Où pendent des lambeaux,

Un cimetière où l’œil des frémissants poëtes

Voit planer l’ironie et toutes ses chouettes,

L’ombre et tous ses corbeaux.

Quand l’astre et le roseau leur disent: Il faut croire;

Ils disent au jonc vert, à l’astre en sa nuit noire:

Vous êtes insensés!

Quand l’arbre leur murmure à l’oreille: Il existe;

Ces fous répondent: Non! et, si le chêne insiste,

Ils lui disent: Assez!

Quelle nuit! le semeur nié par la semence!

L’univers n’est pour eux qu’une vaste démence,

Sans but et sans milieu;

Leur âme, en agitant l’immensité profonde,

N’y sent même pas l’être, et dans le grelot monde

N’entend pas sonner Dieu!

VI

Le corbillard franchit le seuil du cimetière.

Le gai matin, qui rit à la nature entière,

Resplendit sur ce deuil;

Tout être a son mystère où l’on sent l’âme éclore,

Et l’offre à l’infini; l’astre apporte l’aurore,

Et l’homme le cercueil.

Le dedans de la fosse apparaît, triste crèche.

Des pierres par endroits percent la terre fraîche;

Et l’on entend le glas;

Elles semblent s’ouvrir ainsi que des paupières,

Et le papillon blanc dit: «Qu’ont donc fait ces pierres?»

Et la fleur dit: «Hélas!»

VII

Est-ce que par hasard ces pierres sont punies,

Dieu vivant, pour subir de telles agonies?

Ah! ce que nous souffrons

N’est rien. – Plus bas que l’arbre en proie aux froides bises,

Sous cette forme horrible, est-ce que les Cambyses,

Est-ce que les Nérons,

Après avoir tenu les peuples dans leur serre,

Et crucifié l’homme au noir gibet misère,

Mis le monde en lambeaux,

Souillé l’âme, et changé, sous le vent des désastres,

L’univers en charnier, et fait monter aux astres

La vapeur des tombeaux,

Après avoir passé joyeux dans la victoire,

Dans l’orgueil, et partout imprimé sur l’histoire

Leurs ongles furieux,

Et, monstres qu’entrevoit l’homme en ses léthargies,

Après avoir sur terre été les effigies

Du mal mystérieux,

Après avoir peuplé les prisons élargies,

Et versé tant de meurtre aux vastes mers rougies,

Tant de morts, glaive au flanc,

Tant d’ombre, et de carnage, et d’horreurs inconnues,

Que le soleil, le soir, hésitait dans les nues

Devant ce bain sanglant!

Après avoir mordu le troupeau que Dieu mène,

Et tourné tour à tour de la torture humaine

L’atroce cabestan,

Et régné sous la pourpre et sous le laticlave,

Et plié six mille ans Adam, le vieil esclave,

Sous le vieux roi Satan,

Est-ce que le chasseur Nemrod, Sforce le pâtre,

Est-ce que Messaline, est-ce que Cléopâtre,

Caligula, Macrin,

Et les Achabs, par qui renaissaient les Sodomes,

Et Phalaris, qui fit du hurlement des hommes

La clameur de l’airain,

Est-ce que Charles Neuf, Constantin, Louis Onze,

Vitellius, la fange, et Busiris, le bronze,