Выбрать главу

Le brin d’herbe palpite aux fentes du pavé;

Et l’âme a chaud. On sent que le nid est couvé.

L’infini semble plein d’un frisson de feuillée.

On croit être à cette heure où la terre éveillée

Entend le bruit que fait l’ouverture du jour,

Le premier pas du vent, du travail, de l’amour,

De l’homme, et le verrou de la porte sonore,

Et le hennissement du blanc cheval aurore.

Le moineau d’un coup d’aile, ainsi qu’un fol esprit,

Vient taquiner le flot monstrueux qui sourit;

L’air joue avec la mouche et l’écume avec l’aigle;

Le grave laboureur fait ses sillons et règle

La page où s’écrira le poëme des blés;

Des pêcheurs sont là-bas sous un pampre attablés;

L’horizon semble un rêve éblouissant où nage

L’écaille de la mer, la plume du nuage,

Car l’Océan est hydre et le nuage oiseau.

Une lueur, rayon vague, part du berceau

Qu’une femme balance au seuil d’une chaumière,

Dore les champs, les fleurs, l’onde et devient lumière

En touchant un tombeau qui dort près du clocher.

Le jour plonge au plus noir du gouffre, et va chercher

L’ombre, et la baise au front sous l’eau sombre et hagarde.

Tout est doux, calme, heureux, apaisé; Dieu regarde.

Marine-Terrace, juillet 1855.

XI .

Oh! par nos vils plaisirs, nos appétits, nos fanges,

Que de fois nous devons vous attrister, archanges!

C’est vraiment une chose amère de songer

Qu’en ce monde où l’esprit n’est qu’un morne étranger,

Où la volupté rit, jeune, et si décrépite!

Où dans les lits profonds l’aile d’en bas palpite,

Quand, pâmé, dans un nimbe ou bien dans un éclair,

On tend sa bouche ardente aux coupes de la chair

À l’heure où l’on s’enivre aux lèvres d’une femme,

De ce qu’on croit l’amour, de ce qu’on prend pour l’âme,

Sang du cœur, vin des sens âcre et délicieux,

On fait rougir là-haut quelque passant des cieux!

Juin 1855.

XII. Aux anges qui nous voient

– Passant, qu’es-tu? je te connais.

Mais, étant spectre, ombre et nuage,

Tu n’as plus de sexe ni d’âge.

– Je suis ta mère, et je venais!

– Et toi dont l’aile hésite et brille,

Dont l’œil est noyé de douceur,

Qu’es-tu, passant? – Je suis ta sœur.

– Et toi, qu’es-tu? – Je suis ta fille.

– Et toi, qu’es-tu, passant? – Je suis

Celle à qui tu disais: «Je t’aime!»

– Et toi? – Je suis ton âme même. -

Oh! cachez-moi, profondes nuits!

Juin 1855.

XIII. Cadaver

Ô mort! heure splendide! ô rayons mortuaires!

Avez-vous quelquefois soulevé des suaires?

Et, pendant qu’on pleurait, et qu’au chevet du lit,

Frères, amis, enfants, la mère qui pâlit,

Éperdus, sanglotaient dans le deuil qui les navre,

Avez-vous regardé sourire le cadavre?

Tout à l’heure il râlait, se tordait, étouffait;

Maintenant il rayonne. Abîme! qui donc fait

Cette lueur qu’a l’homme en entrant dans les ombres?

Qu’est-ce que le sépulcre? et d’où vient, penseurs sombres,

Cette sérénité formidable des morts?

C’est que le secret s’ouvre et que l’être est dehors;

C’est que l’âme – qui voit, puis brille, puis flamboie, -

Rit, et que le corps même a sa terrible joie.

La chair se dit: – Je vais être terre, et germer,

Et fleurir comme sève, et, comme fleur, aimer!

Je vais me rajeunir dans la jeunesse énorme

Du buisson, de l’eau vive, et du chêne, et de l’orme,

Et me répandre aux lacs, aux flots, aux monts, aux prés,

Aux rochers, aux splendeurs des grands couchants pourprés,

Aux ravins, aux halliers, aux brises de la nue,

Aux murmures profonds de la vie inconnue!

Je vais être oiseau, vent, cri des eaux, bruit des cieux,

Et palpitation du tout prodigieux! -

Tous ces atomes las, dont l’homme était le maître,

Sont joyeux d’être mis en liberté dans l’être,

De vivre, et de rentrer au gouffre qui leur plaît.

L’haleine, que la fièvre aigrissait et brûlait,

Va devenir parfum, et la voix harmonie;

Le sang va retourner à la veine infinie,

Et couler, ruisseau clair, aux champs où le bœuf roux

Mugit le soir avec l’herbe jusqu’aux genoux;

Les os ont déjà pris la majesté des marbres;

La chevelure sent le grand frisson des arbres,

Et songe aux cerfs errants, au lierre, aux nids chantants

Qui vont l’emplir du souffle adoré du printemps.

Et voyez le regard, qu’une ombre étrange voile,

Et qui, mystérieux, semble un lever d’étoile!

Oui, Dieu le veut, la mort, c’est l’ineffable chant

De l’âme et de la bête à la fin se lâchant;

C’est une double issue ouverte à l’être double.

Dieu disperse, à cette heure inexprimable et trouble,

Le corps dans l’univers et l’âme dans l’amour.

Une espèce d’azur que dore un vague jour,

L’air de l’éternité, puissant, calme, salubre,

Frémit et resplendit sous le linceul lugubre;

Et des plis du drap noir tombent tous nos ennuis.

La mort est bleue. Ô mort! ô paix! l’ombre des nuits,

Le roseau des étangs, le roc du monticule,

L’épanouissement sombre du crépuscule,

Le vent, souffle farouche ou providentiel,

L’air, la terre, le feu, l’eau, tout, même le ciel,

Se mêle à cette chair qui devient solennelle.

Un commencement d’astre éclôt dans la prunelle.

Au cimetière, août 1855.

XIV .

Ô gouffre! l’âme plonge et rapporte le doute.

Nous entendons sur nous les heures, goutte à goutte,

Tomber comme l’eau sur les plombs;

L’homme est brumeux, le monde est noir, le ciel est sombre;

Les formes de la nuit vont et viennent dans l’ombre;

Et nous, pâles, nous contemplons.

Nous contemplons l’obscur, l’inconnu, l’invisible.

Nous sondons le réel, l’idéal, le possible,

L’être, spectre toujours présent.

Nous regardons trembler l’ombre indéterminée.

Nous sommes accoudés sur notre destinée,

L’œil fixe et l’esprit frémissant.

Nous épions des bruits dans ces vides funèbres;

Nous écoutons le souffle, errant dans les ténèbres,

Dont frissonne l’obscurité;

Et, par moments, perdus dans les nuits insondables,

Nous voyons s’éclairer de lueurs formidables

La vitre de l’éternité.

Marine-Terrace, septembre 1853.

XV. À celle qui est voilée

Tu me parles du fond d’un rêve

Comme une âme parle aux vivants.

Comme l’écume de la grève,

Ta robe flotte dans les vents.

Je suis l’algue des flots sans nombre,

Le captif du destin vainqueur;

Je suis celui que toute l’ombre

Couvre sans éteindre son cœur.

Mon esprit ressemble à cette île,

Et mon sort à cet océan;

Et je suis l’habitant tranquille

De la foudre et de l’ouragan.

Je suis le proscrit qui se voile,

Qui songe, et chante loin du bruit,

Avec la chouette et l’étoile,

La sombre chanson de la nuit.

Toi, n’es-tu pas, comme moi-même,

Flambeau dans ce monde âpre et vil.

Âme, c’est-à-dire problème,

Et femme, c’est-à-dire exil?

Sors du nuage, ombre charmante.

Ô fantôme, laisse-toi voir!

Sois un phare dans ma tourmente,

Sois un regard dans mon ciel noir!

Cherche-moi parmi les mouettes!

Dresse un rayon sur mon récif,

Et, dans mes profondeurs muettes,

La blancheur de l’ange pensif!

Sois l’aile qui passe et se mêle

Aux grandes vagues en courroux.

Oh! viens! tu dois être bien belle,

Car ton chant lointain est bien doux;

Car la nuit engendre l’aurore;

C’est peut-être une loi des cieux

Que mon noir destin fasse éclore

Ton sourire mystérieux!

Dans ce ténébreux monde où j’erre,

Nous devons nous apercevoir,

Toi, toute faite de lumière,

Moi, tout composé de devoir!

Tu me dis de loin que tu m’aimes,

Et que, la nuit, à l’horizon,

Tu viens voir sur les grèves blêmes

Le spectre blanc de ma maison.

Là, méditant sous le grand dôme,

Près du flot sans trêve agité,

Surprise de trouver l’atome

Ressemblant à l’immensité,

Tu compares, sans me connaître,

L’onde à l’homme, l’ombre au banni,

Ma lampe étoilant ma fenêtre

À l’astre étoilant l’infini!

Parfois, comme au fond d’une tombe,

Je te sens sur mon front fatal,

Bouche de l’Inconnu d’où tombe

Le pur baiser de l’Idéal.

À ton souffle, vers Dieu poussées,

Je sens en moi, douce frayeur,

Frissonner toutes mes pensées,

Feuilles de l’arbre intérieur.

Mais tu ne veux pas qu’on te voie;

Tu viens et tu fuis tour à tour;

Tu ne veux pas te nommer joie,

Ayant dit: Je m’appelle amour.

Oh! fais un pas de plus! viens, entre,

Si nul devoir ne le défend;

Viens voir mon âme dans son antre,

L’esprit lion, le cœur enfant;

Viens voir le désert où j’habite,

Seul sous mon plafond effrayant;

Sois l’ange chez le cénobite,

Sois la clarté chez le voyant.

Change en perles dans mes décombres

Toutes mes gouttes de sueur!

Viens poser sur mes œuvres sombres

Ton doigt d’où sort une lueur!

Du bord des sinistres ravines

Du rêve et de la vision,

J’entrevois les choses divines… -

Complète l’apparition!

Viens voir le songeur qui s’enflamme

À mesure qu’il se détruit,

Et de jour en jour dans son âme

À plus de mort et moins de nuit!

Viens! viens dans ma brume hagarde,

Où naît la foi, d’où l’esprit sort,

Où confusément je regarde

Les formes obscures du sort.

Tout s’éclaire aux lueurs funèbres;

Dieu, pour le penseur attristé,

Ouvre toujours dans les ténèbres

De brusques gouffres de clarté.

Avant d’être sur cette terre,

Je sens que jadis j’ai plané;

J’étais l’archange solitaire,

Et mon malheur, c’est d’être né.

Sur mon âme, qui fut colombe,

Viens, toi qui des cieux as le sceau.

Quelquefois une plume tombe

Sur le cadavre d’un oiseau.

Oui, mon malheur irréparable,

C’est de pendre aux deux éléments,

C’est d’avoir en moi, misérable,

De la fange et des firmaments!

Hélas! hélas! c’est d’être un homme;

C’est de songer que j’étais beau,

D’ignorer comment je me nomme,

D’être un ciel et d’être un tombeau!

C’est d’être un forçat qui promène

Son vil labeur sous le ciel bleu;

C’est de porter la hotte humaine

Où j’avais vos ailes, mon Dieu!

C’est de traîner de la matière;

C’est d’être plein, moi, fils du jour,

De la terre du cimetière,

Même quand je m’écrie: Amour!

Marine-Terrace, janvier 1854.