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Et nos espoirs construits si tôt;

Nous tâchons d’appliquer à ces cimes étranges

L’âpre échelle de feu par où montent les anges;

Job est en bas, Christ est en haut.

Nous aimons. À quoi bon? Nous souffrons. Pourquoi faire?

Je préfère mourir et m’en aller. Préfère.

Allez, choisissez vos chemins.

L’être effrayant se tait au fond du ciel nocturne,

Et regarde tomber de la bouche de l’urne

Le flot livide des humains.

Nous pensons. Après? Rampe, esprit! garde tes chaînes.

Quand vous vous promenez le soir parmi les chênes

Et les rochers aux vagues yeux,

Ne sentez-vous pas l’ombre où vos regards se plongent

Reculer? Savez-vous seulement à quoi songent

Tous ces muets mystérieux?

Nous jugeons. Nous dressons l’échafaud. L’homme tue

Et meurt. Le genre humain, foule d’erreur vêtue,

Condamne, extermine, détruit,

Puis s’en va. Le poteau du gibet, ô démence!

Ô deuil! est le bâton de cet aveugle immense

Marchant dans cette immense nuit.

Crime! enfer! quel zénith effrayant que le nôtre,

Où les douze Césars toujours l’un après l’autre

Reviennent, noirs soleils errants!

L’homme, au-dessus de lui, du fond des maux sans borne,

Voit éternellement tourner dans son ciel morne

Ce zodiaque de tyrans.

IV

Depuis quatre mille ans que, courbé sous la haine,

Perçant sa tombe avec les débris de sa chaîne,

Fouillant le bas, creusant le haut,

Il cherche à s’évader à travers la nature,

L’esprit forçat n’a pas encor fait d’ouverture

À la voûte du ciel cachot.

Oui, le penseur en vain, dans ses essors funèbres,

Heurte son âme d’ombre au plafond de ténèbres;

Il tombe, il meurt; son temps est court;

Et nous n’entendons rien, dans la nuit qu’il nous lègue,

Que ce que dit tout bas la création bègue

À l’oreille du tombeau sourd.

Nous sommes les passants, les foules et les races.

Nous sentons, frissonnants, des souffles sur nos faces.

Nous sommes le gouffre agité;

Nous sommes ce que l’air chasse au vent de son aile;

Nous sommes les flocons de la neige éternelle

Dans l’éternelle obscurité.

Pour qui luis-tu, Vénus? Où roules-tu, Saturne?

Ils vont: rien ne répond dans l’éther taciturne.

L’homme grelotte, seul et nu.

L’étendue aux flots noirs déborde, d’horreur pleine:

L’énigme a peur du mot; l’infini semble à peine

Pouvoir contenir l’inconnu.

Toujours la nuit! jamais l’azur! jamais l’aurore!

Nous marchons. Nous n’avons point fait un pas encore!

Nous rêvons ce qu’Adam rêva;

La création flotte et fuit, des vents battue;

Nous distinguons dans l’ombre une immense statue

Et nous lui disons: Jéhovah!

Marine-Terrace, nuit du 30 mars 1854.

XVII. Dolor

Création! figure en deuil! Isis austère!

Peut-être l’homme est-il son trouble et son mystère?

Peut-être qu’elle nous craint tous,

Et qu’à l’heure où, ployés sous notre loi mortelle,

Hagards et stupéfaits, nous tremblons devant elle,

Elle frissonne devant nous!

Ne riez point. Souffrez gravement. Soyons dignes,

Corbeaux, hiboux, vautours, de redevenir cygnes!

Courbons-nous sous l’obscure loi.

Ne jetons pas le doute aux flots comme une sonde.

Marchons sans savoir où, parlons sans qu’on réponde,

Et pleurons sans savoir pourquoi.

Homme, n’exige pas qu’on rompe le silence;

Dis-toi: Je suis puni. Baisse la tête et pense.

C’est assez de ce que tu vois.

Une parole peut sortir du puits farouche;

Ne la demande pas. Si l’abîme est la bouche,

Ô Dieu, qu’est-ce donc que la voix?

Ne nous irritons pas. Il n’est pas bon de faire,

Vers la clarté qui luit au centre de la sphère,

À travers les cieux transparents,

Voler l’affront, les cris, le rire et la satire,

Et que le chandelier à sept branches attire

Tous ces noirs phalènes errants.

Nais, grandis, rêve, souffre, aime, vis, vieillis, tombe.

L’explication sainte et calme est dans la tombe.

Ô vivants! ne blasphémons point.

Qu’importe à l’Incréé, qui, soulevant ses voiles,

Nous offre le grand ciel, les mondes, les étoiles,

Qu’une ombre lui montre le poing?

Nous figurons-nous donc qu’à l’heure où tout le prie,

Pendant qu’il crée et vit, pendant qu’il approprie

À chaque astre une humanité,

Nous pouvons de nos cris troubler sa plénitude,

Cracher notre néant jusqu’en sa solitude,

Et lui gâter l’éternité?

Être! quand dans l’éther tu dessinas les formes,

Partout où tu traças les orbites énormes

Des univers qui n’étaient pas,

Des soleils ont jailli, fleurs de flamme, et sans nombre,

Des trous qu’au firmament, en s’y posant dans l’ombre,

Fit la pointe de ton compas!

Qui sommes-nous? La nuit, la mort, l’oubli, personne.

Il est. Cette splendeur suffit pour qu’on frissonne.

C’est lui l’amour, c’est lui le feu.

Quand les fleurs en avril éclatent pêle-mêle,

C’est lui. C’est lui qui gonfle, ainsi qu’une mamelle,

La rondeur de l’océan bleu.

Le penseur cherche l’homme et trouve de la cendre.

Il trouve l’orgueil froid, le mal, l’amour à vendre,

L’erreur, le sac d’or effronté,

La haine et son couteau, l’envie et son suaire,

En mettant au hasard la main dans l’ossuaire

Que nous nommons humanité.

Parce que nous souffrons, noirs et sans rien connaître,

Stupide, l’homme dit: – Je ne veux pas de Être!

Je souffre; donc, Être n’est pas! -

Tu n’admires que toi, vil passant, dans ce monde!

Tu prends pour de l’argent, ô ver, ta bave immonde

Marquant la place où tu rampas!

Notre nuit veut rayer ce jour qui nous éclaire;

Nous crispons sur ce nom nos doigts pleins de colère;

Rage d’enfant qui coûte cher!

Et nous nous figurons, race imbécile et dure,

Que nous avons un peu de Dieu dans notre ordure

Entre notre ongle et notre chair!

Nier Être! à quoi bon? L’ironie âpre et noire

Peut-elle se pencher sur le gouffre et le boire,

Comme elle boit son propre fiel?

Quand notre orgueil le tait, notre douleur le nomme.

Le sarcasme peut-il, en crevant l’œil à l’homme,

Crever les étoiles au ciel?

Ah! quand nous le frappons, c’est pour nous qu’est la plaie.

Pensons, croyons. Voit-on l’océan qui bégaie,

Mordre avec rage son bâillon?

Adorons-le dans l’astre, et la fleur, et la femme.

Ô vivants, la pensée est la pourpre de l’âme;

Le blasphème en est le haillon.

Ne raillons pas. Nos cœurs sont les pavés du temple,

Il nous regarde, lui que l’infini contemple.

Insensé qui nie et qui mord!

Dans un rire imprudent, ne faisons pas, fils Ève,

Apparaître nos dents devant son œil qui rêve,

Comme elles seront dans la mort.

La femme nue, ayant les hanches découvertes,

Chair qui tente l’esprit, rit sous les feuilles vertes;

N’allons pas rire à son côté.

Ne chantons pas: – Jouir est tout. Le ciel est vide,

La nuit a peur, vous dis-je! elle devient livide

En contemplant l’immensité.

Ô douleur! clef des cieux! l’ironie est fumée.

L’expiation rouvre une porte fermée;

Les souffrances sont des faveurs.

Regardons, au-dessus des multitudes folles,

Monter vers les gibets et vers les auréoles

Les grands sacrifiés rêveurs.

Monter, c’est s’immoler. Toute cime est sévère.